Pour une « paix juste », vraiment ?

À nouveau sur la Palestine, la guerre et La France Insoumise

Damien Bernard

Illustration : Ill. Alighiero Boetti, (1940 - 1994), Da uno a dieci, Milan, Emme Edizioni, 1980, Frac Bretagne

À nouveau sur la Palestine, la guerre et La France Insoumise

Damien Bernard

Dans le cadre de la guerre en Palestine, LFI défend la nécessité de concrétiser, par la diplomatie, une solution à deux États sur la base des frontières de 1967. Une solution ?

Suite au 7 octobre, la classe politique en France a ouvert une offensive brutale visant les positions de La France Insoumise sur la guerre en Palestine (LFI). Face à ces attaques répétées, nous avons exprimé à plusieurs reprises notre entière solidarité. Si nous avons déjà explicité notre désaccord avec la position de LFI qui consiste à renouer avec « la position traditionnelle de la France » sur la Palestine, nous souhaitons ici développer les fondements de nos désaccords stratégiques et programmatiques avec leur position sur la guerre actuelle.
 

LFI prône un « cessez-le-feu immédiat » et appelle à une « solution à deux États »

 
LFI a synthétisé sa position dans un communiqué intitulé « Pour une paix juste et durable » dans laquelle elle revendique « un cessez-le-feu immédiat, la libération des otages détenu·es par le Hamas et la levée du blocus de Gaza » comme mesures préalables « à des négociations pour construire une paix durable dans la région ». Dans le même temps, l’organisation a appelé « à des rassemblements qui ont pour mots d’ordre l’appel au cessez-le-feu, à la paix et l’hommage à toutes les victimes quelle que soit leur nationalité. »
 
Sur le plan programmatique, LFI « défend l’application pleine et entière des résolutions de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le soutien à l’ensemble des initiatives diplomatiques à même d’obtenir la reprise des pourparlers de paix, l’arrêt de la colonisation du territoire palestinien, la fin de l’occupation israélienne de l’ensemble des territoires palestiniens, et ainsi concrétiser la vision des deux États vivant souverainement côte à côte, dans la paix et la sécurité, sur la base des frontières de 1967. » Un programme qui rappelle les positions déjà exprimées dans l’Avenir en commun, le programme de Jean-Luc Mélenchon en 2022, en continuité avec « la position historique de la diplomatie française ».
 
Sur le plan diplomatique, LFI continue de revendiquer les accords d’Oslo de septembre 1993, qui constituent selon Jean-Luc Mélenchon le « plan précis » pour atteindre la « paix » : « On a mis du temps pour arriver à un plan précis [pour la solution à deux États], mais on y est arrivé, c’est l’accord d’Oslo », pointe-t-il. Aux pessimistes, il objecte : « certains disent que la solution à deux États a échoué. Mais quand a-t-on essayé ? ». Un positionnement qui appelle, 30 ans après, à appliquer une nouvelle fois Oslo pour atteindre une « paix juste et durable ».
 

30 ans après, il est vraiment temps de tirer les bilans d’Oslo

 
Pourtant, malgré des décennies d’accords intérimaires et de négociations, force est de constater que, 30 ans après, l’échec du « processus d’Oslo » à obtenir une quelconque « paix » est patent. Non seulement ces accords n’ont débouché sur aucun « État palestinien » mais pire, l’oppression du peuple palestinien s’est aggravée. De la multiplication par quatre du nombre de colons depuis Oslo, à la poursuite du nettoyage ethnique sous une forme plus « progressive », en passant par le morcèlement toujours plus accentué de la Cisjordanie et une bande de Gaza transformée en une prison à ciel ouvert, sans même parler de la dégradation de 40 % du niveau de vie des Palestiniens par rapport à 1993, voilà autant d’éléments largement documentés illustrant l’asservissement toujours plus important des Palestiniens et, par conséquent, l’impasse dans laquelle les accords d’Oslo ont mené.
 
Pour se revendiquer d’Oslo malgré tout, LFI s’inscrit dans le récit forgé par la gauche institutionnelle selon lequel le meurtre d’Yitzhak Rabin en novembre 1995 par un extrémiste religieux israélien et les gouvernements qui lui ont succédé ont « enterré » Oslo. C’est ce qu’avance d’ailleurs également le PCF : « immédiatement après la signature [des accords d’Oslo], la droite israélienne et les colons firent tout pour [les] réduire en cendres et conduire à un échec. Cela se traduisit par l’assassinat de Yitzhak Rabin par un suprémaciste juif et l’accélération de la colonisation de terres palestiniennes ».
 
Ce récit du « déraillement d’Oslo à cause de la mort d’Yitzhak Rabin » est largement fantasmé comme en témoignent les faits. Rappelons-le : dans le cadre des accords d’Oslo, le gouvernement israélien d’Yitzhak Rabin n’a fait qu’une et une seule « concession » : à savoir la reconnaissance formelle de l’OLP comme représentant du peuple palestinien. Ni le statut de Jérusalem, ni le droit au retour des Palestiniens, ni la fin de la colonisation, ni le retrait des territoires occupés, et encore moins la question d’un État palestinien n’ont fait l’objet de réelles « négociations ». Alors que ces sujets déterminants étaient renvoyés à de soi-disant « accords finaux », il est toujours plus clairement établi que le processus d’Oslo n’a jamais eu pour objectif d’ouvrir la voie à la création d’un « futur État » palestinien mais bien davantage à désamorcer une situation devenue intenable pour l’occupation sioniste dans les territoires à la suite, notamment, de la première Intifada qui commence en 1987 et prend fin, précisément, en septembre 1993.
 
Les positions d’Yitzhak Rabin étaient en effet limpides. Un mois avant son assassinat, le 5 octobre 1995, il expliquait devant la Knesset : « Nous voulons que cette entité [palestinienne] soit moins qu’un État, et qu’elle gère, de manière indépendante, la vie des Palestiniens sous sa responsabilité. Les frontières de l’État d’Israël, avec la solution permanente, seront au-delà des lignes qui existaient avant la guerre des Six jours. Nous ne retournerons pas aux lignes de 1967 ». Des déclarations confirmées par les transcriptions de la réunion historique du Conseil des ministres du 30 août 1993, déclassifiées en septembre 2023. Selon le Courrier International, « comme on peut le lire dans ces documents, Yitzhak Rabin et Shimon Peres [à l’époque ministre travailliste des Affaires étrangères] expliquaient à leurs collègues que, afin de parvenir à un accord, “les négociateurs palestiniens avaient renoncé à mettre dans la balance la question pourtant essentielle des implantations [juives] en Cisjordanie” ». À la lecture des transcriptions déclassifiées, Dmitry Shumsky du quotidien israélien Haaretz, conclut : « il devient clair, de la manière la plus claire possible, que le "processus d’Oslo" n’a jamais cherché à promouvoir une solution de deux États pour deux peuples, mais s’est accroché à maintes reprises, de manière presque sadique, à chaque obstacle possible pour miner cette solution ».
 
Ce n’est donc ni l’assassinat de Rabbin ni la conséquence d’un changement de gouvernement qui auraient « enterré » Oslo. En réalité, bien loin de vouloir mettre en œuvre « une solution à deux États », Israël voulait à travers ces accords « redéployer » son dispositif d’occupation militaire en Cisjordanie et à Gaza, en le sous-traitant partiellement à une nouvelle « entité » : l’Autorité palestinienne (AP). L’AP possède un certain nombre de fonctions étatiques (gouvernement, parlement, ministères, forces de police) et de prérogatives (éducation, culture, santé, protection sociale, impôts directs et tourisme), mais n’est ni un « futur État » ni un « État en gestation ». Elle est ainsi dépourvue de deux fonctions fondamentales d’un État : le droit à se doter d’organes diplomatiques et donc d’avoir une politique étrangère et le droit d’avoir une armée. En termes de défense, l’AP ne contrôle ni les frontières ni l’espace aérien. Sur le plan politique, le « gouvernement » n’a aucune autonomie réelle, tandis que sur le plan économique, l’ensemble des importations et les exportations doivent transiter par Israël. L’AP n’est donc qu’une « fiction d’État » à la souveraineté très limitée. Concrètement, l’AP se rapproche plus du modèle des bantoustans d’Afrique du Sud au temps de l’apartheid. Encerclant des zones auto-administrées, l’AP agit comme sous-traitant de l’armée israélienne.
 
Pourtant, malgré ces constats et malgré les trente années passées, Mélenchon continue de refuser de tirer les bilans des accords d’Oslo. Pire, il les revendique comme un « plan précis » pour la paix, sous-entendu qu’ils seraient progressistes pour le peuple palestinien. Une telle position constitue non seulement une très grave capitulation aux « solutions » poussées par les grandes puissances impérialistes dont les États-Unis, mais fait également de LFI, la caution de gauche des légataires d’Yitzhak Rabin et de sa politique. Or, celle-ci n’a fait que poursuivre l’occupation militaire par d’autres moyens, permettant à Israël d’accentuer sa domination coloniale. Dès lors, en maintenant une telle position vis-à-vis d’Oslo, LFI ne peut sérieusement prétendre à proposer une issue pour l’émancipation du peuple palestinien.

« La solution à deux États » n’a rien d’une « paix juste »

Si Oslo n’a jamais eu pour objectif d’établir un État palestinien, le discours autour de la « solution à deux États » a été clé pour légitimer les accords et les conséquences qui ont suivi. Or, s’il se donne les traits d’une solution « raisonnée », le programme des deux États a accompagné depuis presque un siècle le projet colonial sioniste.

La « solution à deux États » a constitué la base des « plans » agités par la « communauté internationale » pour trouver une issue au « conflit Israélo-arabe ». D’abord énoncée en 1937 par la commission Peel pour canaliser la Grande Révolte arabe de 1936-1939, reprise par l’ONU en 1947 par le plan de partage de la Palestine mandataire, alors sous domination britannique, les appels à la création de deux États ont joué un rôle clé pour légitimer la création de l’État d’Israël en 1948. Ce n’est qu’au milieu des années 70 que la « solution à deux États » a pris une connotation pacifiste. L’ONU adoptait ainsi en novembre 1974 une résolution reconnaissant le droit à l’autodétermination de la Palestine, avant de reconnaître l’OLP, mais seulement au titre de « membre observateur ». Un positionnement formel qui s’inscrivait en continuité de la politique des Etats-Unis visant à « pacifier » la région après la guerre du Kippour en 1973, ouverte par l’Égypte et la Syrie, qui venait répondre à l’offensive coloniale d’Israël lors de la guerre des Six jours en 1967. Cette politique de pression étatsunienne en faveur d’une « normalisation » s’est partiellement concrétisée en 1978 à travers les accords de Camp David I instaurant « la paix » entre l’Égypte et Israël. Depuis cette période marquée par la surenchère coloniale israélienne (guerre du Sinaï en 1956, guerre des Six Jours en 1967, guerres contre le Liban en 1978 et 1982), les partisans de la « solution à deux États » se rattachent à un supposé « processus de paix » qui permettrait la coexistence « pacifique » d’un État palestinien aux côtés d’Israël.
 
Derrière les principes, les frontières prévues entre ces deux États sont tout sauf neutres. Elles suivraient les « lignes du 4 juin 1967 » qui existaient avant la guerre des Six jours et sont également connues comme les « lignes de l’armistice de 1949 ». Ces frontières sont la conséquence de la Nakba, le nettoyage ethnique qui a conduit à l’expulsion de plus de près de 750 000 Palestiniens entre 1947 et 1949, dans le cadre d’un plan politico-militaire d’expulsion et de dépossession des terres, jalonné de nombreux massacres perpétrés par les groupes de choc sionistes, ancêtres de Tsahal. En réaction, les pays arabes, dominés par une bourgeoisie réactionnaire et des régimes monarchistes, ont riposté sans réellement s’en donner les moyens avant que les milices sionistes ne l’emportent et ne conquièrent des territoires allant bien au-delà des 56% de la Palestine mandataire promis en 1947 par l’ONU. L’armée israélienne qui se forme alors officiellement sous le nom de Tsahal s’empare de 78 % de la Palestine et de la majeure partie de Jérusalem, doublant presque la superficie devant être attribuée, à l’origine, à Israël. En réaction, l’ONU applaudit le massacre et admet l’État d’Israël en tant que membre permanent. Ce sont donc ces frontières issues de la Nakba qui sont aujourd’hui au fondement de la « solution à deux États ».
 
Loin d’avoir œuvré pour la « paix », la fonction historique de la « solution à deux États » a été de légitimer et de perpétuer l’État colonial d’Israël. Son principe même conforte l’idée selon laquelle deux peuples se battraient pour la même terre et suggère que les causes et racines du « conflit israélo-palestinien » seraient symétriques de sorte que chacune des parties aurait sa part de « responsabilité ». Or, de telles « solutions » ne sont que la continuation sous d’autres formes des divers plans de partage colonial aux délimitations et découpages plus ou moins défavorables aux Palestiniens. Des 83 % de la Palestine mandataire proposés en 1937 pour un futur État arabe aux 42 % définis par le plan de partage de l’ONU, la « solution » actuellement reprise par La France Insoumise appelle à la constitution d’un supposé « État palestinien » sur… 22 % de ses terres historiques. Une « solution », qui n’en est pas une, et qui piétine la majorité des revendications historiques du peuple palestinien, telles que le droit au retour des réfugiés de 1948, de 1967 et des décennies suivantes ou encore la continuité territoriale. La « solution à deux Etats » ne peut manifestement constituer une base pour une « paix juste ».
 

Est-il possible de réformer l’État d’Israël ?

 
Pour faire advenir cette « paix juste », LFI appelle à exercer une pression diplomatique afin d’infléchir la politique du gouvernement israélien et permettre la « solution à deux États ». Un postulat qui pose la question suivante : pourquoi, malgré un soutien unanime de la « communauté internationale » et des grandes puissances impérialistes, la « solution à deux États » n’est-elle jamais advenue en 75 ans ?
 
Des réponses partielles sont évoquées par Mélenchon. À la question, « la solution à deux États est-elle encore possible ? », le leader insoumis invoque l’autorité de l’ONU : « Pour l’instant, je m’en tiens aux décisions des Nations unies. […] Les Nations unies ont dit qu’il fallait deux États ». À ceux qui évoquent l’échec de la « solution à deux États », il répond : « certains disent qu’elle a échoué. Ah bon ? Mais quand a-t-on essayé ? Non mais pour dire cela, encore faut-il qu’on ait essayé. Or, on n’a jamais essayé ». Des réponses qui, bien loin de convaincre, visent à contourner la discussion et à balayer toute remise en question de la « solution à deux États ».
 
Pourtant, loin de toute invocation possibiliste, le fait qu’une telle « solution » n’ait jamais vu le jour s’explique en premier lieu par la spécificité du projet colonial sioniste en tant que colonisation de peuplement. Comme l’ont développé Ilan Pappé et d’autres historiens, le colonialisme de peuplement diffère du colonialisme classique à plusieurs égards. D’abord, comme le pointe Pappé dans son ouvrage Les dix légendes structurantes d’Israël « le colonialisme de peuplement est motivé par le désir de s’approprier des terres dans un pays étranger, alors que le colonialisme classique convoite les ressources naturelles des pays colonisés ». Alors que dans le schéma traditionnel du colonialisme, l’exploitation du peuple autochtone implique la survie de la main d’œuvre et le maintien de sa subordination aux colons, ce qui est au principe même du colonialisme de peuplement c’est « la logique de l’élimination de l’indigène » comme l’explique Patrick Wolfe dans son article « Colonialisme de peuplement et élimination des autochtones ». Comme le souligne un autre de nos articles sur les parallèles entre le projet génocidaire de construction des États-Unis, l’Afrique du Sud coloniale et de l’Apartheid et Israël, aux États-Unis, projet de colonisation de peuplement le plus abouti, le peuple indigène a été massacré, converti de force au christianisme, et finalement confiné dans des réserves. En Afrique du Sud, ce processus a abouti à un système d’apartheid basé sur le travail de la population noire autochtone semi-esclavagisée. En Palestine, « l’élimination » a pris majoritairement la forme du nettoyage ethnique, de la ségrégation, de l’enclavement, et aujourd’hui du génocide. Autant de spécificités qui, pour Patrick Wolfe, rendent le colonialisme de peuplement « relativement imperméable aux changements de régime ». Ainsi, en tant que projet de colonie de peuplement, le sionisme et son produit, l’État d’Israël, ne mettront fin à leur processus de colonisation que lorsque leur objectif de nettoyage ethnique sera atteint dans l’ensemble de la Palestine pour obtenir « le maximum de terres avec le minimum d’Arabes ».
 
Bien loin de ces considérations, Mélenchon ne considère pas la colonisation comme consubstantielle à Israël, mais comme une orientation « politique » à combattre. La colonisation est alors réduite à une « politique gouvernementale » résultant de la « composition du gouvernement » à savoir de la pression de l’extrême-droite ». Une analyse en total décalage par rapport à la réalité historique et politique d’Israël. Pour s’en convaincre, il suffit de scruter la composition politique de la Knesset, le Parlement israélien où au moins une centaine de députés sur cent vingt défendent la poursuite de la colonisation, tandis qu’une majorité est favorable à l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie. Ce n’est donc pas sa seule frange « extrémiste » qui veut poursuivre la colonisation, mais l’ensemble du régime.
 
Le discours développé et défendu par LFI ne peut que semer la confusion sur la nature des tâches à résoudre pour la libération du peuple palestinien. D’abord car « amender » la politique du gouvernement actuel sans combattre le sionisme ne peut constituer qu’une incantation. Ensuite, parce que la focalisation sur Israël met sous le tapis la responsabilité des grandes puissances impérialistes qui, derrière leurs discours hypocrites autour de la « solution à deux États », défendent le maintien de leurs intérêts stratégiques dans la région. Enfin, car en se subordonnant à la défense du « droit à l’existence d’Israël », LFI capitule sur des revendications historiques du peuple Palestiniens comme le droit au retour des réfugiés de la Nakba et des guerres qui ont suivi. Une logique de conciliation qui implique que, si Mélenchon reconnait une « politique d’apartheid », les insoumis ne revendiquent ni des droits égaux pour les « Arabes israéliens » ni la fin du régime d’Apartheid israélien qui impliquerait de démanteler le caractère sioniste et excluant de l’État tel qu’il existe. Contre une telle logique, qui ne peut que déboucher sur des capitulations programmatiques ou des fausses « solutions » fonctionnelles à l’État d’Israël et à ses alliés, il est important de réaffirmer que la libération véritable du peuple Palestinien ne peut trouver d’issue « durable » tant que se perpétueront les structures et la domination du sionisme en tant que mouvement colonial.
 

La stratégie diplomatique est une impasse

 
Pour appliquer son programme, LFI s’appuie fondamentalement sur une stratégie diplomatique, par le biais de l’ONU et du droit international. Mélenchon déclarait ainsi le 11 janvier devant la Cour de Justice Internationale (CIJ) de La Haye : « le peuple humain ne se donne à voir que par le droit international, et par l’action collective bien sûr, mais ce qui est important c’est que nous avons le droit international, si imparfait soit-il. » Pour Mélenchon, « si un jugement actait bien que la situation présente le risque de génocide alors la situation politique serait complètement modifiée ». Des déclarations qui illustrent que, si pour LFI « l’action collective » peut constituer un levier, c’est la voie diplomatique sur le terrain international (ou parlementaire, sur le terrain national) qui constitue le centre de la stratégie insoumise. Une rhétorique qui contraste avec les faits puisque les dizaines de résolutions des Nations-Unis n’ont pas fait avancer d’un iota les droits des Palestiniens. De même, tout en constituant un camouflet pour Netanyahou, la reconnaissance par la CIJ d’un « risque » génocidaire en Palestine n’empêche en rien Tsahal de continuer le massacre. Plutôt que persister dans cette voie, il s’agirait donc d’en tirer le bilan.

Le droit international, et plus globalement la voie diplomatique, constituent une impasse pour plusieurs raisons. D’abord, car les accords et traités de « paix » ne peuvent être déclarés abstraitement, mais se déterminent en fonction des rapports de forces sur le plan militaire et politique. Or, au regard de la configuration actuelle, il est utopique d’imaginer qu’un accord diplomatique puisse être un pas en avant vers l’autodétermination et la libération de la Palestine. Si des accords peuvent « geler » temporairement la guerre, ils ne peuvent déboucher, en l’absence de modification qualitative du rapport de force, que sur une domination sous d’autres formes comme cela a été le cas avec les accords d’Oslo. Ensuite, car agiter en réponse à la guerre une voie de résolution par « en haut », par une diplomatie qui constitue en définitive l’arme par laquelle les classes dominantes régulent les relations internationales, ne peut qu’alimenter des illusions et désarmer le mouvement de soutien à la Palestine. Alors que les institutions internationales comme l’ONU n’ont eu cesse de démontrer leur impuissance politique quand elles ne s’affichent pas en soutien clair aux puissances impérialistes, miser sur la seule diplomatie ne peut que jouer un rôle de passivisation de la résistance palestinienne et des mouvements de solidarité à échelle internationale. Ainsi, face à l’État d’Israël soutenu par l’ensemble des puissances impérialistes, les masses ne peuvent compter que sur leurs propres forces. C’est seulement sur le terrain de la lutte de classe et de l’internationalisme qu’il est possible d’imposer un changement dans le rapport de force global entre les classes, seul à même de changer la donne et permettre la libération de la Palestine.
 
De ce point de vue, des leçons sont à tirer pour la Palestine du cas de l’Afrique du Sud et du processus qui a abouti à la fin du régime d’apartheid. En effet, si l’égalité juridique formelle a été obtenue pour les Sud-Africains non blancs, cela ne s’est pas transposé en une égalité au plan économique. C’est ce que pointe Andy Clarno dans son ouvrage sur « l’apartheid néolibéral » : « Les Sud-Africains ont vu des résultats : l’État a été démocratisé et les Sud-Africains noirs ont obtenu l’égalité juridique formelle. Les Palestiniens, en revanche, n’ont gagné ni la liberté ni l’égalité, et aujourd’hui Israël reste un État colonial. Malgré ces résultats différents, les transitions des vingt dernières années ont produit des changements socioéconomiques étonnamment similaires dans les deux régions : inégalités croissantes, pauvreté racialisée et stratégies avancées pour sécuriser les puissants et contrôler les pauvres racialisés ». Aussi, en parallèle à l’exacerbation des inégalités sociales, de nouveaux mécanismes d’oppressions politico-économique se sont développés contre les populations noires en Afrique du Sud, comme l’illustre notamment l’émergence de milices appelées « fourmis rouges ». Ces sociétés de sécurité employées aussi bien par des propriétaires privés que par les pouvoirs publics locaux se chargent de « faire respecter » les avis d’expulsion au moyen de méthodes ultra-violentes – tabassages, viols, meurtres. Deux éléments qui montrent que sans remise en question des bases matérielles de l’exploitation et de l’oppression, les inégalités politiques et économiques se reconstituent sous d’autres formes, perpétuant ainsi les mécanismes du régime d’apartheid.
 

Pour une Palestine ouvrière et socialiste

 
Le cas de l’Afrique du Sud comme la trajectoire et l’involution politiques d’un Nelson Mandela permettent d’illustrer que la stratégie par laquelle la libération politique est obtenue n’est en aucun cas une composante secondaire. Les tâches de la libération nationale ne peuvent être dissociées d’une stratégie et d’un programme qui remettent en question les rapports impérialistes de domination, la propriété privée capitaliste et qui s’inscrivent dans la perspective de la révolution socialiste.
 
Loin de constituer une solution, le programme des « deux États » ne constitue qu’un « discours », comme le notent Eyal Sivan et Éric Hazan dans leur ouvrage Un Etat commun. Ce discours s’inscrit dans une logique de partition coloniale qui, depuis plus d’un siècle, a légitimé le sionisme à l’échelle internationale, conduisant à la création de l’État d’Israël. Depuis, les puissances impérialistes occidentales, comme les États-Unis, s’appuient sur ce discours pour se couvrir vis-à-vis de la colonisation israélienne, tout en la soutenant dans les faits. Il en va de même pour les régimes arabes réactionnaires de la région, par delà leur discours plus ou moins pro-palestinien, puisque la « solution à deux États » leur permet de se positionner « aux côtés » des Palestiniens, tout en conservant des liens privilégiés avec l’État d’Israël.
 
En défendant la « solution à deux États », LFI s’adapte au discours avancé par la bourgeoisie impérialiste, de Biden à Macron. Cette adaptation est in fine l’expression d’une stratégie diplomatique qui ne peut que mener à adapter et abaisser ses objectifs politiques à ce qui est posé comme « possible » au regard d’un rapport de force, très dégradé pour les Palestiniens. Un « moindre mal » qui pousse aujourd’hui LFI à défendre le même programme que l’aile gauche du Parti démocrate aux États-Unis.

À rebours de toute stratégie diplomatique, nous pensons, comme le souligne Léo Valadim que la libération du peuple Palestinien ne sera jamais le produit d’ententes diplomatiques entre impérialistes, ni de l’action des bourgeoisies arabes, sur lesquelles compte la direction actuelle de la résistance palestinienne, dont nous ne partageons ni la stratégie, ni les méthodes. Cette libération ne peut être le fruit que d’un processus révolutionnaire à échelle régionale qui soit le fait des masses palestiniennes et arabes. Les classes populaires des pays arables ont repris la rue par millions depuis le 7 octobre, en dépit des politiques conciliatrices de leurs gouvernements. Il faudrait alors qu’elles puissent renouer avec la dynamique révolutionnaire qui s’était mise en branle avec les « Printemps arabes ».
 
Face à la nouvelle Nakba, tout programme doit dans l’immédiat exiger l’arrêt urgent et sans condition des bombardements sur Gaza, la fin de la violence des colons juifs en Cisjordanie, le droit au retour de l’ensemble des réfugiés Palestiniens, ainsi que l’arrêt immédiat de la colonisation et la fin du régime d’apartheid et des droits égaux pour tous. Un programme qui se doit aussi d’être clairement anti-impérialiste, en exigeant l’ouverture des frontières, notamment avec l’Égypte, le retrait de l’ensemble des troupes impérialistes au Proche et au Moyen-Orient, ainsi que l’arrêt immédiat des bombardements impérialistes qui menacent d’embraser la région.
 
Au-delà des aspects plus immédiats, ce programme doit remettre en question les bases matérielles qui rendent possibles le colonialisme et l’apartheid. Cela implique le démantèlement de l’appareil d’Etat sioniste, l’expropriation des capitalistes, qu’ils soient juifs ou arabes, et celles des grands propriétaires terriens dont les terres doivent être placés sous le contrôle des travailleurs, ainsi que la constitution d’un gouvernement ouvrier dans lequel les droits nationaux, culturels et religieux des Palestiniens, des Juifs et de tous les groupes nationaux du territoire seraient respectés et constitueraient les bases d’une coexistence pacifique et fraternelle. À rebours des partitions coloniales du type « solution à deux États », les socialistes défendent en effet la perspective d’un État unique sur l’ensemble de la Palestine historique, un État ouvrier, laïc et socialiste qui en finirait avec l’exploitation capitaliste et avec toute oppression nationale, religieuse, de genre et de race. Une Palestine libre qui s’inscrirait inévitablement dans le cadre d’une fédération socialiste du Proche et du Moyen-Orient. Seul un tel programme, en tant que matérialisation d’une stratégie révolutionnaire, permettrait au peuple palestinien et aux peuples de la région d’avancer vers leur libération véritable.

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