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La Izquierda Diario
22 de mars de 2016 Twitter Faceboock

Mobilisés contre la sous-traitance et les licenciements
Grève spontanée et massive des agents de piste Air France à Roissy. Parole de gréviste
Flora Carpentier
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Depuis dimanche 20 mars, 350 agents de piste Air France à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle se sont mis spontanément en grève totale. Sans appel des syndicats, ils ont pris la décision d’arrêter complètement le travail pour protester contre la mise en sous-traitance de leur métier, qui conduit à une dégradation des conditions de travail et des conditions de sécurité pour les travailleurs comme pour les passagers. En 3 jours de grève, le mouvement a rallié une bonne partie des effectifs au sol, qui comptent environ 450 travailleurs sur une journée, et 1200 au total. « Cette grève, c’est un acte de désobéissance civile », revendique un agent de piste en grève, syndiqué CGT, que nous avons interviewé. « Avec les roulements, il nous faut 8 jours pour toucher tous les salariés. On continue donc à tourner dans les équipes pour convaincre les copains de nous rejoindre ». Leur grève s’ajoute à celle des contrôleurs aériens qui a touché plusieurs aéroports entre dimanche et lundi, provoquant l’annulation de nombreux vols.

Propos recueillis par Flora Carpentier

Quelle est l’ambiance à l’aéroport depuis dimanche ?

Si vous venez à Roissy, vous allez voir qu’il y a des gens partout, c’est le bordel. Il y a des passagers qui attendent leurs bagages depuis 4 heures ce matin. Il y en a d’autres qui ont raté leurs correspondances, des vols qui ont été annulés… Mais il y a un mutisme énorme dans les médias. La direction va vous dire que c’est à cause de la grève des contrôleurs aériens mais c’est faux, la grève des contrôleurs n’a jamais ce genre de conséquences. Ca perturbe l’exploitation mais pas autant que nos grèves à nous. La direction explique aussi aux gens qu’il y a des perturbations parce que les touristes se précipitent de rentrer chez eux après les attentats de Bruxelles. Mais c’est mensonger. Tout ce qu’ils cherchent c’est à éviter de médiatiser les actions collectives, les mouvements sociaux. Ils inventent n’importe quel prétexte pour ne pas dire que c’est parce que les agents de pistes protestent contre l’exploitation.

Comment a démarré votre mouvement de grève ?

Notre mouvement a commencé le 19 février. On était partis gentiment sur une grève de deux heures par équipe, tous les matins sur toutes les pistes. Le 14 mars, quand une des équipes a repris le travail après ses 2 heures de grève, on lui a donné un vol qui dépendait d’un autre terminal, donc d’une équipe en grève. Mais nous, on a un principe pendant les mouvements sociaux, une tradition qu’on a gardé des anciens, c’est qu’on ne casse pas la grève des copains. Donc l’équipe a refusé d’aller les remplacer. Mais la direction nous a dit que si on n’y allait pas, c’était considéré comme un refus de tâche, ce qui implique des sanctions disciplinaires. Le 20 mars, on a appris que les collègues allaient être sanctionnés, et là on a décidé de ne pas reprendre notre boulot, sans préavis.

Quelles sont vos revendications ?

Notre revendication principale, c’est de refuser la sous-traitance. On se bat contre les licenciements. Comme on travaille sur des gros avions, même pour du moyen courrier, on a des soutes mécanisées avec des containers. Donc ils ont annoncé le mois dernier qu’ils voulaient sous-traiter le chargement et le déchargement des avions. Ils veulent sous-traiter notre métier alors qu’on a été embauchés à Air France et qu’on a des qualifications. Il n’y a qu’à voir les avions sur lesquels on travaille, je vais couler 95 tonnes de kérosène pour un seul avion. Alors si on ajoute les passagers, le fret, les bagages, on monte à 400 à 600 tonnes à charger.

Les sous-traitants, c’est des gens payés au lance-pierre. Nous on veut que la direction les embauche en tant que salariés Air France. On ne veut pas qu’Air France puisse opposer les salariés aux sous-traitants. On refuse de s’entendre dire « toi tu es embauché mais ton petit frère qui va te remplacer dans les avions, ça va être à la loi El Khomri, on va le payer au lance-pierre et il faudra qu’il s’estime heureux d’avoir du travail ».

Dans notre métier, on porte de lourdes responsabilités. Si demain l’avion tombe parce que j’ai mal fait mon boulot, je peux me retrouver en prison. Si je me trompe par exemple en mettant une palette d’1,5 tonne dans le nez de l’avion et qu’à l’inverse je mets celle de 700 kilos au cul de l’avion, le commandant quand il va arriver en bout de piste, il ne va pas pouvoir décoller et l’avion va crasher avec ses 400 passagers. C’est ça la responsabilité qu’on porte. C’est pour tout ça qu’on tient à notre métier, qu’on en est fiers, et qu’on est conscient qu’il ne peut pas être livré à des gens payés au lance-pierre.

En plus, quand on travaille au chargement des avions, on est exposés, il y a les cartels, on peut se voire proposer de transporter des valises pour des sommes d’argent importantes. On refuse parce qu’on a un métier mais si demain mon petit frère est payé 750€ au lance-pierre, s’il fait des heures supplémentaires, qu’on ne le paye pas, et qu’il se fait approcher par quelqu’un de pas clair… on va se retrouver avec des drames, et nous on ne veut pas de ça. On est des gens responsables, respectueux, on est des pères de famille, et on se fait traiter comme des voyous.

Comment ça se passe sur les pistes avec la grève ?

Il y a une cellule de déplacement, c’est celle qui déplace l’avion une fois qu’on l’a déchargé, qui l’emmène sur un point de parking pour partir pour une autre destination. Comme on est en grève, la cellule de déplacement est bloquée et annonce qu’elle ne peut pas déplacer l’avion puisqu’il n’est pas déchargé. On met quand même la passerelle pour laisser les passagers et nos collègues qui ne sont pas en grève descendre de l’avion. Même si on était 100% en grève, on trouverait toujours parmi nous des collègues pour sécuriser l’avion, mettre la passerelle, décharger les passagers, et ensuite on s’en va et on laisse les bagages et le fret dans l’avion. Certains pensent qu’on ne devrait même pas se soucier des passagers mais nous on a hérité de cette préoccupation du service public. Et puis on n’a pas envie de se mettre les usagers à dos. Il y a 40 ans c’était différent. Quand il y avait une grève à la SNCF par exemple, les gens sur le quai demandaient des explications à la direction de la SNCF ou à l’Etat mais jamais ils n’incriminaient les cheminots. Aujourd’hui, quand on interviewe les gens sur le quai, ils parlent de prise d’otages, ils reprennent les mots du pouvoir pour exprimer leurs frustrations. Comme ils n’ont pas de culture, ils se trompent de colère et se tournent contre les travailleurs qui défendent leurs conditions de travail, alors qu’ils devraient s’en prendre aux hommes de pouvoirs. Ce sont eux les vrais preneurs d’otages, si on veut employer ce terme-là.

Vous avez reçu des pressions de la direction depuis que vous êtes en grève ?

Oui, on nous a dit qu’on était dans l’illégalité et qu’on allait être sanctionnés. Parce que nous les salariés de Roissy, on est des travailleurs sans droits. On n’a pas le droit de faire grève, on n’a pas le droit de se mobiliser, de manifester… On nous a muselés avec la loi Diard en nous disant qu’il fallait déposer un préavis de grève 48 heures à l’avance. Et derrière ils mettent en place l’état d’urgence et ils poursuivent leur politique capitaliste. Par exemple, à Pau ils ont fermé une ligne qu’ils jugeaient non rentable, et la région est aujourd’hui desservie uniquement par les compagnies low-cost, alors qu’Air France avait à l’origine une mission de service public à assurer la continuité territoriale.

Et la direction passe son temps à intimider les collègues, elle prend les agents à parti. Nous si on faisait la même chose on passerait au tribunal. Mais eux ne se gênent pas pour le faire. Ils nous font passer pour des arracheurs de chemises, des lyncheurs, des intégristes, les médias ont fait des amalgames énormes. Quand vous leur parlez des agents de piste, ils ont envie de rigoler, ils savent très bien qu’on est des enfants de paysans ou des enfants de quartiers populaires, qu’il n’y a personne qui nous défend. C’est ça qui est dramatique.

Les attentats de Bruxelles, ça a des conséquences pour vous ?

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Oui, ce matin il y a 2 arrêtés préfectoraux qui sont tombés suite aux attentats de Bruxelles. Le préfet a décrété qu’on n’avait pas le droit de se déplacer à plus de 3 personnes en zone non publique. Si on est plus de 3 et qu’ils voient un brassard CGT ou autre, ils peuvent assimiler ça à une mobilisation et nous arrêter.

Tout ça avait commencé avec le 11 septembre, et ça a continué avec les attentats de Charlie, du 13 novembre, l’état d’urgence, maintenant Bruxelles, on ne fait que nous retirer des droits, réduire nos libertés. Et les chefs profitent des attentats pour nous mettre la pression, ils viennent nous dire « si j’ai un conseil à te donner, dans le contexte des attentats de Bruxelles, je ne jouerais pas trop avec les autorités »… Moi je leur réponds « écoute, tes conseils tu te les gardes ». Ils fonctionnent comme ça, ils sont dans l’intimidation.

Et puis chez nous il y a beaucoup de musulmans, donc les attentats c’est terrible parce qu’au-delà de ce drame, et c’est terrible ce qu’il s’est passé, il y a des conséquences très dures pour nous les musulmans. Il y a plein d’amalgames, les gens font des raccourcis, on se fait insulter. Bientôt ils nous retireront notre liberté d’expression, juste parce qu’on n’a pas choisi la bonne confession à leurs yeux.

 
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