En janvier, on a vu rejaillir les vieux débats sur le service national, militaire ou civique, obligatoire ou facultatif. 19 ans après sa suspension sous Chirac, plusieurs députés UMP s’étaient exprimés en faveur du retour du Service National Obligatoire. Peut-être pas seulement militaire, peut-être plus court, mais quand même. Au PS, on penchait plus vers une solution de type service civique facultatif. Finalement, Hollande a tranché : le service civique, déjà existant, sera rendu accessible à tout candidat dès le 1er juin. La droite soutient évidemment.
Le service civique, des emplois déguisés...
Mis en place en 2010, le service civique consiste en des missions de 6 à 12 mois, facultatives donc, payées 573 euros par /mois pour très souvent un travail à temps plein. Sous prétexte de mission d’intérêt général, l’Agence de service civique prend soin de nous expliquer que ces missions n’ont rien à voir avec un emploi déguisé, puisqu’il n’y a pas besoin de CV ni de compétences particulières, mais plutôt de motivation et de « savoir-être ».
Pourtant, il suffit de chercher quelques minutes pour trouver des annonces demandant explicitement tel diplôme ou compétence. Et le fait qu’il y ait 4 fois plus de candidats que de missions permet une sélection. De fait, une grande partie des missions sont réalisées par des jeunes diplômés du supérieur. Et pour pas cher, puisque l’employeur ne débourse que 106 euros (l’Etat complète avec 467 euros), contre 508 pour un stagiaire ou 1646 pour un smicard. Depuis sa mise en place, ce sont 81,5 millions d’heures de travail qui ont ainsi été payées environ 10 fois moins cher que le SMIC (sachant que celui-ci est déjà un salaire de misère).
Avec beaucoup de mépris, on nous explique que ces missions ne sont pas véritablement un travail, mais un « engagement » dans un projet « d’intérêt général ». Ce sont par exemple 20.000 missions supplémentaires dans le secteur de la santé, notamment dans les maisons de retraite, qui devraient être créées.
Le gouvernement joue une rengaine connue, en instrumentalisant l’aspiration à l’entraide collective, progressiste en soi, pour payer le moins possible le travail nécessaire à la reproduction du système capitaliste, comme l’éducation, la santé, la culture... Des pompiers volontaires payés au lance-pierre à compétence égale, aux animateurs de colonies, en passant par l’aide aux devoirs, le secteur sanitaire, l’associatif, etc... la logique reste la même : baisse des subventions d’un côté, « remplacement » par le service civique de l’autre.
… et l’embrigadement de la jeunesse dans la citoyenneté républicaine
Selon une enquête du CREDOC de début 2015, 80% des moins de 30 ans s’investissent, ou sont prêts à le faire, dans un projet d’intérêt collectif. Cela passe majoritairement par l’engagement dans une association. Pourtant, selon le sondage, une grande majorité reste sceptique sur sa capacité à changer réellement les choses. En effet, les capitalistes se satisfont d’un humanisme qui ne remet pas en question les racines de cette misère, et qui en plus en masquent les effets, et tout cela à moindre coût. Mais si en plus, cet humanisme est institutionnalisé et enrégimenté dans un citoyennisme renforcé (il n’y a qu’à parcourir la section « mémoire et citoyenneté » du site gouvernemental consacré au service civique pour s’en faire une idée) à la mode « ordre républicain » à l’image de l’offensive à la fois idéologique et répressive menée par le gouvernement dans l’éducation nationale, c’est une opération entièrement réussie !
« Engagez-vous qu’ils disaient ! »
Pour Martin Hirsch, président de l’institut du service civique, directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, et auteur fin janvier d’un texte « Le service civique contre le djihadisme », cette mesure doit plaire aux conservateurs, nostalgiques du service militaire, comme au PS pour se donner une allure humanitaire. Même Mélenchon applaudit des deux mains, et rappelle qu’en 96, il avait voté contre la suspension du service national obligatoire. Il serait plutôt favorable à son retour, obligatoire bien que sous une autre forme ou plus court. Mais après ses Marseillaises entonnées et ses discours anti-allemand, on n’est plus surpris.
Aujourd’hui, si une majorité des jeunes a envie de s’engager dans un projet d’intérêt collectif, mieux vaut pour le patronat que cet engagement ne le remette pas en cause, voire même lui remplisse directement les poches. De notre côté, nous avons déjà souligné que l’intérêt collectif n’est pas l’intérêt national, le front républicain ou l’union sacrée. Notre intérêt, c’est que les exploités renversent la minorité d’exploiteurs ! Et si nous nous « engageons », c’est dans la construction d’un outil au service de cette majorité d’exploités, pour organiser les luttes des travailleurs et de la jeunesse, c’est-à-dire d’un parti révolutionnaire.
10/06/2015