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La Izquierda Diario
25 de janvier de 2018 Twitter Faceboock

Ce n’est que le début…
Sélection à l’université : ce qu’il faut attendre exactement du « plan étudiant »
Georges Camac

Annoncé en conférence de presse le 30 octobre dernier, le « plan étudiant » du gouvernement doit entrer en vigueur dès la rentrée 2018. Selon le gouvernement, il ne serait pas question de « sélection » à l’université. Pourtant, c’est bien un cocktail explosif qui se prépare et dont le « plan étudiant » n’est que la première étape.

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Adopté en procédure accélérée par l’Assemblée Nationale le 19 décembre 2017, le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, dit « plan étudiant », va modifier considérablement les conditions d’admission et de formation à l’université. Avant même sa lecture au Sénat prévue les 7 et 8 février, la première mise en œuvre est déjà effective à travers la création de la plateforme Parcoursup qui remplace son ancêtre APB. Mais ce n’est que la première étape d’un projet de refonte de l’enseignement supérieur.

Sélection à l’université, fin de la compensation, modularisation des enseignements : ce que prévoit le texte de loi

Premier aspect de la réforme, l’admission des prétendants à l’université va être considérablement modifiée, notamment à travers la mise en place de la plateforme Parcoursup. Désormais, les futurs étudiants ne peuvent plus faire que 10 vœux (contre 24 auparavant), sur une offre totale de formation qui comprend 12.000 possibilités. En outre, les candidats seront triés selon une liste « d’attendus » (équivalent des prérequis que souhaitait Macron) nationaux et locaux. La liste nationale a d’ores et déjà été publiée et définit pour chaque filière un certain nombre d’attendus, parfois très généraux (avoir un intérêt ou des connaissances sur tel ou tel sujet), parfois très précis, comme avoir suivi un module spécifique, sur une plateforme internet par exemple, ou bien disposer du BAFA. Chaque université a enfin la main sur la définition d’attendus locaux, et surtout sur les critères (notes minimales, attestations, lettre de motivation, etc.) permettant de vérifier que les futurs étudiants ont bien les « attendus » requis : une brèche énorme pour la création de filières d’élite, à l’image de ce qui se pratique déjà pour l’entrée en classe préparatoire.

Deuxième aspect de la réforme, celle-ci prévoit la fin de la compensation. Ce mécanisme permettait jusqu’ici, pour les (nombreux) étudiants qui obtenaient moins de 10/20 dans une UE (Unité d’Enseignement), de la compenser avec les autres UE en obtenant une moyenne supérieure à 10/20 sur l’année. Concrètement, le taux d’échec à l’université va donc augmenter significativement, d’autant plus que les notes sont bien souvent harmonisées par les enseignants sur demande des directions pour s’échelonner selon des règles fixées à l’avance. Cela veut donc dire que les directions d’université pourront fixer, avec plus ou moins de latitude, le taux d’échec par filière qu’elles souhaitent.

Cet aspect de la réforme est d’autant plus explosif qu’elle coïncide avec deux autres chantiers du gouvernement et des directions d’université qui sont actuellement sur la table. D’abord, la fin des rattrapages qui pourrait être expérimentée dès l’année prochaine. Deuxièmement, l’interdiction des redoublements, qui vient d’être mise en place ce mercredi, à titre « d’expérimentation », par les universités Paris V, VI et VII dans les filières de médecine. Une « expérimentation » qui pourrait très vite se généraliser à d’autres filières ou à d’autres universités. Le projet est limpide : en cas d’échec dans une matière, un étudiant ne pourrait plus compenser avec les autres UE, ni même avoir une seconde chance avec les rattrapages, ni redoubler ; pour se réinscrire il devrait passer la barrière des attendus. Pour beaucoup d’entre eux, il ne resterait donc que l’exclusion de l’enseignement supérieur.

Enfin, last but not least, le gouvernement souhaite mettre en place une modularisation des enseignements, soit la fin des parcours et des années de licence, c’est-à-dire une latitude beaucoup plus grande pour composer son parcours avec différents modules. Cela signifierait la fin de l’équivalence nationale des diplômes et donc le renforcement d’une université à deux vitesses, avec des parcours d’élite et des parcours « poubelles ». Il s’en suivrait donc une compétition accrue pour les modules les plus qualifiés : la mise en place d’une sélection de fait des étudiants dans chaque module trop demandé semble plus que probable.

Un pas dans la stratégie globale du gouvernement et du patronat français pour l’université

L’attaque du gouvernement à travers son « plan étudiant », renommé à juste titre « plan anti-étudiant » par les opposants, est donc conséquente. Ce n’est cependant que la première étape. La droite, et son journal préféré Le Figaro, est d’ailleurs déjà montée au créneau pour critiquer une mesure qui, si elle va dans le bon sens de leur point de vue, reste trop timorée. Ils regrettent notamment le fait de ne pas assumer clairement l’objectif de sélection du gouvernement et de ne pas avancer suffisamment.

La droite a raison sur un point : plus qu’une révolution néolibérale dans l’université telle qu’il la voudrait, il s’agit surtout, de la part du gouvernement, d’un pas de plus dans la stratégie de pourrissement entamée depuis plusieurs décennies. Le principe est simple et a été théorisé par les classes dominantes depuis plusieurs décennies : asphyxier l’université pour faire passer progressivement la pilule très amère et impopulaire de la sélection à l’université. Entre 2008 et 2018, selon l’économiste Thomas Piketty, le budget alloué par étudiant a ainsi baissé de 10%. Une baisse drastique qui pèse lourdement sur les conditions d’enseignement et d’étude : TD et amphis surchargés, locaux universitaires délabrés, restriction des budgets de recherche, la situation n’est que très connue. Au point d’en conclure, même pour les plus réfractaires, que, finalement, la sélection pourrait peut-être sauver la situation

Sauf que… au-delà du fait que cela signifierait liquider un acquis obtenu de haute lutte après mai 68, la logique ne tient pas. Accepter aujourd’hui le « plan étudiant », et plus généralement la sélection à l’université, cela signifierait signer un chèque en blanc au gouvernement. Cela donnerait le signal aux classes dominantes que leur stratégie est la bonne et leur appétit, qui n’est limité que par la résistance que leur oppose le milieu universitaire, ne s’en trouverait que renforcé. Et à ce titre, les projets sont nombreux, et pour beaucoup d’entre eux déjà en bonne voie. La sélection, « officielle » cette fois-ci bien sûr, mais aussi l’augmentation des frais d’inscription, que certains rapports préconisent de monter jusqu’à… 8000 euros. Une perspective qui n’a rien de fictionnel. Pour preuve, le master de l’Université Côte d’Azur, intitulé MARRES, en partenariat public-privé affiche des frais d’inscription à 4000 euros. Ce genre « d’exceptions » se multiplie ces dernières années et pourrait vite, si on n’y prend pas garde, devenir la norme.

C’est d’ailleurs la stratégie du gouvernement, bien rôdé en termes de communication pour faire diversion sur son projet. Récemment, celui-ci a annoncé en grande pompe l’augmentation du budget de l’enseignement supérieur de 1 milliard d’euros. Une annonce en forme de « fake news », comme dirait l’autre : puisque d’une part, le gouvernement « oublie » de préciser qu’il avait préalablement amputé ce budget de 331 millions d’euros au mois de septembre. Mais surtout, que ce milliard d’euros, réparti sur 5 ans, devient 200 millions d’euros qui serviront tout juste à amortir deux autres chantiers du gouvernement : la refonte de la sécurité sociale étudiante et la mise en place de Parcoursup, donc du tri des étudiants par les universités.

Un mouvement d’ensemble contre la sélection et pour le retrait du « plan étudiant »

Cette dernière précision est importante, car le « plan étudiant » a déjà suscité des réactions au sein du monde universitaire. La majorité des syndicats de l’enseignement supérieur ont déjà exprimé leur opposition au projet. Les CFVU de Paris 1, Paris 3 et de Toulouse Jean-Jaurès ont voté contre la remontée des attendus, ainsi que plusieurs UFR dans différentes universités ; et les CFVU de Clermont Auvergne et de Rennes 2 ont été envahis. Le 20 janvier, 300 personnes se sont réunies à la Bourse du travail de Paris pour lancer un appel contre la réforme et fédérer les forces autour d’un plan d’action. A Aix-en-Provence, la mobilisation se poursuit depuis décembre, tandis qu’à l’université Toulouse Jean-Jaurès, une AG a réuni entre 500 et 600 personnes ce mercredi contre la fusion universitaire et la sélection. A Paris 8, plusieurs départements ont refusés de faire remonter les attendus et les organisations syndicales du personnel et des enseignants appellent, avec les organisations étudiantes, à une AG commune pour le 31 janvier. Un peu partout, des AG ont été convoquées notamment dans le cadre de la journée de mobilisation nationale du 1er février contre la sélection appelée par l’inter-fédération large composée de CGT-FERC, FNEC FO, FSU, SGL, Solidaires étudiants, SUD éducation, UNEF, UNL. Une réunion inter-organisations de jeunesse s’est également tenue pour rejoindre la date.

Or, au sein de la contestation (salutaire !) au projet de « plan étudiant » qui semble se lancer tant bien que mal, les mots d’ordre sont pour le moins dispersés. Si certains contestent le principe même de la sélection, d’autres, notamment du côté des personnels, dénoncent surtout les conditions d’application de la réforme, en termes de moyens humains et financiers. Il faut dire que le traitement des dossiers s’annonce comme un travail de forçat, d’autant plus que les zones d’ombre sont nombreuses. Cette revendication est bien sûr légitime, et progressiste, mais au vu de la stratégie du gouvernement explicitée plus haut, elle pourrait faire office de ver dans le fruit pour faire passer la réforme.

La méthode du gouvernement est ingénieuse : celui-cherche à déminer le sujet en multipliant les annonces contradictoires, mais aussi les contre feux, et en cherchant in fine à diviser un mouvement qui n’a même pas vraiment commencé. C’est pourquoi le mouvement naissant doit se doter de mots d’ordre clairs et communs : contre la sélection à l’université et pour le retrait du « plan étudiant », cheval de Troie d’une offensive globale contre l’université qui ne saurait annoncer autre chose que le pire. Sur les budgets enfin, nous devons exiger des moyens à la hauteur des besoins, déterminés démocratiquement par chaque université, contre la logique de marchandage et de mise en compétition des établissements universitaires.
Enfin, parce que le rapport de forces est la seule manière de nous faire entendre, nous devons chercher à construire et unifier un mouvement d’ensemble pour faire plier le gouvernement.

A ce titre, la division des organisations syndicales entre le secondaire et l’enseignement supérieur qui est déjà visible, avant même qu’il n’y ait quelque chose de tangible en termes de mobilisation, est particulièrement délétère. Il n’y a même pas eu un seul « test » concret de l’écho que pourrait susciter la réforme que déjà, les dates se multiplient : après l’annonce du 1er février, le SNES-FSU a lancé de manière unilatérale la date du 6 février et la FSU Education Nationale appelle à se mobiliser le 7 février… Un éparpillement incompréhensible alors même que le gouvernement attaque l’ensemble du secteur éducatif à travers une seule et même loi. Alors pour nous, c’est clair, enseignants du secondaire et du supérieur, étudiants, lycéens, personnels : c’est tous ensemble, le 1er février, appelé largement, qu’il faudra être en grève le plus massivement possible, dans la rue, et reconduire le mouvement si la mobilisation est réelle. Car si Devaquet, celui qui, ministre, s’était cassé les dents sur la sélection, est mort il y a quelques jours, il peut encore se retourner dans sa tombe si nous mettons toutes nos forces dans la bataille.

 
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