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Censure

Fact-checking. Oui, des étudiants sont bien « virés » de leurs logements CROUS pour les JO

Une organisation de « fact-checking juridique » partenaire de Meta tente de s’attaquer au travail de RP sur la base d'arguments fallacieux, avec des conséquences graves telles que l’invisibilisation de notre compte sur les réseaux sociaux.

7 mai

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Fact-checking. Oui, des étudiants sont bien « virés » de leurs logements CROUS pour les JO

Depuis le matin du 7 mai, les nouvelles publications du compte Instagram de Révolution Permanente ne sont pas visibles par les personnes non abonnées, tandis que les utilisateurs souhaitant identifier Révolution Permanente sont notifiées du fait que le compte aurait « publié de manière répétée des informations fausses ». Une accusation grave qui ne repose que sur le « fact-checking » de l’organisation Les Surligneurs.

Ces dernières semaines en effet, des vidéos d’Erellux publiées conjointement avec Révolution Permanente font l’objet d’un « fact-checking » très orienté de la part de cette organisation, qui avait annoncé en février dernier avoir conclu avec Meta un « accord commercial dans le cadre de son programme de vérification des faits par des tiers », ce qui permet à ses analyses de déboucher sur des sanctions contre les pages visées. Or, Les Surligneurs n’hésitent pas à déformer des affirmations et à les passer au crible d’une analyse juridique fallacieuse, qui finit par restreindre considérablement la possibilité de défendre des opinions politiques. Retour sur deux exemples.

Oui, des étudiants ont bien été « virés » de leurs logements CROUS pour les JO

Le premier exemple d’analyse orientée contre une vidéo d’Erellux publiée en commun avec Révolution Permanente concerne le traitement des étudiants hébergés dans des logements CROUS pendant les Jeux Olympiques. Dans sa vidéo, Erellux dénonce le fait que des étudiants soient « virés » de leurs logements CROUS à l’occasion des JO.

Dans une analyse rédigée par Samuel Prévost, « étudiant en master Droit et Action Publique à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye », Les Surligneurs arguent que l’État ne peut pas « virer » les étudiants de leur logement et que « le Crous de Paris, lors de sa délibération du 6 novembre 2023, a prévu l’organisation du relogement des étudiants concernés, en garantissant un autre logement en juillet et en août à tous les étudiants qui le souhaitaient, dans une autre résidence ». Les Surligneurs affirment par ailleurs que « les textes ne permettent aucun relogement forcé avant le 30 juin, sauf si l’étudiant concerné est d’accord » si bien que « tous ces déménagements se déroulent de manière “contractuelle“ ».

Or ces affirmations reposent sur la négation totale d’une situation qui est caractérisée, y compris par certains médias, comme une « expulsion » et contre laquelle des mobilisations étudiantes ont eu lieu, autour du mot d’ordre « non aux expulsions ! ». A propos du système de « contractualisation » des départs avant le 30 juin, Les Surligneurs ignorent volontairement les conditions des départs anticipés réalisés sous la menace des réquisitions possibles à compter du 30 juin. Des étudiants décrivent d’ores et déjà les difficultés de relogement et le fait que les résidences demandées ne sont déjà plus disponibles.

En ce sens, une élue au conseil d’administration du CROUS de Paris explique à RFI la pression qui pousse les étudiants à « accepter »ces délogements anticipés : « Le problème de ce système-là, c’est qu’il pousse les étudiants à partir le plus tôt possible. Pourquoi ? Parce que là, actuellement, ils ont le choix des résidences là où il y a de la place, mais s’ils veulent partir fin mai, début juin, il n’y aura plus de place partout. Et pour les gens qui ont un stage l’été, un rattrapage, leurs partiels, etc., ils vont se retrouver dans une situation avec 40, 50 minutes de trajet et ce sera tant pis pour eux. »

Ce sont cette situation et ce sentiment que reflète Erellux dans sa vidéo, qui constitue une prise de position politique contre le fait de pousser des étudiant·e·s à quitter leurs logements CROUS. Le fait que certains étudiant·e·s finissent par accepter un relogement ne remet nullement en cause le caractère contraignant de la situation, et l’usage du mot « viré », sauf à dépolitiser totalement la discussion. Interpellés par un de leurs lecteurs, Les Surligneurs sont obligés de nier cet argument : « (26 avril 2024, 17h00). Un lecteur fidèle, que nous remercions vivement, nous objecte que “ce n’est pas la légalité mais la légitimité de ces réquisitions qui est attaquée” dans la vidéo en cause. (…) Erellux, dans sa vidéo et son titre, utilise des mots qui ont un sens et qui sont destinés à marquer : “virer”, c’est de l’unilatéral, de l’exécution forcée, en somme une expulsion. C’est faux en droit comme en fait. D’où notre surlignage. »

Pourtant, on peine à voir en quoi les propos de Erellux, qui s’appuient sur les mobilisations d’étudiants et d’organisations étudiantes qui dénoncent les expulsions, pourraient être qualifiés de « faux en fait » de façon aussi sommaire. En réalité, cette remise en cause du droit d’utiliser des termes politiques pour qualifier une mesure politique est une restriction dangereuse du débat public.

La dénonciation d’une situation « islamophobe et discriminatoire » considérée comme une fake news

Autre exemple, le fact-checking d’une vidéo de Erellux du 13 avril qui dénonce le refus d’un directeur de magasin Geox de faire travailler une jeune femme intérimaire voilée. L’affaire avait connu le 11 avril un fort écho médiatique, avec une dénonciation sur les réseaux sociaux du traitement de la jeune intérimaire, suivi d’une campagne de l’extrême droite pour s’attaquer à la jeune femme.

Dans sa vidéo, Erellux dénonce le fait que les médias et l’extrême-droite ont lancé une polémique visant la jeune femme voilée, la dénonçant comme une « militante islamiste » sur la base de mensonges explicites, alors que celle-ci est « victime d’une situation islamophobe et discriminatoire ». Sur la base de ces propos, l’auteur du fact-checking, Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social à l’Université de Nantes, rappelle que le code du travail prévoit la possibilité d’imposer, sous certaines conditions, à ses salariés et aux intérimaires qui travaillent pour elle, « la neutralité » dans son règlement intérieur.

Cette affirmation est juste. Cependant, elle ne peut suffire à incriminer les propos d’Erellux. D’abord, l’article des Surligneurs se base sur la seule question de la possibilité en droit d’interdire à une intérimaire voilée de travailler via son règlement intérieur. Il s’appuie pour cela sur le fait que Geox a affirmé disposer d’une « clause de neutralité » dans son règlement intérieur, sans qu’à ce jour des extraits du règlement intérieur n’aient été publiés et sans avoir répondu à des médias tels que CheckNews,

Pourtant, cet argument n’épuise pas la question. Comme le concèdent eux-mêmes les Surligneurs, le règlement intérieur doit en outre être porté à la connaissance des salariés auxquels la société entend l’appliquer. Surtout, comme le note Auguste V, doctorant en droit, sur son blog Mediapart : « un employeur n’est pas “libre d’interdire le foulard dans son entreprise”. Il doit - même en présence d’une clause de neutralité - être en capacité de justifier sa mesure. Cette justification déterminera la portée de l’interdiction. Sans savoir si, dans l’entreprise concernée, il existait une clause de neutralité, sans connaître ses justifications potentielles, ni le poste que l’intérimaire était tenu d’occuper, il est difficile de conclure que le gérant pouvait refuser de travailler avec l’intérimaire. » Un argument qui met à mal le discours des Surligneurs, qui s’en tient à admettre sans preuve l’existence d’une clause de neutralité dans le règlement intérieur de Geox et à supposer celle-ci licite, alors que sa justification est susceptible d’être contestée judiciairement. [1]

« L’analyse juridique ne peut pas se réaliser dans l’abstrait, elle doit s’ancrer dans une espèce déterminée. Or, nous ne disposons pas de données factuelles suffisantes pour établir une conclusion contraignante. » conclut Auguste V. Sur la base du même argument, le président de SOS Racisme a pu s’interroger sur BFM TV le 12 avril sur la légitimité de cette interdiction. De son côté, Elsa Marcel, avocate en droit du travail, rappelait au micro de BFMTV le 11 avril dernier :« Même dans le règlement intérieur, on ne restreint pas les libertés fondamentales pour une raison superficielle. Il faut que ce soit proportionné au but recherché et qu’il n’y ait pas d’interdiction générale et absolue. »

Un fact-checking très politique

En définitive, le travail des Surligneurs, présenté comme un simple « fact-checking », tend à empêcher de dénoncer politiquement des lois ou des décisions qui peuvent parfois être considérées discriminatoires ou violentes indépendamment de leur légalité. La fédération CGT Travail Emploi Formation professionnelle dénonçait ainsi dès 2016 que l’autorisation de ces « clauses de neutralité » ouvrait la voie à « des restrictions de liberté » et à un « traitement discriminatoire ».

Avec de telles analyses, utilisées ensuite pour limiter la visibilité de contenus et de pages sur les réseaux sociaux, il serait possible demain de s’attaquer à toute prise de position de politique qui conteste la légitimité de décisions légales. Il s’agit d’une menace grave contre le débat public et sur les réseaux sociaux, face à laquelle il est fondamental d’agir, faute de quoi un large spectre de positions politiques pourraient être attaquées demain.


[1Il faut en effet rappeler que la tenue vestimentaire relève de l’article L. 1121-1 du code du travail qui fait de la liberté le principe et de la restriction une exception strictement encadrée. Les clauses de neutralité, comme l’ensemble du règlement intérieur, peuvent donc être contestées, notamment sur le terrain de la discrimination indirecte (CJUE 13 oct. 2022, aff. n° C‑344/20).



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