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15 de mars de 2023 Twitter Faceboock

Réforme des retraites
« On n’a pas la chance des enfants de bourgeois » : profs et lycéens occupent leur lycée à Goussainville
Sophie Martin
Salomé Leïla

Crédits photo : Révolution Permanente

Les personnels en grève du lycée Romain Rolland de Goussainville (Val d’Oise) ont organisé le jeudi 9 mars une soirée d’occupation qui a réuni une cinquantaine de personnes. Contre la réforme et la casse de l’éducation, parents, personnels de l’éducation, professeur.e.s, élèves et travailleuses et travailleurs du secteur de Roissy construisent de manière offensive leurs revendications !

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Au lycée Romain Rolland de Goussainville (Val d’Oise), une soirée d’occupation s’est tenue jeudi 9 mars au soir, à l’initiative des personnels en grève de l’établissement. Une cinquantaine de professeur.e.s, personnels de l’éducation, parents, élèves de Romain Rolland et d’établissements des alentours comme l’école Jean Jaurès (Sarcelles), le lycée Léonard de Vinci (Saint-Witz), le collège Robespierre et le collège Montaigne (Goussainville) ainsi que des travailleuses et travailleurs du secteur de Roissy étaient présent.e.s.

Cette rencontre interprofessionnelle traduit l’objectif de tisser des liens entre tous les secteurs, dans le cadre de la mobilisation en cours. Elle rend d’abord compte d’une démarche, depuis le secteur de l’éducation, pour ouvrir la mobilisation contre la réforme au champ plus large de la casse des services publics. En réunissant autour d’une prise de parole commune l’éducation et les travailleuses et travailleurs du privé, cette rencontre contribue aussi et surtout à élargir le réseau de la lutte et à massifier le mouvement. À l’heure où l’impasse que constitue le plan de l’intersyndicale se fait de plus en plus ressentir l’éducation, la jeunesse et les travailleuses et les travailleurs du secteur de Roissy, ont tenté lors de cette soirée d’occupation, de penser des solutions pour poursuivre la mobilisation en se faisant acteurs de son organisation.

L’auto-organisation du secteur éducatif et le lien interprofessionnel : une stratégie nécessaire pour déborder le calendrier syndical

Depuis le début de la mobilisation contre la réforme, l’éducation publique n’a pas été exempte d’attaques répétées qui s’inscrivent dans le cadre d’une destruction systématique plus large du service public et de l’école. À commencer récemment par le décès d’une enseignante sur son lieu de travail, le “pacte enseignant”, proposé par le ministre de l’éducation Pap Ndiaye, mais aussi la répartition de la DHG dans les établissements ou encore l’annonce de la fermeture d’un grand nombre d’établissements en Ile-de-France et en province. Ces problématiques sectorielles, loin d’être une attaque ciblée, s’enracinent plus largement dans un projet systématique de casse de tous les acquis de la classe ouvrière.

Pour Louis, enseignant à Romain Rolland : « Les sureffectifs ça ne tombe pas du ciel ! C’est parce qu’il y a de plus en plus de rabotage qui est fait sur le dos des services publics. Le but c’est de privatiser, d’augmenter la surface de profits, et il n’y a plus rien aujourd’hui qui est sanctuarisé dans les services publics, que ça soit l’école ou l’hôpital. Et cette logique-là d’économie et de destruction, en fait aujourd’hui c’est la même qui préside à l’attaque contre la réforme des retraites. ».

À attaque massive, réponse massive. L’organisation des travailleuses et travailleurs à la base est une clé nécessaire pour construire un rapport de force à même de renverser la vapeur. Il passe d’abord par la mise en réseau des secteurs mobilisés pour créer du lien, échanger, préparer des actions communes mais aussi pour rendre possible l’extension de la grève à l’ensemble des secteurs. Anna, professeure à Robespierre le rappelle : « On réfléchit pour faire des mouvements d’ampleur à Goussainville, mais en fait ça s’ouvre à tout le Val d’Oise parce que plus on sera grands plus on aura de l’impact. Il faut qu’on montre un engagement de tout le secteur. Ça permettrait notamment à ceux qui sont plus réticents à faire des grèves de nous rejoindre dans la lutte ». L’occupation nocturne du lycée Romain Rolland a permis à ce titre d’ouvrir les échanges entre les établissements mobilisés du Val d’Oise Est.

En mettant en avant la nécessité qu’il y a à se repenser comme un territoire unifié et coordonné, elle permet de montrer la voie d’un dépassement du cadre des AGs intimistes des salles de profs au profit d’une massification de la grève à partir de secteurs centraux stratégiques. Comme l’explique Louis : « On s’est battus en ordre séparé en début d’année. On a tous sur le bassin fait l’expérience que séparément ça ne marchait pas. Il faut absolument commencer à penser une coordination de nos AG pour affronter cette institution. ». Les derniers chiffres de mobilisation dans l’éducation sont d’ailleurs le signe d’une présence qui ne faiblit pas et d’une détermination constante : 60% dans le premier et le second degré pour la journée du 7 mars.

Mais cette massification ne doit pas être cantonnée à un combat interne à l’éducation ni se contenter d’une visibilisation corporatiste lors des journées de manifestation. L’état actuel de la lutte laisse voir quantité de secteurs mobilisés dans une grève plus radicale et plus longue depuis la dernière date imposée par le calendrier syndical. L’éducation ne peut pas se contenter de déchiffrer les directives timides de l’intersyndicale, à l’instar de l’annonce récente d’un éventuel blocage des épreuves du bac. Il n’est plus besoin de le démontrer, la dilapidation des journées de grève perlées ne permet pas de consolider un authentique rapport de force. Il est nécessaire que l’éducation s’empare, à l’image des secteurs plus radicaux, d’une stratégie efficace lui donnant les moyens de la victoire. Élargir les revendications et s’unir à l’ensemble de la classe, c’est participer à construire une mobilisation solidaire et efficace contre la politique gouvernementale.

À ce titre, l’occupation du lycée Romain Rolland a mis au centre de la rencontre la nécessité de l’interpro et du dialogue entre le plus grand nombre possible d’acteurs de la mobilisation. Montrer une solidarité avec la lutte en cours en invitant sur l’établissement les travailleuses et travailleurs de Roissy, c’est ouvrir le dialogue à des actions communes autour de revendications élargies qui prennent acte de l’attaque menée contre le monde du travail dans son ensemble, indépendamment des secteurs. Par exemple, comme les travailleuses et travailleurs de Roissy l’ont par ailleurs rappelé lors de leur prise de parole au lycée Romain Rolland, l’aéroport est un pôle de transit stratégique de l’économie capitaliste. La paralysie du site la semaine dernière a entraîné entre 20 et 30% d’annulation de vols. C’est pourquoi les personnels de l’éducation du Val d’Oise étaient présents en soutien à la manifestation qui s’est tenue sur l’aéroport mardi 7 mars au matin.

Autant d’initiatives et d’actions locales qui rendent visible une tension dynamique vers l’organisation à la base, à rebours de la stratégie de l’intersyndicale, et qui montrent qu’une autre forme de mobilisation est possible et se met déjà en place.

L’entrée en masse de la jeunesse lycéenne dans la bataille en cours : une clé pour durcir le rapport de force et gagner

Hormis les travailleuses et travailleurs, ce sont également les jeunes qui étaient au cœur du dialogue lors de l’occupation du lycée. La rencontre a ainsi permis de rappeler que la jeunesse est l’un des acteurs de la mobilisation en cours, qui pourrait s’avérer décisif pour faire basculer définitivement le rapport de force en faveur de notre classe.

Les attaques répétées à l’encontre de l’éducation et la destruction les uns après les autres de tous les fondements des services publics depuis de nombreuses années sont en effet autant d’attaques portées contre la jeunesse elle-même. Elles témoignent aussi du mépris total du gouvernement à l’égard de ces jeunes et de sa détermination à continuer d’alimenter une école à deux vitesses. Si les enfants de Pap Ndiaye ont les moyens d’étudier dans des établissements privés d’élite, la jeunesse des classes populaires s’entasse dans des classes surchargées et dans un système éducatif dont la destruction est programmée par ceux-là même qui en sont à la tête. Les lycéen.ne.s du lycée Romain Rolland présent.e.s lors de la soirée d’occupation n’ont pas manqué l’occasion de montrer qu’ils et elles sont tout à fait conscient.e.s que, dans la société capitaliste qu’on leur propose, les dés sont pipés.

« On se dit qu’on n’a aucune chance et que notre avenir il ne peut pas dépendre que d’un seul vœu. On veut avoir le choix de faire ce qu’on veut, et pas d’être classés et d’être pris comme si on était des miettes. », s’indigne Manuela. Le système sélectif de Parcoursup en place depuis 2018 continue de cristalliser la colère des jeunes, comme le rappelle Youga, lycéenne en Terminale : « Avec Parcoursup, ils nous sélectionnent, ils regardent d’où on vient, et quand on vient de Goussainville on sait qu’on n’aura pas les mêmes chances. Ils mettent en place des conventions d’éducation prioritaire mais est-ce que ça change réellement les choses ? C’est pas avec ces conventions qu’on pourra tous accéder aux mêmes études que les enfants de bourgeois ». En octobre dernier un mouvement de blocus lycéens dans toute la France avait d’ailleurs montré la volonté de la jeunesse d’en découdre avec ce système de sélection.

Les lycéen.ne.s du lycée Romain Rolland ont également bien compris que la réforme des retraites est l’une des facettes de cette politique de classe que mène le gouvernement, à l’école, à l’université, et partout où il le peut. Youga avance ainsi : « C’est pas possible que les emplois les plus pénibles, les emplois qui demandent le plus de charge physique, c’est pas possible qu’on les fasse travailler jusqu’à 64 ans ou plus, pour un salaire minable et des conditions de travail préjudiciables à leur santé. C’est ceux qui tiennent la France debout qu’on essaye de mettre à genou avec cette réforme ». Au cours de la soirée d’occupation, les élèves ont ainsi exprimé leur solidarité avec la mobilisation contre la réforme des retraites, qui constitue une attaque de plus à leurs perspectives d’avenir mais aussi à celles de leurs parents, comme le rappelle Anissa, élève en Terminale : « Je vois mes parents travailler, mon père qui travaille de nuit, et à 50 ans déjà je le vois fatigué et malade ! Je me dis, qu’est-ce que ça va être à 64 ans si à 50 ans c’est déjà plus possible ? ».

Face à cette politique de classe, les raisons pour les lycéen.ne.s de se saisir de la mobilisation en cours sont nombreuses. Elles le sont d’autant plus que dernièrement le gouvernement mène une politique de plus en plus autoritaire à l’égard de la jeunesse, dont la dernière lubie en date est le Service National Universel (SNU). Il y a une dizaine de jours, un article de Politis et un communiqué du SNES-FSU dévoilaient en effet le projet du gouvernement pour rendre ce proto-service militaire obligatoire, et même y conditionner l’obtention du bac. « Le gouvernement fait tout pour qu’on soit des « bons » citoyens, des « bons » travailleurs », mais il ne nous permet pas de nous exprimer, il ne nous permet pas d’avoir le droit de porter des revendications », dénonce ainsi Anissa. Pour riposter face à un gouvernement qui tente de la mettre au pas, il est plus que nécessaire que la jeunesse entre massivement dans la lutte.

Augmentation des moyens pour l’éducation, fin de la sélection à l’université, refus du SNU et retrait total de la réforme des retraites… C’est d’ailleurs sur ces mots d’ordres qui articulent les attaques faites à la jeunesse et celles faites à l’ensemble des travailleuses et travailleurs que les lycéen.ne.s ont déjà commencé à s’engager dans la bataille en cours. De nombreux lycées ont en effet été bloqués dès les premières journées de grève de janvier et de février, et de nouveau la semaine dernière. Les 7 et 9 mars, la jeunesse lycéenne a montré sa détermination à durcir le ton face au gouvernement et à soutenir la grève reconductible engagée par de nombreux secteurs professionnels. Des blocus ont été organisés et reconduits sur plusieurs lycées tels que Magendie (Bordeaux), Jean Jaurès (Montreuil), ou encore des lycées parisiens tels que Lamartine, Racine, Victor Hugo, Balzac, Jules Ferry, Voltaire, Hélène Boucher, Sophie Germain… A Rennes le 9 mars, 500 lycéen.ne.s de 7 lycées différents ont organisé une manif sauvage pour faire débrayer d’autres établissements scolaires avant de rejoindre les étudiant.e.s de Rennes 2 réuni.e.s en AG.

Un exemple s’il en faut du potentiel subversif de l’entrée de la jeunesse lycéenne aux côtés des étudiant.e.s et des travailleuses et travailleurs dans la mobilisation, et à laquelle le gouvernement n’a d’ailleurs pas tardé à répliquer par une répression féroce. Dès février, la police était intervenue en force pour réprimer les élèves mobilisés du lycée Racine à Paris : gazage, menottage et placement en garde à vue de trois élèves. Une répression qui n’a rien d’un cas isolé puisque trois élèves ont de nouveau été placé.e.s en garde à vue lors du blocus du lycée Thiers de Marseille mardi 7 mars, ou bien encore qu’une élève du lycée Colbert participant à la manifestation du 11 février à Paris a été blessée à la tête par une grenade de désencerclement.

Face à un gouvernement qui l’encaserne, la réprime, et détruit toujours plus ses perspectives d’avenir, il est plus que jamais nécessaire que la jeunesse lycéenne entre désormais massivement dans le mouvement en cours. « On va pas rester cachés au fond du trou à attendre que ça se passe. Donc j’appelle les autres lycéens à se bouger eux aussi pour qu’on réussisse tous à s’affirmer et avoir une vraie chance de gagner », interpellait Manuela lors de la soirée d’occupation du lycée Romain Rolland. Une jeunesse qui s’exprime, qui se mobilise et qui s’organise, c’est bien la hantise absolue du gouvernement ! Les lycéen.ne.s doivent pleinement se saisir de la mobilisation en cours pour porter leurs propres revendications et construire avec les travailleuses et travailleurs une alliance explosive qui permettra de généraliser la grève reconductible et déborder l’intersyndicale avec un plan de bataille offensif et gagnant.

 
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