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La Izquierda Diario
27 de février de 2023 Twitter Faceboock

Patrons-pollueurs
« Polluants éternels » : une enquête documente une pollution industrielle massive
Seb Nanzhel
James Draoust

17 000 sites contaminés, des millions de personnes impactées ...Une enquête met en lumière l’ampleur de la pollution aux PFAS, des particules dites « polluants éternels » émises par l’industrie et dangereuses pour l’environnement, les travailleurs et la population.

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Une enquête réalisée par plusieurs médias internationaux réunis dans le collectif The Forever Pollution Projet documente l’ampleur de la pollution aux PFAS en Europe. Le Monde publiait ce jeudi des résultat alarmants, avec plusieurs milliers de sites contaminés en Europe.

Développées dans les années 1940 pour résister à l’eau et à la chaleur, les substances per- et polyfluoroalkylisés (PFAS) sont une famille de molécules synthétiques utilisées dans la plupart des emballages en fibre végétale et certains emballages en plastiques, dans les revêtements antiadhésifs et imperméabilisants, dans la peinture ou encore dans différents produits pharmaceutiques dont les traitements pour l’acné. Autrement dit, ces molécules sont très largement répandues dans les produits du quotidien vendus par les géants de l’industrie.

Ces composés chimiques ne sont pas biodégradables et contaminent les eaux et les sols pendant des années d’où leur appellation de « polluants éternels ». Auprès du Guardian, le professeur en chimie environnementale de l’université de Lancaster, Crispin Hallsal s’inquiète de leur concentration dans les eaux souterraines : « La présence de PFAS dans les eaux souterraines est un gros problème[...] En effet, la population locale ou le bétail peuvent utiliser ces eaux et les PFAS peuvent rester dans les organismes ». Une pollution d’autant plus alarmante que les impacts pour la santé de l’exposition à ces polluants sont soulignés dans de nombreuses études

Une pollution massive à l’échelle internationale…

L’enquête réalisée par le Monde et le Forever Pollution Project recense 17 000 sites contaminés aux PFAS en Europe. Pour 2100 d’entre eux, qualifiés comme hotspots, la concentration de PFAS atteint des niveaux jugés dangereux par différents experts interrogés. Aussi, 230 sites industriels utilisant ou produisant des PFAS ont été relevés, ainsi que 21 500 sites suspectés contaminés.

Ces données ne permettent que d’entrevoir l’ampleur de cette pollution massive, tant les PFAS sont persistants dans l’environnement. En effet, cette pollution est centrée autour de sites industriels et de décharges, mais se propage ensuite dans l’environnement, via les cours d’eau, les sols, la pluie … Le Monde cite un cas emblématique : « en Italie, l’entreprise Miteni a synthétisé et émis toute une gamme de PFAS pendant un demi-siècle. Découverte en 2013, la contamination des eaux de boisson et des sols s’étend sur plus de 200 kilomètres carrés et toucherait jusqu’à 350 000 personnes en Vénétie. »

« Nous en sommes au point où nos ressources environnementales de base sont contaminées et le seront pour longtemps. Et, bien souvent, les niveaux sont supérieurs à ceux qui sont considérés comme non nocifs. Nous évoluons dorénavant dans un espace où nous ne sommes plus en sécurité. », explique au Monde le professeur de chimie de l’environnement et spécialiste des PFAS Ian Cousins.

Une pollution qui s’apparente à un empoisonnement massif de la population. En effet comme le rapporte Le Monde : « 15,6 millions d’Européens seraient touchés par des pathologies dues à une exposition aux PFAS. […] Les problèmes d’hypertension causés par les PFAS pourraient être responsables de la mort de 10 000 personnes chaque année. ». L’exposition aux PFAS est en effet à l’origine d’une multitude de problèmes de santé.

Le Guardian rapporte ainsi « [qu’]une étude américaine menée entre 2005 et 2013, incluant la collecte d’échantillons sanguins d’environ 69 000 personnes vivant près de l’usine DuPont [le groupe ayant introduit l’utilisation des PFAS], concluait qu’il y avait un ‘’lien probable’’ entre l’exposition aux PFOA [une famille des PFAS] et six maladies : haut taux de cholestérol, rectocolite hémorragique, maladie de la thyroïde, cancer des testicules, cancer du rein, et hypertension liée à la grossesse. ». Un catalogue de pathologies qui s’allonge au fur et à mesure des progrès de la recherche, et de la progression des contaminations,. En première ligne de ces dangers : « les employés d’usines où les PFAS sont synthétisées et utilisées, et les riverains de ces sites industriels ».

On estime que 200 millions d’américains boivent au quotidien une eau présentant une concentration de PFAS supérieure au seuil de sécurité avancé par la plupart des scientifiques. Les chiffres ne sont pas connus pour l’Europe et encore moins pour les pays dominés, dans lesquels les pollutions industrielles causées par le patronat prennent une toute autre ampleur.

... orchestrée par le patronat, avec la bienveillance des Etats

Si les éléments de l’enquête révèlent une pollution d’ampleur, les enquêteurs se sont heurtés à l’opacité maintenue par les États et les entreprises. Comme dans de nombreux autres scandales industriels, ces acteurs ont marché main dans la main pour dissimuler l’ampleur des dommages, permettant ainsi aux entreprises de continuer à polluer massivement.

Il faut dire que les enjeux sont énormes. Le Monde rapporte que le traitement de l’eau contre les PFAS aux Etats-Unis pourrait engloutir 400 milliards de dollars : « les dimensions de ce problème sont si gigantesques qu’il est tout simplement impossible à quantifier », reconnait au journal le chercheur en chimie de l’environnement Martin Scheringer.

Sur le site Tefal de Rumilly en Haute-Savoie par exemple, où certaines sources d’eaux souterraines sont considérées comme un « hotspot », le témoignage de Nicolas Chartier, ancien secrétaire du comité d’entreprise et délégué CGT à Téfal Rummily montre la responsabilité des dirigeants de l’entreprise sur la pollution des eaux :

« Pendant des années, Tefal a déversé ses boues de PTFE [abrévation scientifique du Téflon, ndlr] par camions dans ce qui était une décharge [...] Tout ça finit par remonter un jour ou l’autre. » .

Loin d’être un cas isolé, on retrouve ce constat dans la plupart des “hotspots” de l’enquête. En Italie, quinze dirigeants de l’usine Miteni de Trissino sont ainsi accusés d’avoir intoxiqué plus de 350 000 personnes aux PFAS depuis les années 60. Dans le journal Libération, Matteo Cerruti, avocat des parties civiles, déclarait en 2020 : « L’entreprise était depuis longtemps au courant de la contamination et elle avait l’obligation de signaler aux autorités, ce qu’elle n’a pas fait ». A nouveau, dans le scandale DuPont aux Etats-Unis, des documents internes ont montré que l’entreprise était au courant de la toxicité des PFOA dès 1961, et qu’elle a tout de même continuité à les rejeter dans la nature, et à y exposer ses salariés.

En plus de cela, les Etats ont aussi protégé les entreprises, en limitant et édulcorant les résultats des études. The Forever Pollution Project fait par exemple état de nombreuses difficultés à accéder aux données dans certains pays et institutions : « En Ecosse ou en France, il nous a fallu arracher ces informations aux autorités en recourant à des procédures de demandes d’accès aux documents publics. La Commission européenne s’est distinguée par son refus de nous communiquer les données issues d’une étude pilote sur les PFAS dans les eaux souterraines dans onze pays ».

Par ailleurs, la prise en compte des PFAS par les États et les institutions européennes est aussi tardive que symbolique. De nombreux pays sont encore au stade de l’évaluation des risques des PFAS par leurs agences de santé respectives, sans indiquer publiquement les résultats de ces enquêtes. Une équipe de l’Anses à Annecy a par exemple identifié des hotspots dès 2010 mais il a fallu attendre l’enquête de ce jeudi pour en identifier une trentaine. Quant à l’Union Européenne, elle a prévu d’ interdire progressivement l’utilisation des PFAS d’ici 2030, sans indiquer comment ni qui sera porté responsable et devra traîter la contamination, qui dans certains cas perdure depuis plus de 60 ans.

Bien aidés par les États, les patrons-pollueurs ne sont donc pas près de cesser de détruire massivement l’environnement. Alors que des millions de personnes voient leur santé et leur vies menacées par les pollutions causées pour assurer les profits de quelques patrons, il est plus qu’urgent de faire payer les responsables. Cela passe par exiger l’arrêt immédiat de l’utilisation de ces substances, la réparation pour toutes les victimes directes et indirectes des PFAS, ainsi qu’une dépollution totale des sols, des eaux et des écosystèmes, financée par le grand patronat.

L’opacité entretenue par les États et le patronat à laquelle se sont heurtés les journalistes du Forever Pollution Projet rapelle qu’aucun document, rapport de recherche ou étude ne doivent rester cachés du grand public, mais au contraire être intégralement mis à disposition afin de pouvoir évaluer l’ampleur des dégâts et ainsi permettre d’y faire face. Il en va de même des brevets et des connaissances scientifiques du domaine privé, qui doivent être rendues publiques afin de mettre toutes les connaissances disponibles au service de la dépollution et des traitements.

Mais ces éléments ne sont que des palliatifs tant que le patronat garde la mainmise sur les causes de la pollution : les sites de production. L’offensive du gouvernement sur les retraites a remis sur le devant de la scène la question de l’usure au travail, des accidents ou encore des maladies professionnelles. De nombreux secteurs du monde du travail, pour lesquels la retraite à 64 ans représente tout simplement une impossibilité physique, se mobilisent contre « la retraite des morts ». Au coeur des process industriels, ces travailleurs sont les premiers exposés par les polluants du type PFAS. C’est à leurs côtés, et par la grève, qu’il est possible de construire un rapport de force face au patronat-pollueur, et de se battre pour une production contrôlée et gérée par ceux qui en subissent en premier lieu les conséquences, et non par ceux qui en captent les profits.

 
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