Le parti travailliste remporte la mairie de Londres

Le candidat conservateur Zac Goldsmith, multimillionnaire et fils de la bourgeoisie anglaise, et Sadiq Khan, fils d’un ouvrier immigré d’origine pakistanaise et musulman, se sont retrouvés en lice pour la mairie de Londres au cours d’une campagne électorale assez tendue. Goldsmith avait en effet lancé une campagne visant à discréditer son adversaire travailliste en l’accusant de « tolérer les extrémistes ». Tout au long de la campagne, Goldsmith a joué la carte du racisme et de l’islamophobie en cherchant à assimiler Khan, qui est musulman, à des terroristes islamistes. Sans grand succès, y compris au sein même de son propre parti où des figures importantes n’ont pas hésité à critiquer sa tactique.

Khan a remporté haut la main la course avec 57 % des voix, soit une avance de 14 % sur son rival conservateur qui n’en a obtenu que 43 %. A l’issue du premier dépouillement du scrutin, aucun candidat n’avait obtenu les 50 % nécessaires pour être élu. C’est le transfert de votes prévu dans le cadre de ce scrutin à vote préférentiel qui a propulsé Khan par-dessus la ligne d’arrivée.

Khan, avocat de 45 ans, s’apprête ainsi à prendre les rênes de la capitale anglaise après huit ans de règne conservateur de l’excentrique Boris Johnson. La plus grande municipalité du pays passe alors dans les mains de l’opposition officielle du gouvernement national conservateur. Un fait politique qui ne s’est pas produit depuis le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher quand Ken Livingston a été élu président du Conseil municipal de Londres.

_ Un conte de deux cités

Khan est considéré comme appartenant au centre du Parti travailliste, loin d’être un « homme de Corbyn ». S’il a soutenu ce dernier comme leader du parti, il l’a fait surtout sur des bases démocratiques. Jeremy Corbyn a ouvertement soutenu la candidature de Khan, mais ce dernier a choisi de s’en démarquer progressivement avec un profil plus indépendant. Khan est également considéré comme un « modéré » au sein de la communauté musulmane, notamment en raison de son soutien au mariage gay. Cette position lui a attiré plusieurs critiques provenant des secteurs les plus conservateurs de la communauté musulmane.

Les profils des candidats ont un air d’un compte de deux cités. D’un côté, le multimillionnaire conservateur, ayant étudié au prestigieux collège d’Eton et dont toute la vie a été servie sur un plateau. De l’autre côté, le fils d’un conducteur de bus et d’une couturière immigrés d’origine pakistanaise, un véritable « self-made man » ayant grandi dans un HLM avec ses huit frères dans le quartier de Tooting et travaillé aux côtés de l’avocate spécialisée dans les Droits de l’Homme Louise Christian, surtout connue pour avoir défendu les détenus de Guantánamo ou des victimes de violences policières.

Dans une certaine mesure, les deux candidats reflètent les contradictions de la ville elle-même, où cohabitent, sans nécessairement se côtoyer, des millionnaires avec des maisons de luxe et des piscines privées, et une masse laborieuse, majoritairement immigrée, qui peine à payer les loyers exorbitants de la grande ville.

Un manque d’attrait pour le multimillionnaire Goldsmith et la diversité culturelle de Londres peuvent aussi expliquer la victoire de Khan. La composition ethnique de la ville est une donnée, sans être absolue, que l’on ne saurait ignorer dans l’équation. Selon le rapport publié par le Muslim Council of Britain (Conseil musulman de Grande-Bretagne) sur son site Internet, la population musulmane constitue 12,4% de la population londonienne, et s’élève jusqu’à 19 % dans certains quartiers comme Tower Hamlets dans l’est de la ville. Selon ce même rapport, 36,7 % des habitants londoniens sont d’origine étrangère (dont 24.5 % d’origine européenne), faisant de Londres l’une des villes les plus multiculturelles du monde.

L’impression d’un Parti travailliste unifié sous la direction de Corbyn, face à un Parti conservateur profondément fractionné, surtout en ce qui concerne la question de l’appartenance à l’Union européenne, a probablement joué dans la victoire. Les grèves des jeunes médecins et les mobilisations contre les coupes budgétaires et pour l’accueil des migrants traduisent l’existence de londoniens qui ne se sentent pas représentés par les magnats de la finance, mais qui s’identifient à des leaders comme Corbyn ou des candidats comme Khan.

Le Parti vert est devenu la troisième force politique de la ville – et beaucoup de ses électeurs ont voté pour Khan comme deuxième option. Il sera sûrement un allié du Parti travailliste qui n’a pas réussi à obtenir la majorité absolue au Conseil municipal. Pour sa part, Georges Galloway de RESPECT (gauche radicale), a obtenu à peine 1 % des voix.

_ Un panorama post-électoral peu changé

Le panorama post-électoral montre peu de changements au niveau national. Jeremy Corbyn a fait ses preuves dans les villes industrielles du centre du pays comme Manchester, Liverpool, Coventry, Leeds et Birmingham. Au total, les travaillistes ont perdu une mairie et 23 conseils municipaux. Le Parti conservateur a perdu, lui, une mairie et 46 conseils municipaux. Quant au Parti démocrate-libéral et au xénophobe UKIP, ils ont gagné respectivement chacun 44 et 26 conseils à travers le pays.

En Écosse, le Parti national écossais (SNP) a prouvé qu’il continue à avoir le vent en poupe avec 49 % des voix, même s’il n’a pas conservé sa majorité absolue au Parlement local. Nicola Sturgeon, la Première ministre écossaise, va donc se voir obligée de former un gouvernement minoritaire avec le soutien des Verts. En obtenant 24 % des voix, le Parti conservateur est devenu l’opposition officielle, reléguant ainsi le Parti travailliste à la troisième position.

Au Pays de Galles, le Parti travailliste continue à être la plus grande minorité, avec 29 sièges, alors que la formation xénophobe UKIP arrive pour la première fois à en obtenir 7.

Trad. I.M.