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La Izquierda Diario
30 de mars de 2016 Twitter Faceboock

#Assezdeviesbroyées. La précarité tue
Raymond, 75 ans, employé précaire chez Adrexo. Mort en 2011, le prix de sa vie : 6200 euros

Ce 24 mars, Adrexoa, entreprise de distribution de prospectus, a été condamnée aux prud’hommes pour sa responsabilité dans la mort, en 2011, de Raymond, 75 ans, malade et bénéficiaire d’une toute petite retraite. Raymond, n’avait pas travaillé depuis près de 10 ans. Pressé comme bon nombre de retraités à travailler pour pouvoir survivre, il a commencé à livrer des imprimés dans l’entreprise Adrexo. Dix-neuf jours plus tard, son corps a été retrouvé sans vie. N’ayant pas subi de visite médicale préalable, son fils a obtenu devant les prud’hommes ce qu’il appelle une « réparation ». Le prix de cette nouvelle vie ? 6 200 euros dont 2 000 euros de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale ; 3 000 euros pour manquement à l’obligation de santé et de sécurité au travail, et 1 200 euros au titre des frais de justice engagés. Un nouveau mort au service de leurs profits.

Spendius

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Chez Adrexo, il n’y a pas d’âge pour travailler. En août 2011, Raymond D., 75 ans, a tapé à la porte de cette société de distribution d’imprimés publicitaires et de prospectus. Cela faisait plus de dix ans qu’il avait cessé toute activité. Sa pension de retraite de 740 euros par mois d’intermittent du spectacle ne lui suffisait plus pour vivre. Il accumulait les dettes. Le 8 août, Raymond a commencé à livrer des imprimés. Dix-neuf jours plus tard, on a retrouvé son corps sans vie. Le mardi 20 octobre, quatre ans plus tard et à la demande de l’un de ses fils, le conseil des prud’hommes de Bobigny examinait la responsabilité de la société. Celle-ci avait-elle manqué à son obligation de santé et de sécurité au travail ?

Immanquablement, vous aussi, avez déjà cueilli dans votre boite aux lettres de ces gros bouquets de papiers aux couleurs bariolés, de ces épais feuillets de réclame, publicités, prospectus, tracts et autres ramettes vantant les remises exceptionnelles de l’hyper du secteur chaque semaine, chaque jour. Combien d’entre nous ne furent pas agacés de trouver au retour de vacances leur boite aux lettres remplies jusqu’à la fente, combien n’eurent alors pensé : « quel gâchis de papier » et voulurent interpeller le facétieux livreur pour lui demander de ne plus remplir son office ?

Pourtant ce livreur se révèle souvent être un homme d’âge avancé, vénérable retraité qui « profite » de son « temps libre » pour s’adonner à la distribution. Ne pensez pas qu’il soit poussé par l’envie ni même par l’ennui, non c’est bien par nécessité que ces retraités s’astreignent à cette tâche ingrate. Leur maigre retraite ne permet pas à ces hommes et femmes de rester dignes dans leurs vieux jours, alors ils portent, tirent et poussent des centaines de kilos de papier pour s’assurer un petit billet en fin de journée. 
Mais d’où viennent ces prospectus ? Qui emploie ces gens-là ? Et bien ce sont de grandes entreprises, que vous connaissez déjà peut-être, comme Mediapost ou Adrexo. Ici c’est Adrexo qui nous intéresse. Numéro deux français du secteur (315 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011), créée en 1979, elle emploie aujourd’hui plus de 23.000 distributeurs à travers toute la France.

Du fait de nombreuses offres d’emplois sur le secteur, dont les postes sont marqués par l’ultra-précarité et le fort turn-over associé, une grande partie de ces distributeurs sont des personnes en situation précaire : retraités, étudiants, handicapés, etc. La plupart en temps partiel, ce sont de ces travailleurs qui n’ont pas le choix, qui ne l’ont plus ou ne l’ont jamais eu et qui aujourd’hui arpentent les rues de nos villes en distribuant les prospectus en masse et quotidiennement. 

Des retraités, des handicapés, mais qu’en est-il de la pénibilité du travail ? Un homme à la retraite, esquinté par une vie de travailleur à l’usine est-il capable, physiquement, d’assurer sa tournée ? Est-il capable de nous gratifier de ces publicités papier si chères à nos cœurs de consommateurs ? 

D’après Adrexo, bien évidement et même mieux : la distribution est une pratique salutaire pour nos aînés. En témoigne cette déclaration de Fréderic Pons (PDG national de cette filiale du groupe Spir jusqu’en 2012) au journal Marianne en 2009 : « La livraison de prospectus est un exercice un peu physique pour cette main-d’œuvre vieillissante, mais nous rendons service à ces gens : grâce à ce boulot, ils économisent un abonnement au gymnase-club. » Rendre service, merci Adrexo ! D’ailleurs l’entreprise aime mettre l’accent sur sa démarche mécénique, elle offre « des opportunités » d’après la page de recrutement internet ! Louons Adrexo et sa direction magnanime et généreuse ! Remercions-les d’entretenir la forme physique de nos anciens et de leur faire bénéficier d’un emploi après qu’ils ne devraient plus en avoir. De plus Adrexo affirme que ses « distributeurs » (et non pas collaborateurs, vous noterez la différence) sont formés aux risques du métier : « le Groupe forme ses collaborateurs aux risques professionnels auxquels ils sont confrontés, notamment les distributeurs aux gestes et postures, et aux risques canins. » Vraiment ? Heureusement que Raymond D., 75 ans a été formé « aux risques canins ». Managers dormez tranquille si Rex le berger Allemand de M. Dupont prend en chasse notre Raymond, ce dernier pourra aisément lui échapper, voire même le maitriser d’un coup de savate. Quel soulagement, nos prospectus sont livrés par des professionnels chevronnés !

Vive Adrexo, bienfaitrice des petites gens !

De la boîte aux lettres à la boîte en bois

Vous aurez sans doute ressenti l’ironie grossière qui traverse cet article, quelle autre attitude pourrions-nous adopter face à des gens qui, sous couvert d’arguments humanistes, favorisent et entretiennent l’exploitation systématique et frauduleuse d’une catégorie de population qui n’a plus la force de lutter, faute de perspective ? Ne vous fiez pas à la communication de ces entreprises, c’est là leur métier, là où ils sont les plus habiles et ce ne sont pas les Revues de Presse publiées par l’entreprise sur leur site internet qui nous feront avaler leurs couleuvres (CF Revue de Presse 2015 p.100-113). La réalité est tout autre.

Reprenons notre Raymond D., 75 ans. Après une dizaine d’année de retraite indigente bénéficiant alors d’une pension d’intermittent du spectacle de 740 euros par mois, il fut engagé en Aout 2011 en tant que distributeur chez Adrexo. Il ne fallut pas un mois pour que l’harassante tâche de ce père de famille vienne à bout de ces dernières forces : il quitta la boîte en quittant le monde. Quatre ans plus tard et à la demande de l’un de ses fils, la responsabilité de l’entreprise fut mise en cause devant le Conseil des Prud’hommes de Bobigny. Raymond D. n’avait pas passé de visite médicale ; diabétique et déjà victime d’un infarctus, un médecin aurait pu mettre en exergue les risques d’une activité physique intensive pour cet homme aux forces déclinantes.
La pénibilité du travail et ses risques inhérents pour une population vieillissante n’est pas la seule chose reprochée à Adrexo. Leurs pratiques, certes « légales » - tout comme l’est l’exploitation - n’en demeurent pas moins révoltantes. Car en effet, ce secteur d’activité jouit d’une convention collective sur mesure qui favorise la dépendance et l’exploitation de cette masse salariale silencieuse. Signée en 2004 par les Organisations Syndicales elle permet, entre autre, la pré-quantification des heures de travail. Concrètement, Marc, 37 ans, manager chez Adrexo (et collaborateur) détermine dans son bureau, devant son écran ouvert sur Excel et rempli de chiffres, le temps qu’il faudra à un distributeur pour effectuer sa tournée. Marc n’a bien évidemment jamais posé les pieds sur le terrain. Ortwin [1] lui, un Allemand de 70 ans, y est tous les jours sur le terrain. C’est un distributeur et grâce à Marc, il aura la chance de remplir 853 boites pour être payé 16,66€ : « Je serai payé pour une heure et 53 minutes, alors que je vais travailler au moins quatre ou cinq heures. C’est de l’exploitation, mais je n’ai pas le choix : les cadences apparaissent sur nos feuilles de route. Qu’on les tienne ou pas, ce n’est pas le problème de la direction. ». Autre bénéficiaire de la mansuétude d’Adrexo, Fabienne, 71 ans qui distribuera le même jour un peu plus d’une tonne de prospectus dans 1.760 boîte aux lettres pour 86,05€ et ce en un peu plus de neuf heures. Sa feuille de route, calculée à l’avance par notre bon Marc prévoit une cadence de 191 boîtes à l’heure, cadence digne d’un champion d’athlétisme. Heureusement pour Fabienne sa famille est là pour l’aider.

A la pré-quantification et à la pénibilité s’ajoutent une longue liste d’infractions au Code du Travail : manquement à l’hygiène et à la sécurité, poids excessif des « poignées », non-adaptation du travail au salarié, non-paiement des frais liés au travail à domicile, travail dissimulé, représentation insuffisante du personnel, etc.
Décembre 2012, février 2013, septembre 2014, mars 2016, Adrexo cumule les condamnations et les poursuites aux quatre coins de l’hexagone. Pourtant l’entreprise semble toujours florissante et ce n’est pas la loi El-Khomri qui viendra freiner leurs pratiques infamantes…
[1] France soir, 28/03/11, L’entreprise qui abuse

 
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