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La Izquierda Diario
10 de février de 2023 Twitter Faceboock

Impérialisme
TotalEnergies relancera-t-elle son projet gazier au Mozambique malgré le conflit armé ?
Philippe Alcoy

La conjoncture internationale redonne une importance centrale au gaz mozambicain. TotalEnergies le sait et entend exploiter les ressources gazières de la région de Cabo Delgado, dévastée par un conflit armé qui dure depuis des années, où elle possède un investissement de plusieurs milliards à l’arrêt depuis 2021.

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Crédits photo : CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Le 3 février dernier le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné a réalisé une visite éclair dans la région de Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique. C’est dans cette région que la multinationale française possède un investissement d’environ vingt milliards d’euros sur un projet gazier. Soit l’investissement privé le plus important de l’histoire du continent africain.

Pouyanné s’est rendu au site de production de TotalEnergies dans la péninsule d’Afungi, à la frontière avec la Tanzanie, au village de Quitunda et dans les villes de Palma et Mocímboa da Praia ; cette dernière hautement symbolique car elle est restée un an sous contrôle des milices islamistes se revendiquant de l’Etat Islamique. Le PDG français a également rencontré le président du Mozambique, Felipe Nyusi.

Cette visite est non seulement hautement symbolique mais elle est aussi très importante car elle marque un possible redémarrage des travaux pour l’exploitation du gaz de la part de TotalEnergies. En effet, en avril 2021 la multinationale hexagonale a dû arrêter ses chantiers sur place à la suite d’une attaque des milices islamistes dans la zone.

Bien avant cette offensive islamiste dans la zone où TotalEnergies possède ses investissements et chantiers, on spéculait sur une « assistance » militaire, voire d’une intervention directe, de la part des puissances de l’UE, dont la France bien évidemment. Cependant, c’est finalement une intervention militaire d’armées de pays de la région qui a été mise en place l’été 2021.

Celle-ci a deux acteurs centraux et en quelque sorte en concurrence entre eux : le Rwanda et les armées des pays de la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) dominée par l’Afrique du Sud. Ces interventions, qui étaient annoncées comme temporaires et de courte durée (trois mois), sont toujours en place près de deux ans plus tard. L’Etat français (et TotalEnergies) a joué un rôle primordial pour pousser à la militarisation de la région et de cette crise socioéconomique et politique.

Pendant ces presque deux ans le PDG de TotalEnergies a dit à plusieurs reprises que la reprise des travaux dépendait de la situation sociale, humanitaire et sécuritaire. Cependant, les conditions économiques du secteur au niveau international ont changé brusquement avec la guerre en Ukraine et le gaz mozambicain a pris une importance centrale et est devenu une opportunité pharamineuse de faire des profits. En effet, au cours de la guerre en Ukraine non seulement les prix des hydrocarbures ont explosé mais l’UE est encore plus « désespérée » pour trouver de nouvelles sources d’approvisionnement de gaz et pétrole alternatives aux importations russes.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la visite de Pouyanné à Cabo Delgado. « Nous reprendrons les activités le jour où je pourrai visiter Afungi, Palma et Mocímboa », déclarait Pouyanné en mai 2022. C’est chose faite. Mais la situation sécuritaire et humanitaire est loin d’être stabilisée ou revenue à une certaine forme de « normalité ». C’est pour cela que le PDG de TotalEnergies a nommé Jean-Christophe Rufin à la tête d’une mission « indépendante » pour surveiller la situation humanitaire. Cette mission doit émettre un rapport à la fin du mois de février afin de déterminer si les conditions sont réunies pour redémarrer les travaux à Cabo Delgado sur le site de Total.

Jean-Christophe Rufin a été vice-président de Médecins sans frontières et président d’Action contre la faim. Il a également été ambassadeur au Sénégal et en Gambie. Parmi ses autres postes il a été conseiller auprès du secrétaire d’État aux Droits de l’homme et du ministère de Défense. Autrement dit, une sorte « d’Homme d’Etat à visage humanitaire ». Ce n’est pas un hasard. TotalEnergies sait qu’elle peut compter sur le soutien total et inconditionnel de l’Etat français pour la défense de ses intérêts, Total étant en même temps un atout de l’influence de l’impérialisme français dans son ensemble.

En ce sens, comme le dit Rui Mathe, chercheur dans le domaine de l’industrie extractive au Center for Public Integrity (CIP), une organisation non gouvernementale (ONG) mozambicaine, « la multinationale française pourrait utiliser l’évaluation de l’expert indépendant - Jean-Christophe Rufin, médecin, écrivain et diplomate lusophone - pour légitimer l’option de redémarrer le projet à Cabo Delgado, même dans un contexte où l’insurrection armée est toujours active dans la province ». Fátima Mimbire, une activiste sociale analysant le secteur de l’industrie extractive, abonde dans le même sens : « Ces entreprises aiment beaucoup être une île dans un territoire et ce document, qui doit provenir d’un consultant indépendant en matière de sécurité, devrait finalement dire qu’il y a un risque, mais qu’il est atténuable, si TotalEnergies a toujours des intérêts au Mozambique ».

La possibilité que ce rapport « indépendant » conduise TotalEnergies à abandonner son projet semble plus qu’improbable dans le contexte actuel. Autrement dit, il est presque certain que la mission dirigée par Jean-Christophe Rufin servira de couverture « humanitaire » et « indépendante » pour un retour de TotalEnergies dans la région et une accélération dans les travaux pour exploiter au plus vite du gaz mozambicain. Il reste cependant à voir si les conditions seront vraiment réunies pour permettre à la multinationale française de mener à bien son projet.

En effet, de l’avis de plusieurs analystes la situation dans la région reste très tendue et dangereuse. Les combats entre les forces islamistes et les armées africaines qui interviennent dans la région se poursuivent. Les attaques des milices islamistes contre les civils aussi. Les crimes et abus de la part des forces armées mozambicaines ou étrangères touchent également les civils.

Le site Cabo Ligado, qui suit le conflit de près, résume de la façon suivante les attaques de ces derniers jours et semaines : « les insurgés se sont divisés en trois groupes de combat principaux qui, la semaine dernière, ont mené des attaques simultanées le 4 février dans les districts de Mueda, Montepuez et Meluco. Les attaques avaient apparemment pour but de couper les deux principales routes reliant le nord et le sud de la province de Cabo Delgado, et ont eu lieu juste au moment où le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, visitait la région. Une force a frappé le village de Chapa à Mueda dans la matinée, décapitant au moins deux civils et enlevant plusieurs autres, selon des sources locales. L’État islamique (EI) a affirmé sur les médias sociaux avoir tué cinq personnes. Il s’agit probablement du même groupe qui a attaqué Nacala et Homba dans le sud de Mueda le 24 janvier ».

La situation semble très loin de présenter un calme quelconque et encore moins la sécurité des travailleurs, leurs familles et des populations locales. La soif de profits pousse cependant TotalEnergies à tenter de redémarrer la production au milieu de cette énorme crise humanitaire et d’un conflit armé toujours en cours, exposant potentiellement les travailleurs à ces risques. La classe ouvrière et la population locale ne peut faire aucune confiance à des multinationales comme TotalEnergies ; elles sont responsables directs des souffrances, de la dépossession des terres et des ressources des paysans et pêcheurs locaux ; elles sont aussi responsables des dévastations écologiques dans cette région.

Quant aux travailleurs et travailleuses de TotalEnergies en France, leurs intérêts ne sont pas du côté du patronat avide d’exploiter et spolier les richesses mozambicaines mais de celui de la classe ouvrière et des populations locales du Cabo Delgado. C’est donc le rôle du mouvement ouvrier français de remettre en question ces projets écocides, totalement dévastateurs pour les structures socioéconomiques locales mais aussi de la politique générale des multinationales impérialistes françaises.

 
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