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La Izquierda Diario
6 de février de 2023 Twitter Faceboock

Témoignage
Elsa, étudiante-travailleuse du CROUS : « Je n’ai pas envie de travailler jusqu’à ma mort »
Le Poing Levé

Après les journées de mobilisation du 19 et du 31 janvier contre la réforme des retraites durant lesquelles les travailleurs du CROUS se sont mobilisés, Elsa étudiante et travailleuse du CROUS sur le campus du Mirail revient sur ses conditions de travail et le plan de bataille face à la réforme.

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Révolution Permanente : Est-ce que tu peux commencer par te présenter ?

Elsa : Je m’appelle Elsa, je suis militante au Poing Levé de Toulouse et je suis en reprise d’étude en première année de licence science de l’éducation à la faculté du Mirail, avant ça j’étais esthéticienne pendant plusieurs années. À côté de mes études, je travaille au restaurant universitaire du CROUS sur le campus depuis la rentrée universitaire de septembre dernier.

RP : On a pu constater notamment depuis la pandémie la situation précaire d’un grand nombre d’étudiants qui ont du mal à se nourrir correctement, finir les fins de mois et voient leur situation financière se détériorer encore plus avec l’inflation. Est-ce qu’en tant qu’étudiante tu te sens concernée par la précarité et les difficultés financières ?

Elsa  : Oui bien-sûr je me sens concernée car je vis entre 500 et 700 euros par mois. Avec l’inflation, les prix des courses ont beaucoup augmenté comme le prix de l’énergie, ce n’est pas vivable. J’arrive même au point où j’ai peur de tomber malade car ça me ferait perdre de l’argent. Il faut tout calculer au centime près, je pense qu’à partir du moment où tu dois tout calculer, où tu stresses de payer ton loyer, on peut parler de précarité. Je ne pense pas être un cas isolé, j’ai plein d’amis étudiants dans les mêmes conditions de vie que moi et on a bien vu avec les files d’étudiants devant l’aide alimentaire durant la pandémie que c’est un problème global qui touche la jeunesse.

RP : Le stresse que tu racontes et le fait d’être obligée de te salarier à côté de tes études pour vivre, est-ce que ça t’handicapes pour ton parcours scolaire ? Comment tu arrives à combiner les deux ?

Elsa : Oui, forcément ça me fait perdre énormément de temps pour travailler. Ça me fatigue aussi, je suis moins concentrée en cours car je travaille entre midi et deux. Dès que je finis un cours, je vais travailler puis je retourne en cours. Quand je rentre chez moi, je suis fatiguée et du coup en général j’ai peu de temps pour travailler mes cours.

RP : Concernant ton travail, est-ce que tu pourrais nous expliquer comment ça se passe au CROUS ?

Elsa : Les contrats étudiants sont très précaires. On est payé à l’heure et on ne doit pas dépasser un quota d’heures maximum dans l’année. On est complètement soumis aux besoins du restaurant, s’ils n’ont pas besoin de nous ou si on est malade, on est tout simplement pas payés, c’est pas sécurisant. Après il y a les CDI et les CDD. Ces derniers sont aussi très précaires parce qu’ils sont renouvelés tous les 2 ou 3 mois et vivent avec le stresse de ne pas être reconduits alors qu’ils ont entre 40 et 60 ans, ont une famille, des charges…

En plus, c’est un travail très physique, on est toujours debout, on doit porter des plats lourds. Moi je sors du CROUS épuisée alors que je ne suis là que 2 heures par jour et je suis jeune. Clairement c’est un travail à la chaîne. Il faut aller vite, être concentré, prendre les commandes, faire les plats etc… Une collègue me disait qu’avant il y avait des postes réservés à certaines tâches, avec le manque d’effectif ces postes ont disparu. Certains se retrouvent à faire le ménage, le service, la préparation, tout en même temps sans être formé, y compris ceux qui ont des problèmes de dos. J’ai des collègues qui sont là depuis plus longtemps que moi et qui ont développé des maladies liées au travail, des hernies discales, des tendinites et qui ne peuvent pas se mettre en arrêt maladie car financièrement ce n’est pas possible. Le pire c’est qu’ils doivent tirer encore 20 ans au boulot dans ces conditions-là.

RP : Tu parlais du sous-effectif, en octobre dernier la CGT avait lancé un préavis de grève national et illimité pour tous les CROUS en dénonçant le manque de personnel, les bas salaires et les conditions de travail. Au micro de L’Opinion Indépendante, la secrétaire régionale CGT du CROUS de Toulouse avait même qualifié le fait de travailler au CROUS comme étant de "l’esclavage moderne". À Toulouse, vous aviez répondu à cet appel par une grève le 18 octobre. Est-ce que tu peux revenir sur ce mouvement ?

Elsa : Pour les étudiants c’est compliqué de se mobiliser, il faut imaginer que 2 heures de grève, c’est 10 paquets de pâtes en moins. Heureusement, les CDI font grève. La mobilisation du 18 octobre était une initiative positive, il faut que nos conditions de travail changent ! Mais cette date était sans lendemain, sans perspectives, alors il y avait une sorte d’acceptation de faire une journée de grève isolée sachant aussi que reconduire le mouvement était financièrement trop compliqué pour les collègues. Le soir même de cette grève, la secrétaire de la CGT a demandé à ne pas reconduire la grève sous prétexte que la direction avait proposé des négociations. D’un côté il n’y a rien eu, les promesses de la direction n’ont rien changé et non pas été appliquées : tous les CDD n’ont pas été titularisés, les conditions de travail n’ont pas évolué, les salaires non plus. Mais d’un autre côté, le fait que la direction ait voulu engager des négociations dès le soir même, ça montre que la grève a eu un effet, qu’on avait un certain rapport de force. C’est le signe que ce n’est que comme ça qu’on va pouvoir arracher nos revendications, c’est aussi le signe qu’on ne doit pas croire aux belles paroles des directions, il ne faut pas leur faire confiance et on doit les forcer à appliquer leurs promesses.

RP : Très récemment, vous vous êtes de nouveau mobilisés par la grève à l’appel du 19 et du 31 janvier cette fois-ci contre la réforme des retraites. Pourrais-tu nous parler de ces mouvements de grève et de ce que représente cette réforme pour toi et tes collègues ?

Elsa : Ce mouvement a un peu plus mobilisé que les autres appels. Notamment parce qu’au CROUS il y a pas mal de personnes proches de la retraite, que les conditions de travail sont dures et qu’un, deux ou trois ans de travail en plus c’est énorme pour quelqu’un qui a des problèmes de santé et qui est super mal payé. C’est une promesse de mort lente… Honnêtement, je ne pense pas que certains collègues puissent physiquement travailler jusqu’à 60 ans. À 50 ans il y en a qui sont déjà cassés en deux. Psychologiquement, c’est une perspective d’avenir déprimante : certains arrivent dégoûtés, la gueule par terre et la boule au ventre. La réforme des retraites a vraiment mobilisé tout le monde : le restaurant universitaire était fermé, les étudiants ont été appelés à ne pas venir travailler, le CROUS ne tournait pas du tout, beaucoup de collègues sont allés manifester. Le fait que le 31 soit encore plus massif montre qu’on a la force de faire reculer le gouvernement.

RP : Le 31 janvier, la jeunesse a commencé à prendre part à la bataille contre la réforme des retraites. On voit dans beaucoup de facs que des assemblées générales s’organisent et que les jeunes sont déterminés et cherchent à se lier avec d’autres secteurs de la société. En tant qu’étudiante, est-ce que tu as participé à ces mobilisations et comment vois-tu le rôle de la jeunesse dans cette bataille ?

Elsa : Cette réforme en dit beaucoup sur le monde qu’on veut nous imposer. Ça ne m’étonne pas qu’il y ait un large refus d’une perspective d’avenir où on nous traite comme un chiffre qui doit rapporter de l’argent, à travailler 35 heures par semaine, à faire quelque chose que l’on n’apprécie pas forcément, être mal payé, avec des patrons qui font ce qu’ils veulent de nous. Cette réforme veut nous faire travailler plus de la moitié de notre vie, à la retraite on sera cassés en deux sans pouvoir profiter. Je n’ai pas envie de travailler jusqu’à ma mort.

Les étudiants ont bien raison de se sentir concernés et on doit faire en sorte de mobiliser tout le monde. La jeunesse peut apporter sur ce terrain-là, comme elle l’a déjà fait historiquement en s’organisant pour que la mobilisation et les grèves prennent un caractère plus large et de remise en cause du système. Il faut qu’on se souvienne de la force du mouvement étudiant, j’ai vu une pancarte la dernière fois que j’ai bien aimé : « Tu nous mets 64, on te re-mai 68 ». Pour ça, on va devoir soutenir les travailleurs qui seront en grève et qui sont la clé pour faire reculer le gouvernement. Par exemple, on pourrait militer pour des caisses de grève pour les travailleurs du CROUS, de la sécurité, du nettoyage de nos facs, ça les aiderait à tenir le mouvement. Pendant les assemblées générales on pourrait imaginer que les travailleurs de la fac nous rejoignent pour se rencontrer, discuter de nos revendications et s’organiser ensemble.

RP : Quelles perspectives vois-tu après la mobilisation du 31 ?

Elsa : Tout le monde sait que les journées isolées ne suffiront pas à faire reculer le gouvernement, il est nécessaire de rentrer dans un mouvement dur. Si on ne gagne pas cette bataille, ce n’est pas perdu, mais c’est un grand pas en arrière. Par contre si on gagne, on envoie un énorme message d’espoir, on montre qu’on peut avoir le rapport de force et revendiquer beaucoup plus ! Je le vois en parlant avec mes collègues et dans les cortèges aussi, la mobilisation dépasse la simple question des retraites. Les gens en ont marre, ils parlent de l’inflation, de leurs conditions de travail, de la casse des services publics etc… Si on arrive à faire comprendre qu’on peut gagner bien plus que le retrait de la réforme si on gagne, on arrivera à implanter un sentiment de reprise du « pouvoir », ça peut changer beaucoup de choses. C’est l’occasion d’aller plus loin et de mettre sur le tapis l’indexation des salaires et des pensions sur l’inflation ou encore un revenu étudiant à hauteur du SMIC qui serait financé par les grandes fortunes qui pendant que nous on trime gagne des sommes astronomiques.

 
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