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La Izquierda Diario
17 de janvier de 2023 Twitter Faceboock

Racisme d’Etat
Avec la réforme des retraites, les travailleurs immigrés toujours plus exploités
Maëva Amir

Les travailleurs immigrés sont les grands oubliés des discussions sur les conséquences de la nouvelle réforme des retraites. Alors qu’ils doivent déjà faire face à des pensions de retraites plus faibles que la moyenne, ils seront durement touchés par cette attaque d’ampleur.

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Crédit photo : O Phil des Contrastes

S’il est déjà extrêmement compliqué pour les travailleurs sans-papiers ou récemment régularisés de toucher une retraite à taux plein dans le système actuel, la réforme du gouvernement qui repousse l’âge légal de départ à 64 ans et accélère l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans privera définitivement toute cette partie de la population de l’espoir d’accéder un jour à une retraite décente. Décryptage d’une réforme qui promet de précariser davantage ces travailleurs de l’ombre.

Des travailleur-ses aux carrières hachées qui peineront toujours plus à cumuler leurs annuités

Premiers embauchés dans les secteurs où la main d’œuvre se fait rare, les travailleurs étrangers sont aussi les premiers licenciés dans les périodes de crises. Cette situation les amène à avoir des carrières hachées ou incomplètes alternant des phases de travail et de chômage. En effet, les travailleurs étrangers et encore plus les femmes étrangères sont surreprésentées parmi les chômeurs du fait des discriminations à l’embauche avec un taux de chômage qui atteint les 15% (contre 7% dans la population française). Pour certains, leur arrivée tardive en France les empêche de cotiser dès le début de leur vie active et retarde de ce fait leur accès à la retraite dans le système actuel.

C’est le cas de Moussa, chibani de 67 ans, manutentionnaire à Geodis depuis 40 ans : « J’ai 67 ans, bientôt 68 ans. Quand j’ai commencé à bosser, j’étais jeune. Quand on est jeune on ne fait pas attention aux papiers, aux fiches de paie, etc… et ça ils nous le font payer. »

Par ailleurs, les difficultés auxquelles font face ces travailleurs pour renouveler leurs titres de séjour sont accentuées par la loi Asile et Immigration du gouvernement Macron qui réduit les conditions d’attribution du droit d’asile. Elle les force à alterner avec des périodes de travail non déclarées. Le système actuel fabrique donc des sans-papiers, plus facile à surexploiter par les patrons dans des emplois mal payés et aux conditions de travail difficiles.

Ibrahim, travailleur sans-papier témoignait en novembre dernier pour Révolution Permanente : « Pour savoir si tes papiers sont vraiment à toi ou pas, ils vont te demander toujours plus. Plus tu acceptes les charges de travail supplémentaires, plus les patrons savent que tu es sans-papiers ». Ces périodes durant lesquelles le patron profite allègrement d’une main d’œuvre à bas coût non déclarée ne sont évidemment pas prises en compte dans le calcul des annuités.

Dans ce cadre, l’accélération de l’application de la réforme Touraine, qui porte à 43 ans la durée de cotisation, va donc aggraver la situation de toutes celles et ceux pour qui ces périodes de travail hachées, qu’elles soient ponctuées de chômage ou d’absence de titres de séjour, comptent comme autant d’années « en moins » dans le cumul des annuités, réduisant les possibilités d’une ouverture des droits à la retraite sans décote pour les travailleurs étrangers.

De même, « le minimum retraite à 1200 euros » présenté comme la garantie d’une retraite digne pour toutes et tous, et dont le montant est déjà insuffisant pour vivre, ne concernera que les travailleurs ayant cotisé tous leurs trimestres avec un niveau de salaire n’ayant jamais dépassé le Smic. Déjà extrêmement restrictif, comme le révèle Mediapart, ce critère exclut de fait une grande partie des travailleurs étrangers qui peinent d’autant plus à cumuler les annuités nécessaires à un taux plein.

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La non prise en compte de la pénibilité au travail une attaque contre les travailleurs étrangers

En plus des carrières hachées, les travailleurs étrangers exercent dans les métiers les plus pénibles. En France, ils représentaient en 2021 38,8% des employés de maison, 28% des agents de gardiennage et de sécurité, 27% des ouvriers non qualifiés du BTP, 24% des ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment. Le rapport de 2021 de la Dares résume « Plus les conditions de travail sont difficiles et plus la tension de recrutement est élevée, plus forte et la probabilité que l’emploi soit occupé par un immigré ».

En effet, les métiers qu’ils et elles exercent impliquent souvent des périodes de travail en dehors des plages habituelles, du travail répétitif, des contraintes physiques ainsi que le morcellement des journées de travail. Fernande, 62 ans, agent de nettoyage témoignait pour Révolution Permanente : « Notre travail est physique : il faut d’abord se lever très tôt le matin, puis il faut rester debout et marcher longtemps. […] Il faut ramasser les poubelles, on est exposés à tous les microbes. Le travail est répétitif, on a mal aux coudes, aux poignets, aux articulations, aux genoux, aux chevilles, aux épaules. »

Avec cette réforme, le gouvernement ne fait en réalité rien sur le terrain de la pénibilité qui impacte particulièrement les travailleurs étrangers. La réforme se limitera essentiellement à « plus de prévention » et le gouvernement propose de laisser partir seulement ceux qui seront « reconnus inaptes au travail » autrement dit totalement cassés par le travail.

Ainsi, cette nouvelle réforme réduira certainement, pour les travailleur-ses des métiers les plus difficiles le temps de retraite en bonne santé. En effet, les travailleurs étrangers sont souvent plus touchés par les accidents du travail entraînant une incapacité permanente ou partielle du fait de la pénibilité, mais aussi du fait de conditions de travail dégradées auxquels ils sont confrontés face à des patrons qui profitent de leur situation administrative pour les exploiter davantage.

Par ailleurs, une étude de l’Insee reprise par Libération révélait que 30% des 5% des hommes les plus pauvres étaient déjà morts à 65 ans. Selon l’Insee, les étrangers ont un niveau de vie moyen inférieur de 20% à celui des non-immigrés, le niveau de vie moyen le plus faible étant celui des immigrés originaires d’Afrique. Ainsi, 30,7% des immigrés en France soit près d’un immigré sur trois vit sous le seuil de pauvreté, quand ce taux est de 13,2% pour les non-immigrés. Il fait donc peu de doute que les travailleurs étrangers sont surreprésentés dans ces 30% des hommes les plus pauvres déjà morts avant 65 ans.

Défendre la régularisation des sans-papiers et le droit à la retraite pour tous et toutes

Ainsi, ce projet de réforme des retraites précarisera davantage toute une partie des travailleurs étrangers déjà fragilisés par un système qui fabrique des sans-papiers et les maintient par une division raciste du travail dans les emplois les plus difficiles. Nombre d’entre eux, notamment ceux qui ne sont pas régularisés, n’ont de toute façon pas accès à la retraite dans le système actuel, ou vivent avec une pension dérisoire ou avec le minimum vieillesse, dans tous les cas en dessous du seuil de pauvreté. Or, même ce dernier minima social, suppose d’être régularisé et de prouver un séjour régulier sur le sol français alors que de nombreux immigrés cherchent à passer leur retraite dans leur pays d’origine auprès de leurs proches et après une longue vie de travail en France.

Le cas des chibanis, ces travailleurs maghrébins massivement exploités par le patronat français comme main d’œuvre bon marché entre les années 1950 et 1980, est ainsi emblématique du traitement raciste réservés aux retraités immigrés. Souvent dans une grande précarité et isolé au moment de leur retraite les chibanis ne touchent pour une partie que le minimum vieillesse ou de maigres pensions. Les chibanis de la SNCF avaient ainsi mené une lutte victorieuse pour faire reconnaître leurs droits, à la retraite notamment, et avaient fait condamner la SNCF pour discrimination alors que celle-ci ne les avait pas employés au statut de cheminot.

Avec cette réforme, le gouvernement ne fera que rendre toujours plus difficile la possibilité pour les travailleurs régularisés d’accéder à une retraite décente. En ce sens, loin des mensonges du gouvernement cette attaque pèsera encore plus lourd sur les plus précaires au premier rang desquels les femmes et les travailleur·ses étranger·es.

D’autant plus qu’en avril, le gouvernement Macron prépare une deuxième attaque qui visera essentiellement les étrangers et les sans-papiers en France : la loi immigration. Ce projet supervisé par Darmanin prévoit d’accorder un titre de séjour spécifique dans les dits « métiers en tension », qui sont pour la plupart les plus pénibles, rendant encore plus dépendant les travailleur·ses immigré·es du bon vouloir des patrons et réduisant de ce fait l’accès aux titres de séjour.

La bataille pour la réforme des retraites doit donc constituer un point d’appui pour une mobilisation plus large contre ce projet de loi raciste du gouvernement qui souhaite trier les immigrés pour mieux en surexploiter une partie et faire baisser les salaires de tous les travailleurs.

Pour cela, il faut se battre d’une part pour un retour de l’âge légal à 60 ans et pour le droit au départ à 55 ans dans les métiers les plus pénibles. Mais aussi revendiquer haut et fort la régularisation de tous les sans-papiers qui est la condition pour imaginer obtenir une retraite. Elle doit aussi permettre de s’opposer au projet de loi immigration présenté en avril à l’Assemblée. Le mouvement ouvrier doit donc se saisir de ces revendications, il s’agit de refuser la mort au travail promise par cette réforme pour les plus précaires des travailleurs et de défendre le droit à une retraite décente et en bonne santé pour toutes et tous, avec ou sans papier.

 
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