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La Izquierda Diario
31 de mai de 2016 Twitter Faceboock

Les dictatures latino-américaines sur le banc des accusés
Opération Condor. « J’ai comme un goût amer. Nombre de criminels n’ont pas été condamnés »

La sentence est tombée vendredi, à Buenos Aires. Quatorze des seize militaires argentins et un membre des services secrets uruguayens, accusés dans le cadre du « Procès Plan Condor », ont été condamnés dans le cadre de leur participation à ce programme visant à pourchasser et assassiner dans tout le Cône Sud les militants et réfugiés politiques argentins, boliviens, brésiliens, chiliens, paraguayens et uruguayens pendant les années 1970. Le procès, dont l’instruction a commencé en 1999, est une première à l’échelle de l’Amérique latine, mais nombre de militaires et de responsables ont échappé à une condamnation : ceux qui sont décédés entre-temps, bien entendu, mais également la totalité des responsables de second plan, sans même parler des principaux responsables des cinq autres pays, puisque les accusés étaient presque tous argentins. Pour ce qui est de leurs complices, ils courent toujours. Parmi eux, on citera les grandes entreprises multinationales, dont certaines françaises, qui ont collaboré avec la dictature argentine, entre 1976 et 1983, mais également les services de sécurité et de coopération militaire occidentaux, à commencer par ceux de la France qui a contribué à former les militaires du Cône Sud à la Sale Guerre.

A l’issue de ce procès, Gloria Pages, elle-même sœur de disparus, a interviewé pour LaIzquierdaDiario Elsa Pavón, co-fondatrice des Grands-Mères de la Place de Mai, première grand-mère à avoir pu retrouver sa petite-fille, Paula Logares, dont les parents ont été assassinés dans le cadre du plan Condor, ainsi que María Victoria Moyano, « petite-fille restituée », née en détention, en 1978, ses deux parents, militants uruguayens, ayant été par la suite assassinés alors que María Victoria avaient été « adoptée » par des militaires.

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« Je me sens mal à l’aise à dire ce que je pense, parce que dans le cadre du Plan Condor, j’ai perdu ma fille et mon gendre », dit Elsa, avant même de commencer, comme si elle s’excusait. Un certain nombre de condamnations ne lui semblent pas à la hauteur de l’immensité des crimes commis en Argentine, au Brésil, au Paraguay, au Chili et en Uruguay. « J’ai mis six ans à retrouver ma petite-fille. C’est pour cela que ce que je vais dire peut sembler désagréable, mais [le résultat de ce procès] me semble tellement pauvre au regard de tant de vols et de tant d’échanges [de prisonniers politiques] entre six pays. J’ai l’impression que c’est un affront. J’ai honte. Le procès vient de se clôturer et on ne sait toujours pas ce qui est arrivé aux disparus, aux enfants appropriés [par les militaires] », poursuit-elle.

« Je ne sais pas comment le dire, parce que je me sens vraiment mal. Videla [homme clef du coup d’Etat de 1976 en Argentine et président de facto entre 1976 et 1981] était encore en vie quand le procès a commencé, c’était lui l’un des principaux responsables des disparitions en Argentine. Le tribunal aurait pu en parler [au moment de lecture de la sentence] et dire qui avait fait quoi et quel nombre [de militaires, décédés depuis le début de l’instruction] n’ont pas été condamnés ». C’est sans doute l’une des caractéristiques des procès argentins contre un certain nombre de responsables de la dictature, qui n’ont véritablement repris qu’à partir de 2003 à la suite de plusieurs décrets d’amnistie, ces procès étant fragmentés et tardifs au regard des événements.

María Victoria Moyano est née en 1978 dans le Centre de Détention Pozo de Banfield, situé dans la banlieue de Buenos Aires, où étaient séquestrés ses parents, militants politiques uruguayens réfugiés en Argentine. A l’instar de Elsa, María Victoria dit que le verdict lui « laisse un goût amer et un sentiment très contradictoire. L’instruction de ce procès a commencé en 1999, et au moment du verdict, seuls trois des accusés écopent d’une peine de 25 années de prison. Le reste a pris des peines moindres, et il y a eu beaucoup d’acquittements ou de non-lieux. La plupart des condamnés, par ailleurs, bénéficient de mesures de prison à domicile ».

La mort de Videla, au moment où les témoins de la partie civile ont été appelés à la barre, et l’impunité que cela implique, la touchent profondément. « Dans le cas de mes parents, ou dans celui de Paula Logares [qui a été la première des petites-filles récupérées en l’occurrence par Elsa Pavón], Videla faisait partie des accusés. Nos cas n’ont pas été pris en compte dans ce procès où d’autres militaires ont été condamnés. Et cela même si l’association de malfaiteurs était retenue contre eux ».

María Victoria souligne néanmoins un point positif : « la justice a démontré qu’il existait bel et bien un plan coordonné [pour mener à bien la répression politique] et que cette ‘association de malfaiteurs’ a permis de perpétrer les pires des crimes sur tout le continent. Ce jugement a permis de sortir du cadre national et de démontrer le caractère international du génocide ».

La face-cachée, néanmoins, c’est qu’il y avait un grand absent à ce procès : les Etats-Unis. « Washington a financé et a mis en place les dictatures. Mais on n’a pas parlé du rôle des Etats-Unis. Les juges ont dit que cela se ferait ‘dans un autre cadre’. On peut craindre qu’il n’y ait en réalité jamais de procès ».

Le jugement n’a concerné que les cas de quelques 109 victimes, « et de nombreuses affaires seraient encore à instruire, poursuit María Victoria. Je ne crois pas qu’un nouveau procès pourrait se tenir, et les militaires-assassins sont en train de mourir les uns après les autres ».

« Aujourd’hui comme hier, et cela depuis quarante ans, conclut Victoria Moyano, ce sera par nos mobilisations que nous réussirons à obtenir la condamnation des militaires qui ne l’ont pas encore été. En réalité, les procès qui ont eu lieu, ils ont été mis en place parce que nous n’avons jamais cessé de lutter, mais ce ne sont pas les procès que nous voulons. Car les affaires sont segmentées, les unes par rapport aux autres. Aujourd’hui, Macri [le nouveau président de droite argentin] voudrait mettre un véritable point final aux procès [qui se sont rouverts depuis 2003]. Et plus que jamais ce sera donc en se mobilisant qu’on imposera que les criminels soient jugés et punis ».

Trad. CT.

 
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