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6 de septembre de 2017 Twitter Faceboock

Impérialisme
Guerre d’Algérie : Un document prouve que la France procédait à des assassinats ciblés
Sadek Basnacki

C’est un mystère pour personne, l’État français, comme n’importe quel État dans le monde, élimine les étalements gênants pour sa politique. Ici, ce qui est différent, c’est que nous en avons la preuve. En effet, un document déclassifié ordonne l’exécution d’un ressortissant allemand. Sur ce document y figure, entre autre, la signature de Jacques Foccart, le monsieur Françafrique de De Gaulle, l’homme de l’ombre de la Ve République, artisan des basses œuvres du régime.

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Crédit Photo : AFP / J.Grevin

Hier, Le Monde publiait une enquête sur la découverte d’un document inédit datant de 1958. Un document signé le 1er août 1958 par Jacques Foccart, homme de l’ombre du gaullisme, qui autorise l’exécution d’un ingénieur allemand, Schulz-Lesum, en pleine guerre d’Algérie. Ce document est extrêmement rare car, déclassifié après 60 ans, il n’a bénéficié d’aucun filtre : on y retrouve le nom de la cible, du commanditaire et celui des différentes personnes ayant autorisé l’exécution.
Tandis que les forces françaises ont recours à la torture en Algérie pour lutter « contre la subversion », le dernier gouvernement de la IVe République, dirigé par De Gaulle, ordonne de son côté des opérations clandestines dans le reste du monde contre ceux qui menacent ses intérêts en Algérie. Il ne recule devant rien : assassinats ciblés, attentats, agressions, etc. Selon Constantin Melnik, coordinateur des services de renseignement de 1959 à 1962, ces pratiques sont monnaie courante. Il y en a eu « des centaines », confessera-t-il dans le très bon ouvrage, De Gaulle, les services secrets et l’Algérie de Sébastien Laurent.

Dans ce cas précis, la demande d’élimination, intitulée « Fiche relative à la désignation d’un objectif », est faite auprès du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage par Paul Ely, qui est à l’époque le chef d’état-major des armées. Le service action du SDECE, le tristement célèbre 11e choc, a fait un rapport où il explique qu’il a logé la cible et l’a même approchée. Un contact commercial a été établi avec Schulz-Lesum. « Ce contact entretenu par correspondance doit nous permettre d’attirer l’objectif dans un lieu favorable au Maroc et de le traiter discrètement par toxique indétectable et à effet différé. ».
Le Monde a reconstitué, dans son article, l’histoire de cet homme et les raisons qui ont conduit la France à vouloir le tuer. « Cette plongée permet de découvrir un épisode méconnu de la guerre d’Algérie : l’action d’un réseau germanophone de soutien au Front de libération nationale (FLN), qui a organisé la désertion de plus de 4 000 légionnaires, via Tétouan, au Maroc. ». Derrière cette enquête, on constate les tensions inter-impérialistes pendant cette période de décolonisation où la France tente de garder son emprise alors que les autres puissances, dont notamment la RDA, tentent de gagner de l’influence.

La cible

Schulz-Lesum était basé à Tétouan où il était en liaison directe avec les autorités ouest-allemandes au Maroc. Ses contacts avec la diplomatie de Bonn au Maroc et en Espagne sont avérés et fréquents. Il ne sera pas assassiné puisqu’il travaille pour les services secrets allemands, le BND, qui l’exfiltreront vers l’État espagnol.
L’Allemand fait partie d’une filière d’exfiltration des légionnaires germanophones. Ce sont des filières de soutien au FLN structurées par des Allemands et Autrichiens de gauche, proches des mouvements socialistes et qui soutiennent le mouvement algérien anti-colonial et plus largement tous les mouvements anti-coloniaux dans le monde. Ici, ils avaient mis en place une filière d’exfiltration passant par le Maroc, puis par l’État espagnol, avant de rejoindre leur pays d’origine. Cette filière revendique 4 111 exfiltrés. Tous n’étaient pas germanophones mais ils appartenaient tous à la Légion étrangère. Entre 1953 et 1954, la Légion comprend 55 % d’Allemands, chiffre qui descend à 35 % entre 1956 et 1962. Le réseau entretient d’étroits liens avec le FLN.

Les Légionnaires et le FLN

Le Conseil national de la Révolution algérienne a créé, en 1956, le service de rapatriement des légionnaires déserteurs. Rapidement, il se lie avec le réseau de Schulz-Lesum, comme le montre les rapports des renseignements généraux de Sidi Bel Abbès, « il ressort que des contacts auraient été décelés entre légionnaires allemands et émissaires du FLN à Saïda. Ces contacts seraient pris dans cette ville à l’intérieur du Café des Sports. ». L’installation du CNRA s’est faite à Tétouan par Abdelhafid Boussouf, alias « Si Mabrouk », ex-chef de la wilaya V, perçu par le SDECE comme un « révolutionnaire au prestige extraordinaire, plus proche des combattants du maquis que de l’aile bourgeoise du Front. ».

Le 22 octobre 1956, l’État français qui, étant prêt à assassiner quiconque allant à l’encontre de ses intérêts impérialistes, n’est pas à un crime prêt, décide d’effectuer un acte de piraterie aérien et détourne un avion d’une compagnie aérienne marocaine dans lequel se trouvent cinq dirigeants du FLN, dont Ben Bella et Boudiaf. L’aviation française détournera l’avion jusqu’en Algérie où les leaders algériens seront arrêtés. Ils seront détenus en France jusqu’en 1962. Les autorités françaises découvriront sur Boudiaf un extrait d’interrogatoire réalisé par les autorités espagnoles d’un légionnaire allemand déserteur âgé de 23 ans, Ludwig Trapp. On peut y lire des informations précieuses sur l’organisation et la sécurité interne de la Légion, comme ses lieux d’implantation en Algérie.

La RDA, puissant soutien au FLN

Malgré le fait que la RDA et la France tâchaient de créer d’étroits liens après la Seconde Guerre mondiale, notamment en prévision d’une troisième guerre mondiale contre l’URSS, le gouvernement ouest-allemand a tenté de son mieux pour grignoter de l’influence dans un monde en pleine décolonisation. À la fin des années 50, pour s’attirer les faveurs de pays arabes tout juste sortis du joug colonial, la RFA envoie ses agents du BND former les services de sécurité de la Syrie, du Soudan et de l’Égypte, pays où les renseignements allemands dialoguent avec le FLN et son gouvernement provisoire. Des membres d’un mouvement pour la réunification de l’Allemagne patronné par la CDU (Union chrétienne démocrate) du chancelier Adenauer, se livrent à l’achat et à la livraison d’armes pour la résistance algérienne. Le SDECE combattra activement ces marchands d’armes qui faisaient passer des armes via la France, parfois en lien avec des groupes communistes et trotskistes.
Les Allemands ont également permis la création d’ateliers permettant de fabriquer des armes comme en témoignent les rapports des renseignements militaires français. « Il existe des ateliers à Nador où des spécialistes (parfois d’anciens légionnaires) fabriquent des grenades et des mines. Une usine de fabrication de grenades et de mines se serait récemment montée à Tétouan, à l’embranchement de l’ancienne et de la nouvelle route de Ceuta, sous la direction de deux ingénieurs allemands. ».

Il était évident pour l’État français que cela ne pouvait plus se passer ainsi. Devant l’accroissement des soutiens envers la cause algérienne et l’aide fournie par certains pays, le gouvernement français décida de faire marcher la terreur. Ainsi, il ordonnera de nombreux attentats et assassinats pour décourager les soutiens au FLN et l’isoler.

L’État français, État terroriste

La France est en difficulté au niveau international, puisqu’elle est montrée du doigt par l’ONU concernant sa politique algérienne. Pour maquiller ses opérations illégales, le SDECE fait croire qu’un groupe mystérieux appelé la Main rouge opère de manière autonome et mène, seul, des actions contre les soutiens actifs au FLN. À l’origine, la Main rouge aurait été composée d’ultras, de pieds-noirs et de partisans acharnés de la présence française dans le Maghreb. Mais, assez rapidement, on va soupçonner la présence derrière ce groupe d’un service secret qui utilise cette appellation pour se livrer à un véritable terrorisme d’État. C’est-à-dire, pour reprendre l’expression de Constantin Melnik, un homme qui a été étroitement impliqué dans l’affaire, la mise en place d’une redoutable machine à tuer qui a été initiée par les plus hautes autorités de la France.

La première opération homo, c’est-à-dire homicide, de la Main rouge a été contre un syndicaliste, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne, Farhat Hached. D’après Antoine Méléro, un policier pied-noir de Casablanca qui participa aux opérations, la Main rouge aurait commis une quarantaine d’attentats en Tunisie. « Nous étions une vingtaine de gars sûrs avec des spécialistes du renseignement, une équipe de protection et le service Action, chargés des opérations Homo décidées à Matignon. J’ai commencé en Afrique du Nord, avant d’agir plus largement quand cela bardait en Algérie. ».

À partir de là, la Main rouge ciblera activement les soutiens au FLN. À Hambourg, le 28 novembre 1956, chez Otto Schlütter, un trafiquant d’armes qui approvisionne le FLN, une bombe explose tuant ainsi son employé. Quelques mois plus tard, sa mère est assassinée. Le trafiquant d’armes allemand Wilhelm Beissner, un ancien des services nazis, perd les deux jambes dans l’explosion de sa voiture en 1957.
En septembre 1957, à Genève, le fabriquant de détonateurs Georges Geitser est poignardé. Quelques jours plus tard, toujours à Genève, c’est Marcel Leopold, autre trafiquant d’armes, qui est assassiné par une flèche empoisonnée tirée à la sarbacane. En 1958, l’avocat kabyle Améziane Aït Ahcène, délégué du gouvernement provisoire de la République algérienne, qui servait de contact entre le FLN et des trafiquants d’armes, est exécuté en plein centre de Bonn à la mitraillette. Le journal Der Spiegel dénonce une action de l’État français.

Le gouvernent français ne recule devant rien et tentera même d’assassiner le célèbre avocat Jacques Vergès. Surnommé « Mansour », c’est-à-dire le victorieux, il milite pour le FLN et défend ses militants. Il est notamment l’avocat de Djamila Bouhired, militante du FLN capturée par les parachutistes français, torturée puis jugée et condamnée à mort pour attentat à la bombe durant la bataille d’Alger. Cette défense lui vaut un an de suspension du barreau. Comme quoi, s’il fallait encore en douter, la séparation des pouvoirs n’est que poudre aux yeux. La Main rouge tentera de l’assassiner mais grâce à une panne de voiture de l’équipe du service Action, l’opération échoua. Raymond Muelle, le chef de l’opération, affirmera que tous les ordres émanaient directement du pouvoir politique, à l’époque, Michel Debré.

Comme François Hollande l’a confirmé dans ses entretiens en 2016 avec des journalistes, les opérations Homo sont toujours d’actualité. L’État français a souvent utilisé le pire des procédés pour empêcher qu’on lui mette des bâtons dans les roues. Il a ainsi donc réalisé des attentats pendant la guerre d’Algérie, fait disparaître des témoins gênants, renversé des gouvernements et assassiné des chefs d’État. On pourrait citer Patrice Lumumba, assassiné avec l’aide des services secrets belges. Il a kidnappé et livré des opposants politiques à des dictatures comme avec Ben Barka. L’État français ne défend pas un État de droit mais un État criminel, un état qui a asservi, massacré des peuples et qui est prêt à n’importe quelles bassesses pour défendre ses propres intérêts, ses intérêts impérialistes.

 
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