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11 de janvier de 2017 Twitter Faceboock

Analyse FPS 2016
De la découverte du plaisir féminin à l’émancipation de la femme

dessin : Emma Fnc

Julie Tessuto Secrétariat général des FPS
Avec la contribution de Marie-Anaïs Simon, Chargée de communication FPS

La sexualité et le plaisir féminin sont encore des choses mystérieuses, des choses dont on parle peu. On les entoure de culpabilité, de honte parfois, ou encore de mystère teinté de crainte. Les fausses croyances qui y sont associées sont nombreuses !

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Cette première fois dont on devrait avoir tellement peur, mais aussi cet orgasme vaginal qui ne vient pas, et pourtant on essaie ! Et puis il y a la pornographie aussi, et ses codes qui s’inscrivent dans les pratiques sexuelles, d’une génération à l’autre. Hier la fellation, et aujourd’hui la sodomie. Sans parler du fait que la pornographie mainstream (puisqu’aujourd’hui se développe une pornographie féminine et parfois aussi féministe) ne montre pratiquement qu’une sexualité pénétrante et dédiée au plaisir masculin. Autant d’injonctions et de désinformation autour du corps des femmes, de leur sexe, et de leur plaisir. Surtout, ce tabou persistant a ici une conséquence principale, celle de contribuer à la méconnaissance des femmes de leur propre corps et de perpétuer le contrôle des hommes sur celui-ci.
Le clitoris est le seul organe du corps humain entièrement dédié au plaisir et c’est un organe exclusivement féminin ! Seulement, voilà, terre du plaisir féminin, il signe également la fin d’un système sexuel hétéronormé puisqu’il ouvre également la possibilité pour la femme d’avoir un orgasme avec une autre femme, et aussi seule, en se masturbant. Ainsi, bien que le clitoris soit connu depuis l‘Antiquité, il est resté très longtemps dans l’ombre, que ce soit dans la science ou dans le discours général qui entoure la sexualité.

En effet, déjà en – 400, la “columella” (nom antique du clitoris) « était déclarée organe du plaisir féminin par le médecin et philosophe Hippocrate  ». Mais malgré cette découverte, on ne trouve pratiquement aucune autre mention du clitoris dans les ouvrages scientifiques. La sexualité des femmes fait peur, selon les intellectuels, il faut donc la cacher. C’est ainsi que le clitoris a même été banni des manuels de chirurgie, et supprimé de la plupart des dictionnaires entre les années 1930 et 1960. (Rébillard, 2016).

Le mépris de cet organe du plaisir est poussé à son comble lorsque l’anatomiste et médecin André Vésale décrit le clitoris comme une « malformation d’hermaphrodisme » et qu’en 1573, l’excision — mutilation de l’appareil génital féminin — est justifiée par le médecin français Jacques Daléchamps pour cette raison. Plus tard, entre 1830 et le début des années 1900, elle sera pratiquée par des médecins comme « remède » à toutes sortes de maux (épilepsie, nymphomanie, hystérie…). La dernière clitoridectomie pour raisons médicales a été pratiquée aux États-Unis en 1948 sur une fillette de cinq ans pour qu’elle ne se masturbe pas. A l’heure actuelle, l’UNICEF estime à 200 millions de femmes excisées en vie à travers le monde. Un récent rapport de l’UNICEF alerte sur l’augmentation du nombre de femmes excisées par rapport à l’année dernière. En dehors de ces mutilations génitales aux conséquences physiques et psychologiques graves, l’excision se fait aussi à un niveau symbolique.

Freud et la psychanalyse au début du XXe siècle ont définitivement achevé ce cycle de domination patriarcale sexuelle, en participant à ce que certains chercheurs nomment l’« excision culturelle » (Hamel, 2010) puisqu’un orgasme clitoridien sera désormais associé à un plaisir « immature des jeunes filles », en opposition à l’orgasme vaginal des « femmes adultes et matures » (Liv Strömsquist, 2016). Les femmes subissent une telle régression sur la connaissance de leur corps, soulignent Benoîte Groult, historienne, ou Carine Martin et Benoît Cousyn, sexologues, qu’ils qualifient la conséquence de ces décennies « d’excision psychique » (Rebillard, 2016). À cela s’ajoute une honte, partagée par beaucoup de femmes, de leur corps et de leur sexe qui peut se traduire par une souffrance psychologique et une absence de plaisir. Par ailleurs, la masturbation féminine fut très longtemps associée à l’hystérie et, aujourd’hui encore, elle est vue comme une pratique taboue et honteuse, surtout si la femme est en couple (alors qu’elle est considérée comme quelque chose de tout à fait naturel pour un homme).

Tout ceci témoigne du fait que le savoir est politique et qu’il est également le résultat d’un rapport de forces puisque les hommes principalement – médecins et gynécologues – en sont les détenteurs. L’histoire de l’accouchement en est un bel exemple. Que ce soit pour le lieu d’accouchement (hôpital ou à domicile), l’accès aux anesthésiques ou aux contraceptifs, ou encore les positions d’accouchement, le monopole du savoir à longtemps permit aux hommes de prendre les décisions qui servaient leurs intérêts sans prendre en compte les besoins, les vécus ou la liberté de choix des femmes .
Ce monopole du savoir concerne aussi le savoir médical lié au corps de la femme. La connaissance scientifique très récente sur le clitoris ou encore le fait que l’on découvre seulement maintenant l’intensité des douleurs liées aux règles et la protéine qui en serait la cause (Deborde, 2016) témoignent d’une recherche médicale genrée, uniquement tournée vers l’homme, son plaisir et ses organes. Nous n’avons pas vu d’exposition organisée sur la vulve, contrairement au « Zizi sexuel » ! Heureusement, les lignes commencent à bouger.

En 1998, une scientifique australienne découvre que le gland du clitoris n’est en fait que sa partie émergée. L’organe mesure en réalité entre 7 à 10 cm et innerve le vagin de part et d’autre. Odile Buisson après avoir réalisé la première échographie en 3D d’un coït, révèlera le rôle majeur et nécessaire du clitoris dans le plaisir et l’orgasme de la femme. Exit l’orgasme vaginal ! Le « complexe clitoridien » irradie toute la zone, et est à l’origine des orgasmes et du plaisir.
La culture et les moeurs sont difficiles à changer, surtout lorsque les manuels scolaires ne remplissent pas leur mission en perpétuant un savoir principalement tourné vers la sexualité masculine, invisibilisant ainsi dès les rangs de l’école l’existence même d’une sexualité féminine. Aujourd’hui, en France, « un quart des filles de 15 ans ne savent pas qu’elles ont un clitoris, tandis que 68 % des garçons de 4e et de 3e (de niveau secondaire en Belgique) ignorent la fonction de cet organe. Il se trouve aussi que 18 % des garçons de 15-24 ans pensent que mater un porno est un bon moyen d’apprendre à faire l’amour (contre seulement 4 % des filles) » (Mallaval, Ballet, 2016). L’éducation sexuelle préconisée par l’EVRAS est donc indispensable, malheureusement, en Belgique, on constate que 20 % des jeunes parmi les 2es, 3es et 4es secondaires n’ont jamais participé à des activités d’animations EVRAS lors de leur parcours scolaire. Il y a donc encore du chemin à parcourir.

Cependant, même en dehors de l’EVRAS les choses changent grâce à la parole des femmes qui se délie et à celle de quelques hommes. En 2015, le hashtag sur twitter #PayeTonUtérus va témoigner des maltraitances gynécologiques dont les femmes sont victimes. Surtout, les nombreux témoignages récoltés se font l’écho d’une méconnaissance des femmes de leur propre corps et par conséquent de leur incapacité à juger de ce qu’il est normal ou non de subir comme examen, d’avoir mal ou non pendant les règles, de subir une épisiotomie ou non, etc. Martin Winckler, médecin généraliste dénonce alors la mainmise de la médecine – principalement masculine – sur le corps des femmes en mettant à disposition des tutoriels de gynécologie : il y explique le but d’un toucher vaginal, les raisons d’en faire un ou de ne pas en faire un, il revient également sur nombres d’idées reçues au sujet du stérilet, etc. À Bruxelles, des ateliers d’auto-observation gynécologiques reprennent vie. Miroir et spéculum en main c’est en groupe et entre femmes que ces dernières découvrent leur col de l’utérus, leur périnée, et pourquoi pas, leur clitoris. Cette pratique dite de self-help vient des luttes féministes des années 1970. Ces femmes luttant contre une domination patriarcale de la sexualité et pour le droit à l’avortement ont constaté que la plupart d’entre elles ne connaissaient pas leur corps et ont décidé d’y remédier de cette manière. Bien qu’encore marginale, cette pratique reviendrait progressivement aujourd’hui.

Sur les réseaux sociaux aussi, on commence à parler de la sexualité féminine. Plusieurs chaînes YouTube la mettent d’ailleurs à l’honneur ! C’est le cas notamment de « Parlons peu, parlons cul », la chaîne de Maud et Juliette qui abordent des sujets tels que la masturbation féminine, l’endométriose ou les sex toys. Autre blogueuse qui brise les tabous, Cluny ! Elle nous parle de ses menstrues, de ses syndromes prémenstruels, et filme même une observation de son col de l’utérus. Sans parler du site internet OMGyes qui guide les femmes vers l’orgasme à travers des techniques de masturbation. Ce guide s’est d’ailleurs inspiré d’une étude à grande échelle qui reprend les expériences de plus de 2000 femmes, de 18 à 95 ans.

Tout ceci participe à l’émancipation des femmes, en diffusant le savoir qui est lié à leur sexualité, mais aussi à leur corps, à leur fonctionnement. Ainsi, la honte disparaît et, petit à petit, une réappropriation s’opère : celle de soi, de son corps, de son plaisir, mais aussi de ce que l’on accepte de l’autre, médecin, chirurgien, conjoint-e-s, etc. Chimamanda Ngozi Adichie, auteure nigériane, donne ce conseil – parmi d’autres – à une amie pour éduquer sa fille en « féministe » : « Ne relie jamais la sexualité et la honte. Ou la nudité et la honte. Ne fais pas de la virginité un sujet. Chaque conversation sur la virginité devient une conversation sur la honte. Apprends-lui à rejeter ce lien entre la honte et l’anatomie féminine ».

Si les graines de cette révolution sexuelle et féministe semblent avoir été plantées il y a déjà plus de 40 ans, nous ne pouvons que constater ici qu’elles commencent seulement à porter leur fruit, et espérons-le durablement. Mais ce combat – le plus long comme en témoigne le numéro spécial de Manière de Voir (magazine du Monde diplomatique) récemment sorti – est loin d’être gagné. Surtout si l’on pense à l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, ou encore les débats que suscite une simple loi, en France, pour instaurer un délit d’entrave à l’IVG aux sites internet.

Bibliographie
Hamel Christelle, « Maïa Mazaurette et Damien Mascret : La revanche du clitoris », Nouvelles Questions Féministes 3/2010 (Vol. 29), p. 102-105
Rébillard Chloé, « De quand date la découverte du clitoris ? », Sciences humaines, 8/2016 (N° 284), p. 26-26.
Di Marino, V., Lepidi, H. , Anatomic Study of the Clitoris and the Bulbo-Clitoral Organ, Springer International Publishing, pp. 1-4, 2014
Strömquist Liv, L’origine du monde, Editions Rakham, 13 mai 2016.
Deborde Juliette, « Des scientifiques ont enfin compris pourquoi les femmes ont mal pendant leurs règles », Libération, 21 juin 2016. http://www.liberation.fr/sciences/2016/06/21/des-scientifiques-ont-enfin-compris-pourquoi-les-femmes-ont-mal-pendant-leurs-regles_1461040
http://liberation.fr/france/2016/06/15/le-haut-conseil-a-l-egalite-epingle-l-education-a-la-sexualite_1459716

 
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