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27 de février de 2023 Twitter Faceboock

Ni Poutine Ni Otan !
A un an du début de la guerre en Ukraine : bilan et perspectives
Claudia Cinatti

Un an après le début de la guerre en Ukraine, qui a réactualisé la possibilité d’une confrontation entre grandes puissances au cœur de l’Europe, retour sur ce conflit et les débats politiques qu’il a suscité à gauche.

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Après un an de guerre, un premier bilan du conflit

Sans prétendre faire une analyse exhaustive de l’évolution du conflit, et en se contentant d’envisager les scénarios les plus probables, soulignons quelques éléments qui pourraient définir le cours de la guerre qui entre dans sa deuxième année.

Commençons par deux définitions générales à partir desquelles nous pensons que les différents moments de la guerre doivent être lus. La première est que, malgré la logique sous-jacente d’escalade, la guerre reste confinée au territoire ukrainien, même si, à mesure que la guerre s’éternise et que l’implication des États-Unis et des puissances de l’OTAN s’approfondit, le risque d’escalade ou même d’accident involontaire augmente.

Suivant une logique exponentielle, l’OTAN accepte de fournir à Zelensky des armes de plus en plus nombreuses et de meilleure qualité – l’Allemagne a finalement accepté d’envoyer ses chars Leopard à l’Ukraine et Biden a fait de même avec les chars Abrams – mais sans franchir la fine ligne qui pourrait conduire à un conflit militaire direct avec la Russie, en particulier la fourniture d’armes et de munitions capables d’atteindre le territoire russe. Biden a jusqu’à présent refusé de fournir aux militaires ukrainiens des avions de combat F16. Mais les analystes font l’hypothèse que s’il continue dans la même voix, il acceptera tôt ou tard de le faire.

En bref, la guerre a une dimension internationale et se poursuit en tant que « guerre économique » par le biais des sanctions imposées à la Russie par les puissances occidentales, mais nous ne sommes pas encore dans la « Troisième Guerre mondiale ». Cela n’enlève rien au fait que la guerre en Ukraine est un bond en avant par rapport aux précédentes guerres asymétriques menées par les États-Unis (et certains alliés), comme les guerres en Irak et en Afghanistan. L’implication des grandes puissances impérialistes traditionnelles et de puissances émergentes – d’un côté, les États-Unis et l’OTAN et, de l’autre, une alliance de la Chine et de la Russie avec divers alliés – lui confère, dans une certaine mesure, un caractère d’avant-goût des confrontations futures dans la lutte pour l’hégémonie.

Deuxièmement, malgré la rhétorique utilisée et l’implication des deux principales puissances nucléaires - les États-Unis et la Russie - , la guerre ukrainienne reste jusqu’à présent une « guerre conventionnelle ». Poutine a fait des allusions indirectes à l’utilisation d’armes non conventionnelles et a suspendu la participation de la Russie au traité Start III, sans se retirer cependant du seul traité de réduction des armes nucléaires existant entre les États-Unis et la Russie. Le risque nucléaire ne peut être exclu ; même certains théoriciens « réalistes », comme John Mearsheimer, estiment que Poutine pourrait utiliser des armes nucléaires tactiques contre les troupes ukrainiennes s’il était acculé en Crimée, par exemple. Aujourd’hui, cependant, « l’Armageddon nucléaire » ne semble être dans l’intérêt politique d’aucune des parties concernées.

D’un point de vue stratégico-militaire, la guerre pourrait être divisée en deux étapes qui expriment la reformulation des objectifs du Kremlin. Une première étape, dans laquelle la Russie a tenté une tactique de blitzkrieg dans le but supposé de forcer la chute du gouvernement pro-occidental de Volodymyr Zelensky et de le remplacer par un gouvernement plus amical. N’ayant pas atteint ses objectifs, une deuxième phase de « guerre de position » brutale, concentrée dans la région du Donbass, à l’est du fleuve Dniepr, a été lancée et se poursuit à ce jour avec des degrés de réussite variables.

Ce que cette première année de guerre a montré, c’est que les gains territoriaux sont instables et difficiles à défendre pour l’armée russe, qui a révélé d’importantes vulnérabilités et des problèmes logistiques. Depuis la dernière contre-offensive ukrainienne et le retrait des troupes russes de la ville de Kherson en novembre 2022, la Russie semble s’être stabilisée autour de la défense de l’occupation de 18-20% du territoire ukrainien, qui comprend la Crimée (annexée en 2014), les régions russophones du Donbass et la ville de Marioupol, qui a été réduite à l’état de ruines bien qu’elle conserve une valeur stratégique en tant que pont entre les territoires sous contrôle russe et en tant que débouché sur la mer d’Azov.

À l’heure actuelle, c’est l’armée russe qui est à l’offensive, menant une bataille sanglante pour le contrôle de la ville de Bakhmout. Plusieurs analystes militaires parlent d’une « offensive de printemps », qui a déjà commencé dans le cas de la Russie, tandis que du côté ukrainien, elle débutera avec l’arrivée de chars et de munitions des puissances occidentales. Mais la plupart s’accordent à dire qu’il est peu probable que cela change la situation, que ce soit en permettant à l’un des deux camps de gagner ou en précipitant une négociation. Par conséquent, bien que toutes les hypothèses soient provisoires, le scénario le plus probable semble être celui d’une guerre d’usure prolongée dont, pour l’instant, tout le monde tire partie.

Quelles perspectives de fin de conflit ?

Ni la partie russe ni la partie ukrainienne/OTAN ne semblent être dans une position où ce qu’elles risquent de perdre dans un accord de paix est moins onéreux que ce qu’elles perdraient en continuant à se battre. Il est clair, cependant, que c’est l’Ukraine qui en fait les frais, à commencer par le fait que la guerre se déroule sur son territoire, ce qui signifie une destruction massive des infrastructures civiles et l’effondrement de son économie.

Pour Poutine, la guerre ukrainienne en termes existentiels est au même niveau que la guerre contre Napoléon ou contre l’Allemagne nazie. Pour Zelensky, seul un retour aux frontières de l’Ukraine de 1991 serait acceptable. Cela implique la récupération du Donbass et de la Crimée.

En public, Biden et les dirigeants des puissances occidentales soutiennent que « l’Ukraine peut gagner », mais en privé, plusieurs d’entre eux reconnaissent qu’il s’agit d’un objectif irréaliste et que le moment approche pour Zelensky d’accepter l’équivalent d’une victoire avec ses propres conditions. Au-delà des discours triomphalistes, les discussions sur la situation réelle sur le terrain ont été au cœur de la Conférence sur la sécurité de Munich, où le consensus, du moins parmi les principales puissances impérialistes et les fournisseurs d’armes à l’Ukraine, est que les armes, plutôt que d’être utilisées pour récupérer les territoires détenus par la Russie, devraient être utilisées pour soutenir une offensive visant à améliorer la position ukrainienne, avec la quasi-certitude qu’aujourd’hui le temps joue contre Zelensky.

Au-delà de ces discussions, ce sont les États-Unis qui mènent l’alliance occidentale « anti-Russie ». Et pour l’instant, prolonger la guerre est une bonne affaire pour Biden. Sur le plan extérieur, elle est permet la recomposition de l’hégémonie américaine sur ses alliés traditionnels, même si elle a aussi montré à quel point elle a perdu le leadership au-delà de l’« Occident ».

Sur le plan intérieur, l’aide à l’Ukraine (limitée à un soutien matériel sans envoi de troupes) continue de bénéficier d’un consensus prépondérant dans l’opinion publique, le complexe militaro-industriel applaudit ses ventes d’armes et de munitions et le parti républicain la soutient pour l’instant, bien qu’une minorité bruyante d’extrême-droite s’y oppose. Car si, en valeur absolue, ce chiffre peut sembler élevé, en termes relatifs, il s’agit d’une somme dérisoire comparée au coût en « sang et en or » d’une action militaire directe contre la Russie.

L’OTAN, qui, selon les termes du président français Emmanuel Macron, était « en état de mort cérébrale » après le coup de vent isolationniste de la présidence de Donald Trump, a retrouvé sa cohésion interne, même si des fissures et des divisions entre les États persistent, l’Europe de l’Est gagnant en importance. L’hiver plus doux que prévu a permis de masquer la crise énergétique et de contenir l’inflation.

Les États-Unis ont rétabli leur hégémonie sur l’Europe, en particulier sur l’Allemagne, qui s’est alignée sur les objectifs de Washington, même si elle a compromis ses intérêts nationaux. Ce n’est un secret pour personne que sous les gouvernements de Merkel, l’Allemagne avait conclu une sorte de marché faustien avec Poutine, qui lui fournissait du gaz et de l’énergie bon marché pour alimenter les rouages de la puissance économique européenne. Avec la guerre en Ukraine et la pression américaine, l’Allemagne a été contrainte d’annuler les gazoducs Nord Stream I et II (selon le journaliste Seymour Hersh, les États-Unis seraient même derrière le sabotage du gazoduc). Dans une large mesure, le président américain est considéré comme l’architecte de la Zeitenwende allemande, un mot fort indiquant le « changement d’ère » vers le militarisme. Mais il n’échappe à personne que ce changement allemand vers le militarisme pose des contradictions à moyen (et peut-être à plus court) terme.

Cependant, cette recomposition du leadership ne suffit pas à inverser la tendance du déclin hégémonique de l’impérialisme américain, qui s’exprime dans les limites mises en évidence par la guerre elle-même. En un sens, l’« Occident » est aujourd’hui une entité géopolitique et militaire qui englobe les États-Unis, l’Europe, le Japon, l’Australie et la Corée du Sud, dans un monde très différent de celui de l’immédiat après-guerre froide, dans lequel non seulement la Chine est apparue comme le principal concurrent et la Russie a remis en question l’« ordre libéral », mais aussi avec une série de puissances régionales dotées d’une certaine capacité à agir selon leurs intérêts.

Cela a conduit certains analystes à parler de l’émergence d’un nouveau « mouvement non-aligné », bien que l’analogie ne semble pas appropriée, surtout si l’on considère que, contrairement à la période de la guerre froide, la plupart des pays ont développé une « dépendance croisée » vis-à-vis des États-Unis, de la Chine et de la Russie, et qu’ils modifient donc leurs positions, gérant leur alignement en fonction d’intérêts économiques, sécuritaires ou même d’affinités politiques. Il est donc difficile de former un bloc plus ou moins permanent avec un leadership reconnu.

D’un autre côté, il existe un « bloc en construction » moins consolidé et moins fluide, dont le noyau est constitué par l’alliance entre la Russie et la Chine, qui a commencé à prendre forme et qui a servi de pôle d’attraction pour plusieurs pays « émergents » du « Sud », Il s’agit notamment de puissances régionales comme l’Inde, d’une grande partie de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine (le Brésil et le Mexique, ni plus ni moins), et même d’alliés historiques comme l’Arabie saoudite (et même Israël), qui, pour divers intérêts nationaux, pas toujours convergents, ne se sont pas alignés sur les États-Unis lors des votes à l’ONU.

La Chine soutient la Russie, mais adopte publiquement une position de neutralité supposée. Jusqu’à présent, elle n’a pas joué pour Poutine de la même façon que le fait le bloc de l’OTAN avec l’Ukraine. Toutefois, la visite de Wang Yi, le plus haut diplomate du gouvernement chinois, à Moscou – qui a coïncidé avec le voyage de Biden à Kiev et à Varsovie – pourrait signaler une évolution vers une coopération plus étroite.

Bien que la comparaison entre le bloc de pays mentionné plus haut et le Mouvement des non-alignés ne semble pas pertinente, son existence a atténué les effets des sanctions occidentales contre la Russie et limité l’impact de l’isolement international que les États-Unis ont cherché à imposer. La Chine et l’Inde ont largement remplacé les marchés européens en absorbant une grande partie des exportations de pétrole et de gaz de la Russie. L’Afrique du Sud a accueilli des exercices militaires navals conjoints avec la Russie et la Chine rien de moins que le jour de l’anniversaire de la guerre en Ukraine. Au cours du premier mois et demi de 2023, la Russie a reçu la visite officielle de neuf pays d’Afrique et du Moyen-Orient.

Entre Poutine et l’OTAN : la nécessité d’une position indépendante

C’est dans ce contexte que se déroule le débat avec la gauche. Si, pour paraphraser Clausewitz, la guerre est la continuation de la politique par des moyens militaires, la guerre en Ukraine est une guerre réactionnaire.

La politique de Poutine consistant à envahir l’Ukraine et même à nier son droit à l’existence (Poutine a affirmé que l’Ukraine était une « invention de Lénine et des bolcheviks ») est absolument réactionnaire. Poutine est à la tête d’un régime autoritaire et despotique au service des oligarques de son cercle restreint qui empêche l’organisation indépendante et démocratique des travailleurs et persécute avec emprisonnement ceux qui s’opposent à la guerre en Ukraine. Avec la guerre, il cherche au minimum à restaurer un statut géopolitique de « grande puissance » au profit du capitalisme russe. Sur la base de l’encerclement de la Russie par les puissances occidentales et de l’avancée de l’OTAN, une partie de la gauche considère que parce que la Chine et la Russie s’opposent à l’hégémonie américaine et prônent un « ordre multipolaire », elles sont anti-impérialistes. Cette défense par la gauche de la « multipolarité » est la base d’une position « campiste » qui se traduit par un soutien à la Russie dans sa guerre réactionnaire et, de fait, à un bloc capitaliste dirigé par la Chine qui cherche à émerger en tant que puissance en approfondissant ses traits impérialistes.

Le gouvernement ukrainien est complètement aligné sur les États-Unis, l’UE et l’OTAN. Sa politique consiste à transformer l’Ukraine en un vassal des États-Unis et de l’UE plutôt qu’en un vassal de la Russie. La politique qui guide ce bloc n’est pas « l’autodétermination nationale de l’Ukraine », comme le prétend une partie de la gauche qui s’est alignée sur ce bloc dirigé par les impérialistes et qui demande plus d’armes pour l’Ukraine. Les États-Unis manipulent la question nationale ukrainienne à leur avantage, ils arment l’Ukraine parce qu’ils cherchent à travers elle à consolider leur hégémonie, à affaiblir leurs concurrents et à s’assurer un bloc pour leur différend avec la Chine. Par conséquent, le triomphe de ce bloc renforcerait les États-Unis et l’alliance occidentale.

L’alternative à des positions telles que celles de la « gauche otaniste » ou de la « gauche du capitalisme multipolaire » est d’affronter la guerre et le militarisme des puissances impérialistes, qui présagent de futures guerres et confrontations, dans une perspective internationaliste et socialiste. Contre l’invasion russe et l’OTAN, nous soulevons la perspective d’une Ukraine indépendante et socialiste et l’unité internationale de la classe ouvrière. Cette perspective est ravivée à un moment où d’importantes sections de la classe ouvrière sont en mouvement, notamment dans les pays centraux comme la Grande-Bretagne et la France, qui, en grande partie affrontent les conséquences de la guerre dans la rue.

 
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