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30 de novembre de 2022 Twitter Faceboock

Ecologie
8 milliards sur terre, seule une poignée de patrons en trop
Seb Nanzhel

Ce 15 novembre la population mondiale franchissait le nombre de 8 milliards. L’occasion pour les tenants de la « menace démographique » et de la « surpopulation » de refaire surface derrière un argumentaire pseudo-écologiste. Ces thèses profondément réactionnaires et racistes n’ont pas d’autres objectifs que d’occulter les responsabilités bien réelles, elles, du patronat dans la crise écologique en cours.

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Ce 15 novembre, la population franchissait officiellement le nombre des 8 milliards. Plusieurs tribunes, articles et autres émissions télé en ont profité pour ressortir les vieilles antiennes sur une supposée « surpopulation » à l’origine - du moins en partie selon eux – de la catastrophe écologique en cours. Une rhétorique profondément raciste, misogyne et réactionnaire qui vise à occulter les dynamiques réellement à l’œuvre dans la destruction de la planète.

Le 9 novembre, Le Monde publiait ainsi une tribune de l’association Démographie responsable signée par plusieurs scientifiques intitulée « Réduire la population contribuerait à l’atténuation du réchauffement climatique ». Une tribune aussitôt repartagée par le site d’extrême droite Fdesouche. Un de ses signataires était ensuite invité à débattre dans une émission de C ce soir, qui titrait « 8 milliards : Sommes-nous trop nombreux ? ». A son tour, le 15 novembre, Le Figaro publiait une analyse nommée « La démographie, un moteur complexe du réchauffement climatique ».

L’écologie et le mythe tenace de la surpopulation

Cette idée d’une « surpopulation » est répandue dans différents secteurs de l’écologie, comme en témoigne le débat récurent sur le fait d’avoir des enfants ou non. En avril dernier, le très libéral et médiatique Jean-Marc Jancovici assumait ainsi que « La nature, la planète, n’acceptera pas d’avoir 10 milliards d’habitants sur Terre ad vitam æternam vivant comme aujourd’hui » et donc « Ou bien on régule nous-mêmes, ou bien ça se fera par des pandémies, des famines ou des conflits ».

Parfois, cette idée se cache derrière un vernis progressiste, prétextant des efforts difficiles pouvant être réalisés dans la justice, pour le bien de tous. Cet été, le journal Reporterre publiait par exemple une enquête en quatre parties intitulée « Trop d’humains sur Terre ? Le défi du siècle ». Elle se finissait par un appel à la réduction de la population basée sur « les droits humains », après avoir longuement interrogé la restriction de la natalité, le vieillissement de la population mondiale ou encore la croissance démographique sur le continent africain … Souvent les tenants de cette idée ne font même pas cet effort, et assument pleinement leur filiation avec les courants politiques les plus réactionnaires.

Remise au gout du jour avec entres autres le bestseller de Ehrlich paru en 1968, « The Population Bomb » ou encore l’article fondateur dans l’écologie politique « la tragédie des biens communs », publié la même année par le violemment raciste Garett Hardin, la question d’une présupposée « surpopulation » hante encore et toujours l’écologie. Dans « Fascisme fossile », le collectif Zetkin rappelle par exemple que « l’émergence de l’environnementalisme aux Etats-Unis dans les années 1970 a été intimement liée aux thèses malthusiennes et à l’objectif de combattre la surpopulation ».

La « menace de la surpopulation » infuse même dans la culture, notamment la science-fiction et ses univers dystopiques, entre le superméchant de Marvel Thanos qui veut sacrifier la moitié des vies de l’univers pour promettre une vie digne à l’autre moitié, ou les mondes surpolués et surpeuplés de Soleil Vert et de Seven Sisters, en passant par le monde chaotique décrit dans la comédie Idiocratie à cause des pauvres (désignés comme idiots) qui procréent trop. Cette idée est ainsi devenue au fur et à mesure des années un lieu commun, proférée comme une fatalité, sur les questions d’écologie. Une victoire idéologique importante pour le patronat et la bourgeoise, tant le focus sur une prétendue « surpopulation » enferme l’écologie dans des issues au pire totalement réactionnaires, au mieux inopérante face à la crise en cours.

Le gâteau est-il trop petit pour tout le monde ?

L’argumentaire de la « surpopulation » repose sur différentes affirmations. Outre le mythe d’une démographie galopante et hors de contrôle, ses tenants affirment que la population mondiale serait face à un gâteau, dont chacun aurait une part. Le problème de l’écologie se retrouve ainsi enfermé dans la question du nombre de part et de leur taille. Ainsi la question de l’impossibilité de nourrir l’entièreté d’une population à 8 ou 10 milliards est centrale dans cet argumentaire. Mais comme le rappellent les chercheurs gilles Pison et Marc Dufumier :

« Il est utile cependant de rappeler qu’il y a pléthore de nourriture sur le marché mondial. Si aujourd’hui entre 700 et 800 millions de gens ont faim, ne disposant pas de 2 400 kilos calories par jour – l’énergie nécessaire pour vivre, travailler, se déplacer… – et si 1 milliard de personnes souffrent de carence nutritionnelle, ça n’a rien à voir avec un manque de nourriture disponible. Ces gens-là sont des gens très pauvres qui ne parviennent pas à se procurer une alimentation présente en quantité suffisante, mais que seules des personnes plus riches peuvent se procurer. S’ajoute à cela le fait que, selon les pays, de 20 à 25 % de la nourriture disponible part à la poubelle, soit parce que la date de péremption a été passée, soit parce que les grandes et moyennes surfaces jettent ce qui ne répond pas à leurs critères d’aspect, de calibre… S’il y a des gens qui fréquentent les Restaurants du coeur et banques alimentaires en France, ça n’a rien à voir avec le fait que la France n’aurait pas assez de lait, de viande… ».

De même, Jean Ziegler, ancien rapporteur à l’ONU sur le droit à l’alimentation, affirmait auprès de l’Obs : « On peut nourrir 12 milliards d’humains. Les victimes de famine sont donc assassinées ».

Le contrôle de la population est également souvent invoqué comme une nécessité sur le plan de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. On rappellera simplement que les émissions de CO2 ont été multipliées par 654,8 entre 1820 et 2010, quand la population a été multipliée par 6,6 sur cette période, comme le montre Andreas Malm. Il poursuit : « Pour ces dernières décennies, la corrélation s’est même avérée négative. David Satterthwaitte a comparé les taux d’accroissement démographiques et des émissions dans le quart de siècle entre 1980 et 2005 et a il a découvert que la population avait tendance à croitre le plus vite là où les missions croissaient le plus lentement, et inversement ». En clair, ces théories, élaborées le plus souvent depuis les puissances impérialistes, servent à pointer du doigt ceux qui subissent le plus la crise écologique actuelle et en sont le moins responsable.

Le défi du siècle, vraiment ?

Mais ces théories ne s’encombrent pas de ces réalités. Elles n’existent pas tant pour expliquer la crise actuelle que pour verrouiller ses issues entre les mains des Etats et du patronat, et vers des débouchés toujours plus réactionnaires. Critiquer la « surpopulation » correspond en effet rarement à dire qu’il y a trop d’européens ou d’américains. Comme le rappelle Antoine Dubiau, auteur du livre Ecofascismes, « les différentes approches démographiques du problème écologique sont systématiquement empreintes de racisme : les populations surnuméraires désignées comme devant disparaître pour des raisons écologiques sont toujours des populations non-blanches non-occidentales, dont la démographie considérée comme « galopante » cristallise l’attention ».

En découle une écologie reposant sur le renforcement des frontières, la lutte contre les migrants, et des attaques ultra patriarcales contre l’autonomie reproductive des femmes et personnes pouvant procréer. Les puissances impérialistes se sont par ailleurs illustrées par leur brutalité sur ce dernier point, entre les cas de stérilisations forcées de femmes migrantes aux Etats-Unis, de femmes autochtones au Canada ou encore de femmes réunionnaises par les autorités françaises dans les années 70. Récemment, une convergence entre les thèses complotistes et racistes du « grand remplacement » et ces formes d’écologie ont été observées.

Même dans ses variantes moins réactionnaires (la série d’articles de Reporterre dénonce par exemple les atteintes contre l’autonomie reproductive), cette vision reste empreinte de paternalisme et de racisme. Et elle enferme toujours la résolution de la crise écologique dans des débouchés institutionnels, qui feront payer cette dernière aux populations. C’est ce que fait le titre de cette série d’articles, en désignant la démographie comme « Le défi du siècle ». Et si le défi du siècle était plutôt de sortir de cette organisation de la production qui condamne des millions de personnes à la faim et à la soif, et à mourir des conséquences du réchauffement climatique ?

8 milliards sur terre, seule une poignée de patrons en trop

Ainsi, à l’encontre de ces discours qui n’offrent aucune perspective viable pour les classes populaires à l’échelle mondiale, il est vital de se battre pour une écologie qui s’attaque aux véritables causes de la crise en cours. 425 sites d’extraction d’hydrocarbures qui enverront à eux seuls dans l’atmosphère deux fois plus de CO2 que la limite pour rester sous les 1.5°C de réchauffement climatique, et ce pour les profits d’une poignée d’actionnaires, c’est une donnée beaucoup plus préoccupante que 8 milliards d’êtres humains vivant sur terre. Il en va de même pour les 63 milliardaires français qui émettent par an 152 millions de tonnes de CO2 via leur capital financier, soit plus qu’un pays comme le Nigéria et ses 209 millions d’habitants.

L’équation du gâteau, aussi absurde qu’irrésoluble, présente la crise écologique comme le résultat d’une multiplication entre des impacts environnementaux de chaque personnes (la taille des parts de gâteau) et le nombre de personnes sur terre (les parts du gâteau). Pour résorber la crise écologique, il faudrait dès lors faire baisser chacun de ces termes, en contrôlant la démographie et en faisant baisser les impacts par personnes. Mais individualiser ces impacts revient à cacher sciemment que les destructions de l’environnement sont le fait de choix de production conscients, orientés vers les profits. Aucun de ces choix n’a jamais été réalisé de manière démocratique ou pour les intérêts de tous. Qui a voté pour le modèle de la voiture individuelle, qui pollue, met en danger et entraîne des maladies respiratoires, hormis les industriels de l’automobile ? Les habitants de Tanzanie et de l’Ouganda ont-ils eu leur mot à dire vis-à-vis de l’installation par Total du plus grand pipeline chauffé du monde dans leur pays, avec toutes les conséquences néfastes pour l’environnement qu’il entraîne ?

C’est pour se saisir de ce droit de décider de ce qui est produit, et pour quoi, qu’il faut aujourd’hui se battre. Organiser la société rationnellement, en adéquation avec les rythmes naturels et les besoins humains nécessite d’arracher à la poignée de patrons qui les possèdent les entreprises et de les administrer démocratiquement, pas de réduire la population mondiale par des moyens aussi brutaux que racistes.

 
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