« Il était une fois une gauche travaillée, un siècle durant et plus, par la tentation totalitaire. » [écrit BHL dans Ce grand cadavre, Paris, Grasset, 2007]. Puis vinrent les « nouveaux philosophes » : « Que voulait cette campagne de penseur, lancée par Maurice Clavel, menée par André Glucksmann, moi-même et quelques autres, et qui défraya la chronique de la fin des années 70 ? » La « Nouvelle philosophie était le principe d’une politique qui ne voulait plus entendre parler de Cité bonne ou de Cité des fins advenant sur cette terre. C’était le congé donné à toute solution finale ... C’était l’idée qu’il vaut mieux se mettre d’accord sur le Mal que sur le Bien ... ». Le Mal n’est pas une question simple. Il ne va pas de soi. Il ne va pas tout seul. Il présuppose une certaine idée du Bien. L’un ne va pas sans l’autre. En donnant leur propre définition du Mal, les nouveaux philosophes ont défini en retour, qu’ils le veuillent ou non, un camp du Bien. Celui de la guerre éthique ou humanitaire. Celui de Bush et de Sarkozy, pour André Gluscksmann.

Dès l’apparition médiatique de la « nouvelle philosophie », Deleuze avait vu clair et loin. A la question « Que penses-tu des nouveaux philosophes ? », il répondait sèchement [cité dans Deux régimes de fous, Paris, Minuit, 2003] : « Rien. Je crois que leur pensée est nulle ... Ils cassent le travail ... Ils ont une nouveauté réelle, ils ont introduit en France le marketing littéraire ou philosophique, au lieu de faire une école ... » La nouveauté si bruyamment proclamée était, somme toute, au plus haut point conformiste :« Rien de vivant ne passe par eux, mais ils auront accompli leur fonction s’ils tiennent assez la scène pour mortifier quelque chose. » Et Deleuze ajoutait : « Ce qui me dégoûte est très simple : les nouveaux philosophes font une martyrologie. Ils vivent de cadavres. » Cette nécrophagie mortifère a connu depuis son apothéose avec Le livre noir du communisme, ou les tribulations glüksmanniennes de Dostoïevski à Manhattan.

Deleuze de conclure : « C’est une pensée qui se méfie de la pensée », et c’est « la négation de toute politique ». Il était donc logique et prévisible dès ses débuts que l’entreprise philosophique Lévy and Sons, ayant commencé par nier la politique, finisse dans la théologie.