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La Izquierda Diario
16 de février de 2017 Twitter Faceboock

Les conséquences de l’accord de la honte
Sélection et fusion des universités : les deux faces d’une même pièce

En octobre dernier avait été votée une loi autorisant la sélection en première année de master à l’université. Dans les conseils de plusieurs établissements se votent dès à présent les contingents de chaque filière, afin que la sélection soit mise en place dès la rentrée prochaine. C’est notamment le cas au Mirail, à Toulouse, où le projet de fusion a également été imposé par la présidence.

Léonie Piscator

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L’interdiction d’imposer la sélection à l’Université est un acquis du mouvement étudiant français qui, s’il a souvent été remis en cause, n’avait jusqu’à présent jamais été totalement foulé au pied. Aujourd’hui, avec la mise en place de la sélection à l’entrée de la première année de master qui s’ajoute aux nombreux processus de fusion des universités en cours ou aboutis, les classes dominantes poursuivent leur projet de casse de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Une brève histoire de la sélection à l’université

Après mai 68, sous la pression des mobilisations étudiantes d’ampleur, la loi Faure a été promulguée. Elle est issue d’un compromis entre la volonté des étudiants de rendre les études accessibles à tous, critiques et gratuites, et la nécessité pour les classes dominantes de rentabiliser le savoir. Ainsi, l’une des mesures concédée par cette loi est l’interdiction de la sélection à l’entrée de l’université, alors même que c’était l’inverse que promouvait Charles de Gaulle quelques mois auparavant. La loi Savary, en 1976, réaffirme cette interdiction. En 1986, la loi Devaquet qui tente entre autre de revenir sur cette mesure pour « adapter le flux des étudiants au marché du travail » est mise en échec par les mobilisations étudiantes et elle est définitivement abandonnée suite à la mort de Malik Oussekine.

Le rapport de force entre le mouvement étudiant et le gouvernement, à la botte du patronat, est un facteur déterminant en ce qui concerne les concessions ou, au contraire, les attaques du gouvernement envers l’Université. Et la question de la sélection est centrale, d’un côté comme de l’autre de la barricade. Car pour les classes dominantes, elle permettrait de mettre en place un enseignement supérieur élitiste, adapté à l’ère néolibérale ; tandis que de l’autre côté, la sélection est avant tout un facteur de ségrégation sociale, les jeunes issus des milieux les plus défavorisés étant les premiers à être laissés sur le carreau car obligés de sacrifier leurs études pour pouvoir subvenir à leurs besoins.

Pourtant, malgré la détermination des étudiants à défendre ce droit fondamental qu’est l’accès libre et gratuit au savoir pour tous, la sélection a déjà commencé à s’imposer peu à peu dans nos universités. En licence, le contingentement est déjà mis en place, même s’il est parfaitement illégal, notamment grâce à des outils tels qu’APB (Admission Post Bac). Ce logiciel dirige les bacheliers dans différentes filières de différentes universités « en fonction de leurs choix et de leurs aptitudes » par le biais d’un algorithme obscur, et en dernière instance les départage par tirage au sort. De fait, des milliers de jeunes se retrouvent « sans fac » à chaque rentrée.

Mais en décembre, l’offensive gouvernementale a franchi un nouveau cap, avec l’adoption d’une loi qui instaure la sélection entre la fin de la licence et le début du master, issue d’un accord passé entre la CPU (Conférence des Présidents d’Université) et l’UNEF le 4 octobre dernier.

Dans les faits, le droit des étudiants à poursuivre leurs études après la licence sera aboli. Ils devront désormais faire preuve de leurs « capacités à intégrer un master » par le biais d’un dossier de candidature et d’une épreuve spécifique ou d’un entretien.

Pour faire passer la pilule, le Ministère de l’Éducation nationale a mis en avant le « droit à la poursuite d’étude » en déclarant qu’« aucun diplômé de licence souhaitant poursuivre ses études en master ne sera sans solution, sans choix, sans droit ». En réalité, si un étudiant n’est pas accepté dans le master de son choix, il pourra faire une « réclamation » par le biais d’une plateforme en ligne, où le rectorat devra lui proposer trois autres masters à intégrer. Cependant deux des masters proposés pourront être localisées dans d’autres facs de l’académie, forçant les jeunes à déménager alors qu’ils ont peu souvent de quoi se loger facilement. En outre, la loi ne garantit absolument pas que ces propositions soient en lien avec la licence ou le projet professionnel de l’étudiant.

Fusion et sélection sont intimement liées

Mais la sélection n’est pas une attaque isolée. Il n’est pas anodin que son application vienne s’additionner aux différents projets de fusion des universités permis par les loi LRU et Fioraso, en cours ou aboutis (Aix-Marseille, université de Lorraine, Paris-Dauphine, Paris III, V, VII, Clermont-Ferrand, Toulouse, Lille…). L’un des enjeux majeurs de la fusion est d’adapter les universités à l’économie en poursuivant la dualisation des cycles (licence / master-doctorat), en faisant des premières années d’études supérieures une simple extension des études secondaires, opposées à la recherche qui, elle, débute en master. Dans le même temps, avec l’intégration toujours plus massive de représentants du patronat dans les conseils centraux, la recherche est peu à peu orientée en fonction des besoins des grandes entreprises. Les laboratoires universitaires sont transformés en sous-traitants de la « Recherche et du Développement » pour Vinci, Airbus, Sanofi, etc. Par exemple à Aix-Marseille, où un représentant d’EDF a intégré la gouvernance, des masters en « Mode´lisation et expe´rimentation des mate´riaux pour le nucle´aire » et « Ge´nie des proce´de´s applique´s au nucle´aire » ont vu le jour. L’objectif est donc évident, il s’agit de « professionnaliser » les masters.

Si l’on prend en compte cette donnée, la mise en place de la sélection en master prend tout son sens. Il s’agit pour le patronat de former parmi la masse d’étudiants issus de licences un nombre défini de cadres intermédiaires, des techniciens, de main d’œuvre intellectuelle adaptée à leurs besoins. Les autres étudiants, ceux qui ne se destinent pas à faire des études considérées comme « rentables », ou qui ne sont pas jugés assez bons (bien souvent il s’agit de ceux qui travaillent à côté de leurs études car issus de milieux plus défavorisés et qui ont donc moins de temps pour étudier), seront donc laissés sur le carreau.

Derrière cette logique élitiste globale, c’est la rentabilité qui prime sur la démocratisation du savoir. Et bien évidemment, l’augmentation des frais d’inscription (comme c’est par exemple le cas à Paris-Dauphine où une année de licence peut coûter jusqu’à 2200€) n’est qu’un outil de plus pour rentabiliser l’enseignement supérieur et imposer la sélection sociale.

Les mêmes méthodes anti-démocratiques pour le même objectif : l’exemple du Mirail

Les lois LRU et Fioraso, au-delà de favoriser la fusion des universités pour en faire des pôles compétitifs intégrés au marché économique, a également accéléré leur autonomisation. Ainsi, outre le fait de devoir chercher des fonds privés pour se financer, les universités subissent les attaques de manière isolée, chaque présidence de chaque université mettant en place les mesures délétères que sont la fusion et la sélection de son côté. De fait, la riposte des étudiants et personnels a plus de chance de rester également locale et d’être étouffée.

L’exemple de l’université du Mirail, à Toulouse, est emblématique. Le projet de fusion a mobilisé des centaines d’étudiants depuis plusieurs semaines, en Assemblées générales, dans des rassemblements et des actions pour empêcher différents conseils de voter la feuille de route qui acte le processus. La présidence a profité de ce que les yeux soient rivés sur ce projet de fusion pour tenter d’appliquer au plus vite, en simultané, la sélection en master. Le jeudi 2 février, la Commission Formation et Vie Universitaire (CFVU) a voté les capacités d’accueil pour chaque filières a une courte majorité (1 abstention - 15 contre - 16 pour), entérinant la mise en œuvre de cette réforme délétère. Et ce malgré le fait que nombre d’élus aient dénoncé la nocivité de cette loi etles pressions du rectorat pour qu’elle soit appliquée et en dépit de la mobilisation en cours contre la fusion.

Peu de temps après, le vendredi 10 février, la présidence du Mirail a fait passer en force le projet de fusion au cours d’un CA délocalisé au rectorat, sous protection policière, et à une majorité tout aussi courte - 16 voix pour, 4 contre et 2 abstentions (dont de nombreuses procurations parvenues en cours de séance par voix électronique sur un total de… 36 membres) et ce alors que de nombreux élus étudiants et personnels ont tout simplement boycotté la séance au vue des conditions imposées. Devant le rectorat, 200 étudiants et personnels étaient rassemblés devant ce rectorat pour contester ce projet du fusion !

Pour légitimer ces décisions arbitraires et anti-démocratiques, Daniel Lacroix, président de l’université, n’a pas hésité à mentir ouvertement sur la nature du projet en cours. Mais tous les communiqués du monde ne sauraient masquer le réel enjeu de ces mesures : la marchandisation du savoir, la compétition entre universités, au grand détriment des conditions d’étude et de travail des usagers de ces établissements. Et le fait que les mêmes méthodes anti-démocratiques soient appliquées partout pour faire passer ces attaques nous indique que s’ils cherchent à nous diviser pour mieux nous écraser, il est en réalité nécessaire s’organiser pour une riposte massive et coordonnée à l’échelle du pays.

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