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La Izquierda Diario
20 de février de 2023 Twitter Faceboock

Bataille des retraites
Le 7 mars doit être le point de départ d’un mouvement reconductible et politique dans les facs
Ariane Anemoyannis
Erell Bleuen

Les appels au blocage reconductible des universités à partir du 7 mars se multiplient. Comment préparer cette perspective pour que le mouvement étudiant joue un rôle d’étincelle vers la grève reconductible contre Macron et son monde ?

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Crédits photo : Géraud D

Pour réussir à vaincre Macron, la nécessité de durcir la bataille contre la réforme des retraites commence à s’imposer dans le paysage.

Déjà le 8 février, certains secteurs du monde du travail tels que les ports et docks, les cheminots, les raffineurs et les énergéticiens avaient formulé la nécessité de reconduire la mobilisation de la veille appelée par l’intersyndicale. Désormais, cette perspective gagne du terrain après cinq journées de 24 heures, avec des appels à la reconductible à partir du 7 mars dans les transports, la pétrochimie, l’énergie, l’Education nationale et chez les éboueurs.

Dans les universités aussi, plusieurs appels au « blocage reconductible » à la rentrée ont émané des Assemblées générales étudiantes. A Rennes 2, les étudiants ont voté le blocage illimité de leur université à compter du 7 mars. En région parisienne, l’appel de l’AG interfacs ayant réuni une dizaine d’établissements souligne l’urgence pour la jeunesse de « rentrer dans la lutte contre Macron et les patrons, en préparant la grève reconductible début mars aux côtés du monde du travail ». En parallèle, plusieurs organisations de jeunesse invitent dans un communiqué unitaire à « continuer la mobilisation le 9 mars » pour « faire monter la pression aux côtés des travailleurs ».

Une perspective de durcissement de la mobilisation en miroir de la colère profonde et multi-factorielle qui s’exprime dans la jeunesse depuis plusieurs années, mais qui n’a pas encore eu l’occasion de se développer totalement dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites. Pourtant, comme l’évoque l’appel issu de l’AG interfacs de région parisienne, celle-ci est une incroyable « opportunité de faire payer la facture à Macron pour l’avenir qu’il nous prépare ». Autrement dit, pour que les appels à bloquer les facs de façon reconductible puisse porter concrètement la mobilisation au niveau supérieur, il reste à résoudre certaines contradictions du mouvement dans la jeunesse qui se sont exprimées jusqu’ici.

Faire des jeunes les protagonistes de la mobilisation dans les universités pour déployer tout le potentiel du mouvement étudiant

L’entrée de la jeunesse dans le mouvement s’est largement faite remarquer : selon l’UNEF, 150.000 jeunes auraient pris la rue le 31 janvier, et 180.000 le 7 février, avec des dizaines d’universités bloquées pour l’occasion. Mais si les cortèges jeunes se remplissent manifestation après manifestation, la dynamique se répercute encore de manière inégale dans les Assemblées Générales. Au Mirail, à Rennes 2 où à Paris 1, les AGs se massifient tandis que d’autres universités comme Paris 8, Paul Valéry (Montpellier) ou Saint-Charles (Marseille) peinent à réunir plus d’une centaine de personnes à chaque Assemblée Générale.

Au même titre que dans le monde du travail, la faiblesse des Assemblées Générales découle d’une certaine confiance accordée au calendrier imposé par l’Intersyndicale, qui tend à pacifier les secteurs qui se mobilisent en ne proposant qu’un calendrier inamovible de manifestations ponctuelles. Et si des propositions ont rapidement émergé dans la jeunesse, elles ne peuvent incarner d’alternative à cette passivité organisée par les directions syndicales dès lors qu’elles sapent elles-aussi toute possibilité d’auto-organisation dans les facs et les lycées : de la marche du 21 janvier, à l’organisation du blocage de Rennes 2 pendant une réunion du député Louis Boyard en passant par les actions minoritaires décidées en dehors des AGs, tous éludent l’enjeu de l’organisation démocratique des étudiants. Pourtant, c’est une condition sine qua none pour que la jeunesse devienne un sujet politique propre en décidant de son propre rythme de mobilisation, de ses revendications, et de ses modes d’action.

Un objectif auquel s’attellent jusqu’ici les Assemblées générales étudiantes qui ont déjà à leur actif un certain nombre de démonstration, à l’instar de l’organisation d’une manifestation sauvage étudiante dans le quartier latin le 8 février, de rassemblements dans plusieurs villes de France en dehors du calendrier de l’Intersyndicale, ou même de la préparation d’une journée nationale de mobilisation dans la jeunesse le 23 février pour dépasser le seul mot d’ordre du retrait de la réforme des retraites et préparer de cette manière la reconductible de la rentrée.

Mais pour que ces cadres d’auto-organisation permettent de construire véritablement le mouvement « par en bas » dans les facs et les lycées, ils doivent être investis de la masse des étudiants et lycéens mobilisés. Emmanuel Barot l’écrivait déjà en 2016, « c’est dans ces AG que peut se cristalliser et s’organiser non seulement une mobilisation massive, mais par-delà, la seule véritable « radicalité » politique ». Dans ce sens, le durcissement de la lutte contre la réforme des retraites dans la jeunesse est encore intimement lié à la construction patiente d’assemblées générales massives, capables d’étendre les revendications du mouvement, de proposer des actions qui dépassent le calendrier imposé par les directions syndicales et de construire une alliance avec le monde du travail.

Pour cela, il s’agit de renouer avec la tradition du mouvement étudiant, mis à mal par plusieurs années de répression policière et administrative. La majorité des étudiants qui occupent les bancs de l’université ont en effet plutôt été familiarisés avec la fermeture des facs à cause des confinements successifs, au basculement en distanciel des enseignements à la moindre mobilisation sur la fac, et aux violences policières lorsqu’ils tentaient de bloquer leur établissement, qu’aux mobilisations étudiantes et aux méthodes qui les accompagnent. Pour une bonne partie d’entre eux, le rôle des Assemblées Générales pour structurer la mobilisation dans les facs et discuter des revendications n’a donc rien d’évident. Qui plus est, ces dernières années, les jeunes se sont largement mobilisés dans les manifestations pour le climat, les marches féministes ou la lutte contre les violences policières et le racisme d’État, sans que ces combats ne s’organisent aux seins des universités ni ne se dotent de cadres d’auto-organisation pour développer et radicaliser la mobilisation.

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Faire de la mobilisation contre la réforme des retraites une opportunité pour riposter face aux attaques généralisées de Macron contre les jeunes

La profondeur du mouvement actuel, qui s’étend sur une surface géographique et sociale extraordinaire, s’observe également dans la mobilisation étudiante et lycéenne. Habituellement, les luttes étudiantes restent concentrées dans les universités et lycées des métropoles. Mais aujourd’hui, de nombreuses villes moyennes se sont ajoutées à la liste : à Poitiers, Calais, Dijon, Besançon, Rouen, Brest ou encore Albi, lycéens et étudiants prennent part aux manifestations, impulsent des Assemblées Générales sur leur campus et y organisent des actions. Et même au sein des grandes villes, le mouvement dépasse les universités fréquemment mobilisées. Car s’il n’est pas rare d’entendre les noms du Mirail ou de Rennes 2, la mobilisation de l’Université du Capitole et de Paul Sabatier à Toulouse (pour ne citer que ces deux exemples) revêt un caractère plutôt inédit.

En réalité, si c’était « dur d’avoir 20 ans en 2020 » comme l’affirmait le chef de l’État pendant la crise sanitaire, ce n’est pas plus facile d’avoir 23 ans en 2023. La réforme des retraites agit ainsi comme une étincelle qui vient réveiller la colère accumulée dans la jeunesse face à l’avenir que le capitalisme leur offre : une société où 40% des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté, où les jeunes alternent entre chômage et jobs précaires alors que leurs parents doivent travailler jusqu’à la mort, où la crise climatique s’approfondit pendant que les patrons qui polluent la planète cumulent des profits records.

Si nombre de jeunes qui rejoignent le mouvement contestent une réforme qui va les impacter de plein fouet, la colère qui s’exprime dépasse donc de loin la question de la réforme, et les mots d’ordres contre la précarité étudiante, mais également la crise climatique où encore la Loi Immigration fleurissent dans les Assemblées Générales et les cortèges. Notamment, après plusieurs années de mobilisations féministes importantes, tant sur les violences sexistes et sexuelles que sur les droits démocratiques des personnes LGBTI, les questions de genre sont largement présentes au sein du mouvement dans la jeunesse.

Interrogé par RFI, le sociologue Paolo Stuppia décrit la contestation de la réforme dans la jeunesse comme « la goutte de trop dans un horizon déjà bouché à plusieurs étages  ». « Une provocation supplémentaire dans un ensemble de politiques publiques – on se souvient de la baisse de cinq euros des aides pour le logement (APL) par exemple – qui finalement, à terme, seraient toujours élaborées contre les jeunes et les moins favorisés de la société ».

Autrement dit, la mobilisation contre la réforme des retraites incarne le catalyseur d’une colère plus profonde et générale de l’ensemble de la population, mais aussi de la jeunesse après six années d’attaques systématiques et la promesse d’un avenir sombre. De ce point de vue, il apparaît nécessaire que la mobilisation étudiante ne s’en tienne pas à une contestation pure et simple de la réforme des retraites mais inclue l’ensemble des revendications relatives aux attaques sociales, politiques et idéologiques contre la population et la jeunesse. Dans les Assemblées générales, plusieurs initiatives vont déjà en ce sens, à l’instar de la motion votée en AG à Paris 1 contre la loi Asile et Immigration. De même, le fait que la reconductible se pose dans plusieurs secteurs du monde du travail et chez les étudiants à la veille de la Journée Internationale de lutte pour les droits des femmes doit être un point d’appui pour faire de la grève une grève politique et féministe.

Alors que l’intersyndicale cherche à délier la mobilisation féministe du 8 mars de la lutte pour la réforme des retraites, en cantonnant la journée à une date sans manifestation qui serait seulement l’occasion de « mener des actions et des communications spécifiques sur la situation des femmes par rapport à la retraite », la jeunesse doit se saisir du 8 mars pour poser des revendications féministes qui aillent au delà du retrait de la réforme : un droit effectif à l’IVG gratuit, sûr et légal, des moyens massifs pour les services publics ainsi que l’augmentation des salaires. Dans plusieurs universités, des initiatives ont déjà été organisées dans ce sens : à Paris 8, le collectif Du Pain et Des Roses organise une réunion publique avec Adèle Haenel le lundi 20 février pour un « 7 et 8 mars féministes et antiracistes », tandis qu’à l’université de Bordeaux, plusieurs organisations ont impulsé un festival féministe sous le mot d’ordre « de la réforme des retraites au patriarcat, même combat ! ».

Faire du 7 mars le point de départ d’un mouvement reconductible et politique dans toutes les universités de France

« La hantise » du gouvernement concernant une mobilisation de masse dans la jeunesse pourrait donc bien devenir réalité. Mais si la date du 7 mars est désormais posée dans le paysage, il reste à convaincre l’ensemble des étudiants qui rejettent la réforme des retraites, mais également tous ceux qui sont angoissés face à l’avenir qui leur est promis, qui vivent dans des conditions précaires, qui travaillent à côté de leurs études, qu’il est possible d’obtenir bien plus que le retrait de la réforme s’ils rejoignent la mobilisation. Car si Macron est fébrile quant à la radicalisation du mouvement dans la jeunesse (en témoigne la répression de plusieurs universités mobilisées), il a également montré qu’il ne fera aucune concession, même les plus minimales comme la généralisation du repas à un euro, si celles-ci ne lui sont pas imposées par un rapport de force.

Si les blocages d’universités ne suffiront pas à eux seuls pour faire reculer le gouvernement, l’entrée dans la bataille d’un véritable mouvement étudiant qui se lie aux travailleurs pourrait lui contribuer à mettre l’inventivité et la capacité d’entraînement de la jeunesse au service de la construction d’une grève reconductible. Cette dynamique pourrait passer par la transformation des universités en des lieux de mobilisation quotidiens qui fassent vivre la reconductible au travers de meetings, de soirée de soutien, de diffusion des caisses de grève, par l’envoi de délégations étudiantes sur les piquets de grève, ou par la construction d’Assemblées Générales Interprofessionnelles qui permettraient à l’ensemble des travailleurs de devenir des acteurs de la grève.

Alors que ce mouvement nous a déjà appris que seul l’instauration d’un rapport de force plus conséquent pourra faire reculer le gouvernement, il doit désormais se transformer en un combat plus large, qui réclame entre autres la retraite à 60 ans à taux plein, l’indexation des salaires sur l’inflation ou encore la mise en place d’un revenu étudiant financé par le patronat. Car les trois millions de personnes qui sont descendues dans la rue le 31 janvier ont montré qu’au-delà de la réforme, c’est une amélioration des conditions de vie, d’études et de travail qu’ils sont venus chercher. Des revendications qu’il est possible d’obtenir, à condition de construire une grève reconductible politique dans laquelle l’ensemble des universités de France doivent s’inscrire.

 
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