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17 de mars de 2016 Twitter Faceboock

18 mars 1871
Rimbaud, Paris et la Commune, 145 ans après
Paul Tanguy

L’histoire, souvent, a la mémoire courte, ou plutôt ceux qui sont censés l’enseigner. La Commune de Paris est rarement à l’honneur des livres d’histoire. Pour ce qui est d’Arthur Rimbaud, on retrouve le plus souvent un résumé de son œuvre coincé entre deux pages de manuel de littérature française où son nom inscrit, comme crucifié, au frontispice d’un lycée à côté d’un torchon tricolore.

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Les deux ont néanmoins partie liée et entrent d’autant plus en résonance au regard de la mobilisation actuelle de la jeunesse, digne héritière de celui qui n’était pas sérieux à dix-sept ans, quoi qu’il ait pris très au sérieux ces Parisiennes et ces Parisiens qui, un 18 mars, sur les pentes de la butte Montmartre, se « lançaient à l’assaut du ciel ». Rimbaud nous a laissé trois poèmes de son expérience communarde, très probablement achevée plusieurs semaines après la Semaine sanglante. Il s’agit de trois « psaumes d’actualité », pour reprendre l’expression de l’auteur, ou de trois tracts en alexandrins, pour le dire autrement, le plus souvent passés sous silence dans les anthologies rimbaldiennes. Pour l’occasion, nous publions « L’Orgie parisienne », hommage sarcastique aux Versaillais dans leur marche triomphante mais réel tribut aux vaincus auxquels Rimbaud s’associe.

L’Orgie parisienne
ou
Paris se repeuple

Ô lâches, la voilà ! dégorgez dans les gares !
Le soleil expia de ses poumons ardents
Les boulevards qu’un soir comblèrent les Barbares.
Voilà la Cité belle assise à l’occident !

Allez ! on préviendra les reflux d’incendie,
Voilà les quais ! voilà les boulevards ! voilà
Sur les maisons, l’azur léger qui s’irradie
Et qu’un soir la rougeur des bombes étoila.

Cachez les palais morts dans des niches de planches !
L’ancien jour effaré rafraîchit vos regards.
Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches,
Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards !

Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,
Le cri des maisons d’or vous réclame. Volez !
Mangez ! Voici la nuit de joie aux profonds spasmes
Qui descend dans la rue, ô buveurs désolés,

Buvez ! Quand la lumière arrive intense et folle,
Foulant à vos côtés les luxes ruisselants,
Vous n’allez pas baver, sans geste, sans parole,
Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs,

Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes !
Écoutez l’action des stupides hoquets
Déchirants ! Écoutez, sauter aux nuits ardentes
Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais !

Ô cœurs de saleté, Bouches épouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs !
Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables...
Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs !

Ouvrez votre narine aux superbes nausées !
Trempez de poisons forts les cordes de vos cous !
Sur vos nuques d’enfants baissant ses mains croisées
Le Poète vous dit : ô lâches, soyez fous !

Parce que vous fouillez le ventre de la Femme,
Vous craignez d’elle encore une convulsion
Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme
Sur sa poitrine, en une horrible pression.

Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,
Qu’est-ce que ça peut faire à la putain Paris,
Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques ?
Elle se secouera de vous, hargneux pourris !

Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles,
Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus,
La rouge courtisane aux seins gros de batailles,
Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus !

Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères,
Paris ! quand tu reçus tant de coups de couteau,
Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires
Un peu de la bonté du fauve renouveau,

Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte,
La tête et les deux seins jetés vers l’Avenir
Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes,
Cité que le Passé sombre pourrait bénir :

Corps remagnétisé pour les énormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable ! tu sens
Sourdre le flux des vers livides en tes veines,
Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants !

Et ce n’est pas mauvais. Tes vers, tes vers livides
Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès
Que les Stryx n’éteignaient l’œil des Cariatides
Où des pleurs d’or astral tombaient des bleus degrés.

Quoique ce soit affreux de te revoir couverte
Ainsi ; quoiqu’on n’ait fait jamais d’une cité
Ulcère plus puant à la Nature verte,
Le Poète te dit : « Splendide est ta Beauté ! »

L’orage a sacré ta suprême poésie ;
L’immense remuement des forces te secourt ;
Ton œuvre bout, ta mort gronde, Cité choisie !
Amasse les strideurs au cœur du clairon lourd.

Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,
La haine des Forçats, la clameur des maudits :
Et ses rayons d’amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront, voilà ! voilà ! bandits !

—Société, tout est rétabli : les orgies
Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars :
Et les gaz en délire aux murailles rougies
Flambent sinistrement vers les azurs blafards !

Mai 1871

 
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