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La Izquierda Diario
10 de janvier de 2023 Twitter Faceboock

Ouverture à la concurrence
Conditions de travail à la RATP : pourquoi l’accord signé par FO et l’UNSA valide la régression sociale
Mahdi Adi

La RATP a annoncé la signature d’un accord sur les conditions de travail avec FO et l’UNSA qui défendent un « compromis acceptable ». En échange, l’accord valide la casse des conditions de travail des conducteurs de bus. A l’aune de la réforme des retraites, la question se pose de manière brûlante : face à la régression sociale, faut-il négocier des « contreparties » ou construire le rapport de force par la grève ?

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La RATP a annoncé vendredi dernier, la signature d’un accord avec FO et l’UNSA sur les conditions de travail des machinistes-receveurs (conducteurs de bus et tramway). La direction se félicite déjà « d’un dialogue social renouvelé » qui aurait permis « un engagement fort pour valoriser le travail des des conducteurs de Bus et Tramway ». Dans un contexte de crise du réseau de transports en commun en Île-de-France, elle présente le contenu de l’accord comme « un des éléments clés » pour renouer avec « la qualité de service ».

Les syndicats signataires (majoritaires à eux deux) revendiquent quant à eux d’avoir réussi à faire « plier la direction » (UNSA) et d’avoir « gagné [le] bras de fer avec la RATP sans céder à [son] chantage » (FO) en obtenant une augmentation générale des salaires de « 290€ net par mois ». Une somme qui paraît non-négligeable alors que les travailleurs subissent l’inflation et la vie chère. Mais la CGT et Solidaires qui ont refusé de signer, dénoncent de leur côté « une régression historique pour une compensation illusoire » et « la démolition [des] conditions de travail » des machinistes-receveurs. Alors qu’en est-il vraiment ?

Augmentation du temps de travail, suppression des repos et généralisation des services « en deux fois » : pourquoi l’accord signé par FO et l’UNSA est une trahison historique

Révolution Permanente a pu examiner l’accord, pour faire le point sur les mesures qu’il contient. Comme prévu, il anticipe la casse des conditions de travail des machinistes-receveurs programmée dans le Contrat Social Territorialisé (CST). Il prévoit ainsi de supprimer six repos par an : d’abord trois en 2023, puis trois autres à partir de 2024. Ensuite, il met en place « une organisation du travail permettant plus de services « en deux fois » dans une journée » (avec coupure) en augmentant l’amplitude de travail passée de onze à treize heures par jour. Enfin il supprime les « barrières repas », un dispositif qui limitait la fin des services du matin à 14 heures.

Concernant le temps de travail, le nouvel accord prévoit de mettre en place un Compte Temps Journalier (CTJ) et d’établir une « durée de référence journalière de travail » de 7h28 en 2023 puis 7h22 en 2024. Selon la Cour des Comptes, la « durée journalière de référence » s’élevait auparavant à 6h42 par jour. Dans sa communication la RATP parle d’une augmentation du temps de travail « de 120 heures en moyenne par an », mais en réalité le nouvel accord prévoit donc au total une augmentation de la durée de référence de travail annuel de 188 heures, passant de 1380 heures à 1568 heures par an. Plusieurs fois repoussée, la mise en place de ce dispositif est prévue « à compter du 1er juillet 2023 au plus tard ».

Alors que la difficulté du métier de conducteur de bus est déjà avérée par les démissions en cascades et les difficultés à recruter, l’ensemble de ces mesures ne peuvent qu’aggraver la pénibilité du travail et mener à davantage de burn-out et de maladies professionnelles. Par ailleurs, l’augmentation du temps de travail pour les 16.000 machinistes-receveurs de la RATP constitue autant d’emplois qui ne seront pas créés, puisque le travail sera réalisé par des agents déjà en poste. A l’heure où plus de trois millions de chômeurs sont inscrits à Pôle Emploi, il s’agirait au contraire de partager le temps de travail entre toutes et tous pour créer des emplois et améliorer les conditions de travail.

Négocier des « contreparties » en échange de la casse des conditions de travail, ou construire le rapport de force par la grève ?

En échange de la signature du nouvel accord par les organisations syndicales, la direction de la RATP parle d’une « contrepartie salariale ». Elle promet « une augmentation de salaire de 372€ brut par mois » (290€ net mensuels) ainsi qu’une augmentation de « plus de 20% d’une prime de qualification-pénibilité la portant à 70€ brut/mois ». « Travailler plus pour gagner plus » veut résumer Le Parisien.

Un discours qu’il convient de débunker. En effet, la CGT RATP explique que rapportée à l’augmentation du temps de travail de 190 heures par an, cette « compensation » ne représente finalement qu’un taux horaire de 10,30 euros. De plus, même en ajoutant la mesure de « déroulement de carrière » ou l’augmentation de la prime « qualification-pénibilité », cette « compensation » ne dépasse finalement pas 224 euros net par mois. Une somme à laquelle il faut encore soustraire la réduction du nombre d’heure payée en heure supplémentaire (majorées à 25%) en raison de la mise en place du CTJ, la suppression de la prime « coupure 11h30 / 14h », la division par deux des primes de « deux fois », ou encore la conversion des primes CPI qui sont certes intégrées dans le salaire, mais dont la valeur est revue à la baisse.

En fin de compte, cet accord est loin de contenir une « augmentation » de salaire. Pas plus qu’il n’est « un signe envoyé aux machinistes-receveurs » pour répondre au « manque de reconnaissance » et « aux problèmes de recrutement », comme le prétend Mourad Chikh, secrétaire général adjoint de l’UNSA Pôle Bus. Interrogé sur BFM TV, ce dernier défend la signature de son syndicat en expliquant qu’à partir du moment où « la loi LOM [qui définit les grandes lignes de l’ouverture à la concurrence à la RATP, ndlr] a été votée et les législateurs ont tranché », il ne s’agissait plus que de chercher à obtenir la meilleure contrepartie à la casse des conditions de travail.

Pourtant,le ministre des Transports lui-même a récemment affirmé qu’un report de l’ouverture à la concurrence n’est pas à exclure afin d’éviter l’organisation du Mondial de Rugby et des Jeux Olympiques en France ne soit entachée par des grèves et perturbations sur le réseau de transports en commun francilien. Cela montre qu’il n’y a pas de fatalité et qu’il est possible de faire reculer le gouvernement et IDF Mobilités. A condition de chercher à mettre sur pied un véritable plan de bataille pour construire le rapport de force à même de les faire plier, plutôt que de chercher « un compromis acceptable » en échange de la casse des conditions de travail des machinistes-receveurs. Une perspective serait un exemple à suivre pour l’ensemble de notre camp social face aux attaques du gouvernement et du patronat.

Les conducteurs de bus à la RATP : ces travailleurs de la « deuxième ligne » qui inquiètent le gouvernement

De son propre aveu, la prise de fonction de Jean Castex en novembre dernier intervient dans « un contexte social tendu par la question du pouvoir d’achat, l’inquiétude générée par l’ouverture à la concurrence des bus, les problèmes de ponctualité », sans oublier « la réforme des retraites ». Et pour cause, les agents RATP font partie de la fameuse « deuxième ligne » qui inquiète le gouvernement depuis la séquence ouverte par la pandémie de Covid-19.

Travailleurs d’un secteur dit « essentiel » pour la société, les conducteurs de bus RATP ont continué de travailler tout au long de la crise sanitaire afin de faire fonctionner les transports publics, quitte à risquer leur santé et celle de leurs proches, sans rétribution. Suite à quoi, ils subissent désormais la vie chère sans voir leurs salaires augmenter – après un gel des salaires pendant sept ans, les NAO de 2022 sont loin d’avoir rattrapés l’inflation –, mais aussi la casse des conditions de travail qui exacerbe pénibilité et souffrance au travail.

En effet, depuis le 1er août 2022, la RATP a anticipé l’ouverture à la concurrence du réseau programmée en 2025, en cassant les conditions de travail des machinistes-receveurs. Augmentation du temps de travail et des cadences, multiplication des services « en deux fois » avec coupure, fin des barrières repas... Yassine Jioua, conducteur de bus et militant CGT au dépôt de Malakoff explique ainsi la détérioration sans précédent du service ces derniers mois : « Ces changements brutaux, qui ont été opérés sans accord avec les syndicats, ont entraîné une vague de départs, de démissions, d’arrêts maladie, de burn-out... Les gens craquent. »

Autant d’éléments susceptibles de provoquer de futures mobilisations sociales, dont le gouvernement redoute qu’elles puissent se produire sans attendre l’aval des directions syndicales, à l’instar de la grève des contrôleurs SNCF fin décembre. C’est en tout cas l’analyse de l’éditocrate Alain Duhamel, qui explique à l’aune de la présentation de la contre-réforme des retraites par le gouvernement : « ce que je crains le plus, c’est que faute de partenaires solides, il se passe les coordinations, c’est-à-dire des mouvements plus ou moins spontanés. […] Ça crée de l’éruptivité, du danger et des risques de débordement. C’est extrêmement difficile à prévoir et à encadrer. »

Jean Castex à la rescousse du « dialogue social »

La nomination très politique de Jean Castex par Emmanuel Macron lui-même à la tête du groupe répond donc à l’objectif de contenir d’éventuelles explosions sociales aux portes de l’entreprise. La perspective de voir les salariés de la RATP faire irruption sur le terrain de la lutte des classes, par la grève, et incarner aux côtés d’autres secteurs, comme les raffineurs ou les cheminots, un pôle de résistance ouvrière face aux attaques anti-sociales de Macron, contre la réforme des retraites et pour l’augmentation générale des salaires, constitue donc une véritable crainte du côté du gouvernement. Ce n’est pas pour rien que le gouvernement a choisi d’appliquer une « clause du grand-père » dans sa nouvelle réforme des retraites, qui met fin au régime spécial de retraites seulement pour les nouveaux embauchés. Le souvenir de la grève historique de 2019-2020 contre la réforme des retraites et du rôle joué par les grévistes de la RATP est encore là.

Pour contenir d’éventuelles explosions sociales au sein de l’entreprise, le nouveau PDG résume ainsi sa stratégie : « il va falloir que j’inspire confiance aux salariés » afin de « faire du dialogue social ». C’est ce qui explique l’anticipation des NAO 2023 ou encore la mise en place de concertations avec les organisations syndicales dès sa première semaine en fonction. Idem pour le nouvel accord sur les conditions de travail des conducteurs de bus, qui a été présenté en faisant miroiter des « contreparties significatives » afin d’obtenir la signature des syndicats. Tout cela pour promouvoir l’illusion d’un « dialogue social renouvelé ».

Si les directions syndicales jouent le jeu, à l’instar de Bertrand Hammache, le secrétaire général de la CGT RATP, qui a affirmé que Castex « est quelqu’un de plutôt avenant, qui va vers les gens », cela ne doit cependant pas tromper les travailleurs de la RATP. En effet, il ne faut pas oublier que seulement quelques jours après son entrée en poste, c’est le même Jean Castex qui faisait réprimer par la police les grévistes de la maintenance du réseau ferré (MRF) à coup de gaz et de matraque.. Et le contenu du nouvel accord sur les conditions de travail des machinistes-receveurs vient le rappeler.

Conditions de travail, salaires et retraites : il faut un plan de bataille pour frapper tous ensemble !

En dépit de toutes les illusions du « dialogue social » qu’ils véhiculent, les dirigeants de l’UNSA et de FO l’admettent eux-mêmes : ce sont bien « les multiples mouvements de grève », notamment « celui des 59 minutes » chez les conducteurs de bus, qui ont poussé la direction à mettre cette « compensation » sur la table. Sans la dégradation du réseau causée par les grèves intermittentes, les démissions en cascade, les arrêts maladies qui se multiplient, la RATP n’aurait pas eu besoin de faire de concession pour obtenir la signature des organisations syndicales et faire valider la casse des conditions de travail.

Or s’il est vrai que les grèves de 59 minutes expriment le ras-le-bol des collègues face aux conditions de travail et perturbent le service – d’autant plus lorsqu’elles sont combinée à l’absentéisme dues aux maladies et au manque de personnel –, de manière isolée, sans coordination et sans s’organiser à la base, ce mode d’action condamne à l’impuissance. Pour avoir un impact et construire le rapport de force à la hauteur, les organisations syndicales devraient chercher à coordonner cette colère pour que les agents se mettent en grève tous ensemble et durcissent le mouvement pour arracher plus que des « contreparties ».

Mais les directions syndicales à la RATP ne proposent à ce jour pas le moindre plan de bataille pour frapper ensemble et faire face aux attaques historiques du gouvernement et du patronat. En effet, ni les grèves de 59 minutes, ni les journées de grève isolées appelées par l’intersyndicale contre la casse des conditions de travail des conducteurs de bus n’ont suffit à faire reculer la direction. Le secrétaire général de CGT RATP Bus, Cemil Kaygisiz, estime ainsi qu’« après les journées de mobilisation au printemps, la seule option gagnante était de partir sur une grève beaucoup plus dure en reconductible ».

Ce constat esquisse le seul et unique moyen de défendre les conditions de travail, d’arracher des augmentations de salaire et de se battre contre la réforme des retraites : la grève reconductible. Mais un véritable bilan ne peut se contenter d’agiter cette perspective sans la préparer sérieusement. « Ce qui a été la force du mouvement pendant les retraites c’est justement qu’on est partis ensemble. Ce qui fera notre force, c’est de partir de façon coordonnée » , martèle ainsi Yassine Jioua.

Pour cela, il s’agirait de mettre dès à présent les organisations syndicales à profit pour alimenter des caisses de grève, développer l’auto-organisation, mais également briser les divisions corporatistes. A commencer par chercher à se coordonner avec les salariés des autres départements de la RATP, à l’image des travailleurs de la maintenance du réseau ferré (MRF) qui revendiquent 300 euros pour tous et appellent à un rassemblement ce vendredi 13 janvier devant les ateliers de Fontenay-sous-Bois. Mais également au-delà, car ce sont l’ensemble des travailleurs des transports qui subissent l’ouverture à la concurrence, comme à la SNCF, Transdev et Keolis, tandis que l’inflation et la réforme des retraites appellent à une réponse forte de l’ensemble du monde du travail.

 
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