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Non à l'instrumentalisation !

« Féminicide de masse en Israël » : une tribune au service de la propagande d’un Etat colonial

Une tribune publiée le 11 novembre dans le journal Libération exige la reconnaissance d’un féminicide de masse en Israël le 7 octobre. Une voix qui se veut « féministe », mais qui s'inscrit dans le cadre d’une campagne internationale d’instrumentalisation de la lutte contre les VSS en soutien à la politique coloniale d'Israël.

Cécile Manchette

23 novembre 2023

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« Féminicide de masse en Israël » : une tribune au service de la propagande d'un Etat colonial

Le 11 novembre dernier, Libération publiait une tribune exigeant de reconnaître le meurtre d’israéliennes par le Hamas le 7 octobre comme un « féminicide de masse ». A l’initiative de cette tribune, le collectif « parole de femmes » composé de personnalités françaises comme Charlotte Gainsbourg, Anne Hidalgo, Tomer Sisley, Isabelle Carré, Catherine Marchal, Samuel Le Bihan ou Elsa Zylberstein.

Le texte se fait le relai en France de la voix de juristes et collectifs en Israël qui alertent sur l’importance de la collecte de preuves médico-légales et de témoignages attestant des violences sexuelles commises sur des femmes le 7 octobre, et dénoncent leur omission, par les experts, le gouvernement, et les organisations internationales.

Si les exactions qui ont été commises ce jour-là sur des civils, et notamment des femmes, sont terribles et doivent être dénoncées, on peut néanmoins s’interroger sur les objectifs d’une telle tribune.

Une tribune « pas politique » mais purement « féministe », vraiment ?

Dans le texte, les signataires appellent à « regarder en face » le « féminicide de masse » qui aurait eu lieu le 7 octobre, « sans le lier au conflit israélo-palestinien ». Pour les autrices du texte, « les femmes n’ont pas été tuées de la même façon que les autres » le 7 octobre, et « les violences faites sur ces femmes correspondent en tout point à la définition du féminicide, c’est-à-dire le meurtre de femmes ou de jeunes filles en raison de leur sexe ». Décrivant les exactions commises contre ces femmes, la tribune se conclut en insistant « encore une fois : il n’est pas question du conflit israélo-palestinien. Cet appel n’est pas politique. Cet appel est purement féministe et humaniste. »

Un texte non-politique ? En réalité, derrière la tribune signée par l’actuelle maire de Paris, Anne Hidalgo, qui avait illuminé la Tour Eiffel aux couleurs du drapeau d’Israël il y a quelques semaines, ou l’ex ambassadeur de la France en Israël, Arié Avigdor, on trouve bien une campagne politique. Ces dernières semaines, des femmes du monde entier connues pour leur soutien à l’État d’Israël enchaînent en effet des interpellations similaires du mouvement féministe et des institutions internationales, dénonçant ce qui serait un « déni » des violences sexuelles commises par le Hamas.

L’objectif de la campagne ? Insister sur le caractère « terroriste » du Hamas, qualification critiquée par de nombreux universitaires et experts du Moyen-Orient, et sur la nécessité d’un soutien inconditionnel à Israël. Figure de la campagne, la juriste israélienne Ruth Halperin-Kaddari dénonce ainsi sur i24News l’attitude de l’ONU et l’attitude de la « communauté internationale » qui ne « croiraient pas les femmes en Israël ». Concernant l’importance de lutter sur ce terrain, elle explique : « c’est important pour l’équilibre des forces entre nous et le Hamas (…), il y a des visages de cruauté, de monstruosité de cette organisation terroriste, le monde doit le reconnaître. Il s’agit d’une organisation terroriste qui a commis des crimes (…) au niveau génocidaire, leur cruauté dépasse même celle de Daesh. »

Un discours qui vient, au nom de la lutte pour la reconnaissance de violences sexuelles, appuyer celui de l’État d’Israël qui dénonce depuis le 7 octobre toute tentative d’intégrer cette attaque meurtrière dans le contexte de la situation coloniale en Palestine comme un soutien au terrorisme. Sans surprise, le même discours est relayé par des femmes bourgeoises comme Sheryl Sandberg, milliardaire, ex-numéro 2 de Facebook, qui a publié une vidéo sur les réseaux sociaux dénonçant les viols du Hamas. Un contenu relayé par l’ambassade d’Israël aux Etats-Unis ou le ministère des affaires étrangères israéliens.

Une campagne qui s’attaque directement au mouvement féministe

S’il n’est pas difficile de voir derrière la campagne une tentative d’instrumentalisation de violences sexuelles au service du soutien à l’État d’Israël, à l’heure où celui-ci commet un massacre à Gaza, les figures qui relayent cette rhétorique s’en prennent également directement aux féministes elles-mêmes.

Au Parlement Européen, la députée du parti nationaliste flamand N-VA, Assita Kanko expliquait ce mercredi : « Le mouvement MeToo et les prétendues féministes intersectionnelles n’en ont rien à faire de toutes les femmes. Si elles restent silencieuses, cela veut dire qu’elles ont menti sur leur engagement pour les droits des femmes. Leurs actions soutiennent l’oppresseur, pas les victimes. » Un propos qui rejoint celui d’une récente tribune de Andrea Samuels pour le Jerusalem Post intitulée « Le massacre du 7 octobre prouve que #MeToo ne s’applique pas aux femmes juives. »

En France, la rédactrice de la tribune publiée dans Libération, Olivia Cattan, est quant à elle encore plus explicite quant à sa vision de la lutte pour l’émancipation des femmes. Dans une tribune pour le média très droitier Atlantico, elle explique refuser de participer au 25 novembre car elle ne serait pas en « sécurité ». Et d’ajouter : « « Intersectionnalité », « racisée ». Quels autres mots allez-vous donc encore inventer pour continuer à nous diviser, entre noires et blanches, juives-chrétiennes et musulmanes, riches et pauvres, gauche et droite. (…) Finalement ces collectifs n’ont rien à envier aux hommes. Leur volonté de domination est la même. Je renonce donc avec tristesse mais avec détermination et conviction à cette marche de lutte contre les violences faites aux femmes parce que je ne marcherais jamais avec des intégristes de la pensée. »

Des attaques qui cherchent à diviser le mouvement féministe sur la question du soutien à la Palestine, au nom d’un féministe universaliste abstrait et d’une réthorique civilisatrice, portée par femmes affiliées aux classes bourgeoises et libérales. Derrière la prétendue volonté de rendre hommage aux femmes israéliennes, on a ainsi affaire à une attaque en règle contre toute perspective de solidarité du mouvement féministe avec la lutte de la Palestine. A ce titre, un des nombreux articles de la presse israélienne relayant la campagne n’hésite pas à aller jusqu’à revendiquer le licenciement de la féministe canadienne et directrice du Centre d’aide aux victimes de violences sexuelles de l’Université d’Alberta, Samantha Pearsons, pour avoir signé un texte de solidarité avec la Palestine, dénonçant le génocide en cours.

Une tentative dangereuse de dépolitisation de la situation en Palestine

Les violences sexuelles constituent une dimension récurrente des guerres et elles doivent être dénoncées. De ce point de vue, les viols, au même titre que les meurtres de civils, commis par le Hamas le 7 octobre sont inacceptables. Cependant, la dénonciation de ces crimes est salie par celles qui veulent instrumentaliser la question des « féminicides » pour empêcher tout soutien à la Palestine et s’attaquer à celles et ceux qui dénoncent la politique coloniale de l’État d’Israël. En ce sens, la campagne sur le « féminicide de masse » en cours s’inscrit dans la continuité du discours du gouvernement israélien qui cherchent à utiliser l’horreur du 7 octobre pour justifier l’oppression des Palestiniens et l’offensive coloniale en cours. A propos de la qualification du 7 octobre de « pogrom », Enzo Traverso notait début novembre :

« Certes, le 7 octobre a été un massacre épouvantable, mais le qualifier de plus grand pogrom de l’histoire après l’Holocauste signifie suggérer une continuité entre les deux. Cela induit une interprétation assez simple : ce qui s’est passé le 7 octobre n’est pas l’expression d’une haine engendrée par des décennies de violences systématiques et de spoliations subies par les Palestiniens ; c’est un nouvel épisode dans la longue séquence historique de l’antisémitisme, qui va de l’antijudaïsme moyenâgeux jusqu’à la Shoah, en passant par les pogroms dans l’Empire des Tsars. Le Hamas serait donc le énième avatar d’un antisémitisme éternel. Cette lecture rend inintelligible la situation, cristallise ces antagonismes et sert à légitimer la réponse israélienne. »

Il est possible de faire l’analogie entre l’instrumentalisation de l’antisémitisme et de la Shoah, d’une part, et celle des violences sexistes sexuelles, d’autre part. Dans les deux cas, la focalisation sur ces dimensions du 7 octobre, et sur les crimes inacceptables commis par le Hamas, permettent d’empêcher de regarder la situation en face et de se demander quel est le sort du peuple palestinien depuis 75 ans. En évitant cette question, la tribune dans Libération revient à effacer, voire légitimer le génocide en cours en Palestine, qui a déjà fait plus de 14 000 morts. Paradoxalement, alors même que le terme de féminicide sert à politiser les meurtres commis sur une femme en raison de son sexe, son usage vient finalement accomplir le geste inverse : « dépolitiser » la situation en Palestine et faire du 7 octobre l’expression d’une sorte de haine « barbare » des femmes, purement liée au patriarcat, accompagné d’un appel explicite à ne surtout pas « lier au conflit israélo-palestinien la discussion.

A rebours de cette approche, Enzo Traverso explique : « je peux comprendre les réactions émotionnelles très fortes au 7 octobre, mais elles ne devraient pas étouffer un effort nécessaire de contextualisation et de compréhension rationnelle ». Un effort entreprise par de nombreux intellectuels et journalistes d’origine israélienne depuis le 7 octobre, à l’image de Gideon Levy, journaliste à Haaretz, ou de Ilan Pappé, historien, et qui est à l’opposé total de celles qui tentent justement de faire primer les « réactions émotionnelles » en se servant pour cela de la cause féministe.

La lutte contre le patriarcat est indissociable de la lutte contre l’impérialisme et le capitalisme

La lutte contre les violences sexuelles est très régulièrement instrumentalisée dans les Etats occidentaux pour stigmatiser les Arabes et les personnes musulmanes, et justifier des politiques racistes. Le gouvernement français ou l’extrême droite en sont les champions quand ils justifient des politiques sécuritaires et xénophobes, à l’image du discours de Marlène Schiappa ces dernières années, et des mesures d’expulsion des étrangers en cas de condamnation pour violence de genre. Cette tribune, en décontextualisant le conflit, alimente le même type de récit.

Dans ce cadre, il n’est pas surprenant que les femmes qui dénoncent les meurtres de femmes israéliennes ne mentionnent pas le fait que depuis le 7 octobre, le gouvernement israélien a ainsi bombardé et tué des dizaines de milliers de palestiniens et déplacé par la force des centaines de milliers d’autres. Dans cette situation, des accouchements et césariennes se font actuellement sans anesthésie en Palestine, des femmes meurent sous les bombardements, tandis que d’autres sont emprisonnées, à l’image de Ahed Tamimi ou, en France, de Mariam Abu Daqqa, une femme de 72 ans arrêtée brutalement en pleine nuit en France et expulsée vers l’Egypte.

Féministes révolutionnaires, nous réaffirmons que la lutte contre l’oppression patriarcale, dont les violences sexuelles sont l’une des expressions, est indissociable du combat contre le colonialisme, le capitalisme et l’impérialisme. En aucun cas nous ne laisserons le combat juste et nécessaire contre les violences sexuelles être utilisé à des fins racistes et servir de justification à l’oppression et l’extermination d’un peuple.

Le mouvement féministe doit dénoncer fermement ces positions qui nient l’aspiration à la justice d’un peuple qui a été dépossédé de ces terres, opprimé pendant 75 ans, et qui aujourd’hui est exterminé avec la complicité du gouvernement français et des grandes entreprises françaises. Sans justice, il n’y aura la jamais la paix. C’est ainsi que le 25 novembre nous défilerons aux couleurs de la solidarité avec la Palestine, pour le droit au retour des réfugiés palestiniens, et contre l’instrumentalisation de notre combat féministe et LGBTI à des fins coloniales et racistes !


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