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10 de novembre de 2022 Twitter Faceboock

Toulouse
Harcèlement moral et sexuel : le CNESER relaxe deux professeurs radiés par la fac du Mirail
Rozenn Kevel, CGT Chronodrive

Le 6 juillet dernier, le CNESER a relaxé deux enseignants radiés par l’université Toulouse Jean-Jaurès pour des faits de harcèlement moral et sexuel sur des étudiant·es. Un crachat à la figure des victimes qui nous impose de revenir sur cette longue affaire à l’actualité brûlante pour nous permettre de déterminer nos tâches pour lutter contre ces violences, le système qui les produit et l’impunité.

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Crédits : AFP

L’instance disciplinaire du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) s’est réunie le 6 juillet dernier à Paris pour délibérer, en appel, sur le cas de deux enseignants du département d’arts plastiques de l’université Toulouse Jean-Jaurès. Le CNESER a relaxé les deux professeurs accusés de violences sexistes et sexuelles.

Pour rappel, le 11 juillet 2019, la section disciplinaire du conseil académique de l’université Toulouse Jean Jaurès, composée de professeurs universitaires, maîtres de conférences et représentants des personnels titulaires, avait été saisie concernant des faits de « pratiques pédagogiques contraires à la déontologie de l’enseignant, ayant eu pour conséquence de placer les étudiants et étudiantes dans une situation de harcèlement moral et sexuel ». Un signalement appuyé par « des témoignages décrivant une ambiance de pression avec pour conséquences, auprès des étudiants, un sentiment d’humiliation, d’insécurité et d’anxiété ayant entraîné des situations d’absentéisme, de décrochage, de changement de filière ou d’abandon et de manière réitérée des propos à caractère sexuel ou sexistes, relatifs à une situation économique ou familiale, à l’apparence physique, à l’appartenance ethnique supposée, à la tenue vestimentaire et à la vie personnelle des étudiants et étudiantes, jusque dans leurs aspects les plus intimes...des pratiques inadaptées, la menace d’exclusion d’une étudiante, des faits et propos humiliants, dégradants et discriminants », selon le rapport du Cneser. Les deux professeurs visés par ces accusations ont été condamnés d’une interdiction définitive d’exercer des fonctions d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur.

Cette décision faisait suite à un lourd dossier constitué par des étudiant·es puis relayé par la cellule de lutte, d’information et de prévention du harcèlement sexuel (Cliphas) de la faculté, composée de 10 à 15 membres choisit par la présidente de l’université. Ce dossier comportait treize puis dix-sept témoignages d’étudiant·es, majoritairement des femmes.

Parallèlement sur le terrain judiciaire, en novembre 2019, le parquet de Toulouse, saisi de l’affaire, l’avait classée sans suite, déclenchant alors une polémique.

Afin de revenir sur la décision de la Cliphas, les enseignants avaient fait appel auprès du Cneser, qui s’est positionné 3 ans plus tard, ce 6 juillet 2022.

Le CNESER relaxe les professeurs, les lavant de toutes accusations

Lors de l’audience, la commission de jugement du Cneser a souhaité entendre seulement trois témoins sur les dix-sept et seules deux d’entre elles étaient présentes, la troisième étant « encore trop éprouvée » pour se rendre à cette audience, selon son avocate Margaux Bendelac. Après délibération, le conseil s’est positionné : « il n’existe aucun élément probant permettant de prouver que monsieur XXX a tenu des propos intrusifs, insultants, humiliants, dégradants et discriminants, constituant une situation de harcèlement à caractère moral et sexuel ayant porté préjudice aux étudiantes et étudiants ». Une formulation reprise à l’identique pour les deux professeurs, qui sont donc relaxés, et pour lesquels « la décision rendue par la section disciplinaire de l’université Toulouse-Jean-Jaurès est annulée ». « On a été surpris de cette décision de relaxe. Il y avait suffisamment de témoignages concordants dans le dossier permettant d’établir la matérialité et la gravité des faits, me semble-t-il. Le Cneser a choisi de n’en convoquer que trois sur dix-sept, c’est étonnant », confie Maître Margaux Bendelac.

Outre la non reconnaissance des faits, le Cneser justifie sa décision dans son bulletin officiel par le fait que, d’une part, le principe du contradictoire n’aurait pas été respecté : « uniquement des témoins à charge d’étudiants ont été entendu et aucun collègue enseignant de monsieur XXX », et d’autre part, que le principe de la personnalité des peines n’a pas non plus été respecté « puisque dans les témoignages, deux enseignants sont visés sans qu’il soit possible d’identifier les actes et les propos de chacun d’entre eux ».

« Chasse à l’homme », « attaque en meute », « retour à la censure », complot syndical, la défense d’un des professeurs

Pour l’avocate, cette relaxe est une « décision très décevante de manière générale sur la reconnaissance des violences sexistes et sexuelles dans le milieu universitaire. Les choses sont présentées comme une cabale féministe et, au final, on a l’impression d’une certaine censure ».

Car en effet, la défense du professeur monsieur XXX, conteste une à une l’ensemble des accusations, qu’il décrit comme mensongères et relevant « d’inventions grossières et d’accusations totalement gratuites qui reposent sur des projections malveillantes, de propos détournés, transformés et sortis de leur contexte ». Il ne s’arrête pas là et continue sa défense devant le Cneser en racontant « qu’il n’a pas été soutenu par la direction de son département et que des enseignants ont aidé des étudiantes et des étudiants à produire des accusations à son encontre ». Selon lui, il fait l’objet d’une « chasse à l’homme pour ne pas dire de chasse à courre, d’attaques en meute telles qu’on les voit se déchaîner sur les réseaux ». Un argumentaire qui en comparant les victimes à des bêtes « en meute » qu’il voit « se déchaîner » vise à les décridibiliser.

Le professeur continue sa défense en expliquant « trois motivations principales à l’entreprise des diffamateurs : un règlement de compte politique à propos de sa situation lors du dernier blocage de l’université, un second règlement de compte pour purger les rancunes qu’ont pu susciter deux altercations qu’il a eues avec deux étudiantes, et enfin de retour à la censure ». Et c’est bien là, le deuxième axe de son argumentaire : un complot syndical se serait dressé contre lui pour lui faire payer ses positions durant le mouvement de grève de 2018 paralysant la fac pendant plusieurs mois. Pour lui, il n’est plus question de débattre des faits graves qui lui sont reprochés mais bien des syndicats étudiants qui, par soif de vengeance, imposeraient « un retour à la censure ». Une manière de pénaliser les engagements syndicaux des étudiantes qui ont aidé à constituer le dossier.

Cynthia Nevache était l’une des étudiantes présentes lors de l’audition devant le Cneser. Elle témoigne pour Médiapart, « les juges nous ont posé tout un tas de questions sur nos investissements au sein du mouvement étudiant. Comme pour accréditer l’idée que la présidente de l’université avait offert cette radiation au syndicat de l’Union des étudiants de Toulouse pour acheter la paix sociale… Ils ont évoqué des possibles vengeances personnelles suite à des mauvaises notes. »
Depuis le début de l’affaire, l’un des axes de défense des enseignants est d’assurer que certains témoignages émanent d’étudiantes syndiquées voulant leur faire payer leurs positions durant le mouvement de grève qui avait secoué la fac au printemps 2018. « Pour ma part, j’ignorais totalement leur convictions personnelles et leurs positions sur ce sujet », assure Cynthia.

Pire encore, un syndicat professionnel de l’université a mis d’importants moyens aux services de la défense du professeur accusé, piétinant la parole des victimes. Ainsi un communiqué du Clasches affirme que « le CNESER n’évoque jamais les communiqués injurieux, les intimidations (y compris physiques) et les tentatives d’interférence avec le processus disciplinaire menées par le syndicat professionnel ayant pris la défense des deux enseignants. Par l’intermédiaire d’adhérent·e·s et sympathisant·e·s, ce dernier s’est permis, à l’époque de la première instruction, d’utiliser les coordonnées personnelles des étudiant·e·s d’arts plastiques pour les inciter à témoigner en faveur des deux professeurs incriminés. Il a aussi tenté de faire taire des témoins, enseignant·e·s-chercheur·e·s et administratif·ve·s, en les menaçant de représailles professionnelles sur leur carrière s’ils et elles venaient à parler. »

En dépit de toutes ces preuves, les juges d’appel se positionnent et estiment que « rien ne permet de déterminer l’existence de pratiques pédagogiques […] contraires aux exigences déontologiques qu’on attend d’un enseignant », et assurent en revanche que « les accusations portées à l’encontre du déféré se situent dans un contexte de conflit social au sein de l’université auquel le déféré a pris position ». Le CNESER se place du côté des calomnies et veut faire taire la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles.

Dossier classé sans suite par la justice, profs relaxés : Que dit la présidence de l’université ?

Le message envoyé par la relaxe est un crachat à la figure de tout.es les étudiant·es qui voudraient témoigner de situations de violences et sortir du silence. La décision du CNESER appuie la volonté abjecte du professeur accusé de réprimer les étudiantes qui ont relevé la tête en témoignant. Dans le rapport, celui ci déclare : « je soutiens et répète que l’ensemble des accusations qui me sont faites sont mensongères ; c’est pourquoi j’ai déposé plainte entre les mains du procureur de la République pour dénonciations calomnieuses ».

La plainte déposée au procureur de la République par l’enseignant constitue un retour du bâton qui vient s’ajouter à la décision du Cneser qui statut « une atteinte manifeste à la présomption d’innocence » de la part des étudiant·es envers les accusés. Ces deux rhétoriques sont habituelles lors des procès contre des faits de violences sexistes et sexuelles et émanent d’un schéma inadapté de la justice paroles contre paroles. Mais veut aussi intimider et empêcher les victimes qui se posent la question d’aller porter plainte et de libérer la parole au sujet de violences subies.

Dans ce contexte, la présidente de l’université a jusqu’à mi-novembre pour faire un recours en cassation devant le Conseil d’État. L’équipe de la présidente de l’université, Emmanuelle Garnier, a confié à Mediapart que « la direction étudie cette opportunité », mais a refusé d’en dire davantage. Si on ne peut prédire sa décision, la présidente de l’université Jean-Jaurès nous a fait plusieurs démonstrations de son mépris pour les conditions de vie et d’études des étudiant·es et personnels de l’université.

Dans ce contexte, la présidence de l’université Jean-Jaurès n’est pas en reste et nous a déjà plusieurs fois démontrer son mépris pour les conditions de vie et d’études des étudiant·es et personnels de l’université. En effet, durant la lutte des travailleuses d’Arc-en-ciel, entreprise de la sous-traitance du nettoyage employée par la fac, la direction à fait la démonstration d’un mépris cru, priorisant le respect du budget à la prise en charge des violences que subissaient les travailleur.es. Les grévistes, pour la majorité des femmes, s’étaient mises en grève spontanément par rapport aux conditions de travail déplorables : bas salaires, cadences trop élevées, matériel dangereux. Elles ont livré des témoignages glaçants qui expliquaient leur colère : humiliations, agressions et harcèlement sexuel de la part du chef. Alors que la direction de l’université était directement responsable de cette situation, elle a été hostile au mouvement des salariées,et s’est contenté de faire un nouvel appel d’offre afin d’engager un nouveau sous-traitant du nettoyage, plus compétitif et donc encore moins respectueux des conditions de travail des salariées.

En effet, bien plus préoccupées par leur rayonnement et leur classement national et mondial que par les problématiques étudiantes, les directions d’universités ont appliquées les coupures budgétaires de l’enseignement supérieur, elles ont refusées les nombreuses demandes étudiantes de prises de positions concernant les tris racistes des inscriptions d’étudiant.es réfugié.es d’Ukraine, mais aussi elles ont réprimé des mouvements étudiants, et ce notamment contre les violences sexistes et sexuelles.

On ne peut donc pas faire confiance à la direction de l’université pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles à l’université. Dans ce sens, si la Cliphas représente une avancée pour la libération et la prise en charge de la parole des victimes, comme le montre le travail fourni pendant cette affaire, on note que les décisions de la cellule peuvent être annulées à tout moment comme c’est le cas ici. De plus, on peut lire dans le règlement intérieur de la commission que « La Cliphas est composée de 10 à 15 membres choisi·es selon leurs compétences et leur expertise, nommé·es par le·la président·e de l’université sur proposition du·de la chargé·e de mission », la chargée de mission en poste depuis 2016 n’est autre que Marie-Agnès Palaisie, aussi membre du Conseil National des Universités. Ainsi, le rôle important dans le choix de la composition de la Cliphas (cellule de lutte contre les violences sexistes et sexuelles) représente un réel obstacle, seule une organisation en totale indépendance de celle-ci peut nous faire avancer dans nos combats.

A l’université et au delà : lutter en indépendance de l’État et de sa justice patriarcale !

Alors que la présidente de l’université vient de faire un recours en cassation devant le Conseil d’État suite à la décision du Cneser, ce cas démontre une fois de plus l’échec cuisant de la justice et du Cneser lorsqu’il s’agit d’éliminer les violences patriarcales. Alors que dans le même temps, les discours médiatiques et dominants présentent les institutions et la justice comme la seule solution pour lutter contre les violences patriarcales, du côté des victimes on assiste à un nombre scandaleux de plaintes classées sans suite et un parcours terrible par lequel les victimes doivent passées (mauvaise prise en charge, décrédibilisation, erreurs partagées, ect). En effet, ces deux institutions, ont main dans la main contribué à faire taire la parole des victimes. La justice a démontré son caractère patriarcal en classant sans suite le dossier malgré les 17 témoignages. Le Cneser lui dans la continuité de cette décision de justice scandaleuse, annule ainsi les acquis obtenus par le Cliphas et les étudiant·es mobilisé·es. D’autant plus que cette affaire n’est pas un cas isolé, comme le montre la relaxe par le Cneser d’un enseignant suspendu en 2018 par l’université Lyon 2 pour un comportement « susceptible de constituer un harcèlement sexuel à l’encontre de sa doctorante », annulée par la suite par le Conseil d’Etat.

Pourtant, comme nous l’écrivions dans cet article, « l’État cherche à s’accorder le monopole de la résolution des violences sexistes et sexuelles, tout en en étant parfaitement incapable, car son rôle est le maintien de rapports économiques et sociaux basés sur l’oppression et l’exploitation. Ainsi l’intégration du féminisme à l’État ne peut-elle se faire que selon des intérêts propres. L’État ne peut pas lutter contre le patriarcat si cela contribue à fragiliser l’ordre qu’il soutient. Surtout si on reconnaît les violences sexistes comme inhérentes à toutes les sphères de la société, mais également que l’ordre économique et culturel bourgeois qu’il soutient en est responsable. »

Face a la décision scandaleuse du Cneser, nous devons nous organiser et démasquer les faux alliés de nos luttes féministes. C’est en toute indépendance de la direction de l’université, loin de l’État et de sa justice patriarcale que nous pouvons faire avancer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Nous ne pouvons compter que sur nos propres forces. Car nous avons besoin de lutter en indépendance des directions complices, nous devons revendiquer des moyens pour mettre en place des commissions de veille et de lutte contre les violences dans chaque département de la fac composées d’étudiant.es et de l’ensemble des travailleur.ses de la fac pour garantir et aider la libération de la parole des victimes et des témoins. Mais aussi des moyens pour élire démocratiquement des élu·es formé·es à même de statuer sur des affaires et de prendre des décisions d’accompagnements (prendre en charge des soins et garantir les conditions d’apprentissage à la fac pour la victime mais aussi décider de soins qui doivent être suivis par l’accusé) et de sanctions (confronter l’accusé aux faits, l’isoler de la victime, statuer sur les sanctions..).

Nous avons aussi besoin de penser tout un arsenal préventif à ces violences en revendiquant des formations gratuites et élaborées par les commissions de veille et de lutte des UFR et de les penser conjointement avec les syndicats professionnels.

Seul le rapport de force nous permettra de mettre en place ces perspectives. En ce mois de novembre, c’est le moment de penser la lutte contre les violences patriarcales. Le contexte d’inflation fait exploser dans pleins de secteurs la colère des plus précaires, dont les femmes et les personnes LGBTI sont majoritaires. Il nous faut lier les luttes contre les violences sexistes et sexuelles aux luttes pour des augmentations de salaires. C’est aux côtés des agents de nettoyage à l’université, des soignant·es en lutte et des travailleur·es de l’aéronautique qu’on pourra imposer un rapport de force et élargir ce combat pour lutter contre le système qui produit ces violences et revendiquer l’augmentation de tous les salaires et des moyens concrets pour lutter contre les oppressions au travail, dans les études comme dans la vie.

 
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