Ce matin, un adolescent de 17 ans a été abattu au volant d’une voiture à Nanterre. Un énième meurtre policier lors d’un contrôle routier, justifié par un « refus d’obtempérer ». Après plusieurs dizaines de personnes mortes dans des circonstances similaires, ce meurtre a été filmé par plusieurs témoins, mettant la version policière à mal. Malgré cette vidéo, BFM TV et Cnews se sont relayées toute la journée pour accabler la victime, mentant sur son casier judiciaire et cherchant à justifier par tous les moyens le tir du policier.

Dès le début de la matinée, BFM TV reprend à son compte la version policière des évènements. Sur le plateau, les faits sont ainsi décrits : « Refus d’obtempérer d’une Mercedes. Un policier se met à l’avant pour le stopper. Le conducteur lui fonce dessus, le policier tire une fois ». Malgré la vidéo qui montre que les policiers étaient sur le côté du véhicule, et que le conducteur n’a donc pas « foncé sur le policier », la chaîne d’info en continu commence la couverture de l’évènement par un mensonge. Le début d’un traitement de l’affaire totalement à charge contre Naël, mort quelques heures plus tôt.

La couverture partiale continue à 13h30, lorsque la journaliste, dépêchée sur place, commence à construire le récit, rôdé, d’une figure du grand banditisme que la police aurait arrêté. « Ce conducteur était connu au niveau de la justice pour plusieurs refus d’obtempérer, pour usage de stupéfiants et conduite sans permis, puisque c’est un jeune homme de 17 ans » explique la journaliste, débutant le florilège d’accusations qui vont peser sur la victime, rapidement accusé d’être un jeune drogué « connu de la justice ».

La journaliste continue, expliquant qu’il y a « énormément de colère dans le quartier : outre la famille, on a vu d’autres habitants qui nous disaient que pour eux ce jeune homme avait été mis à mort, tout ça à cause d’une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux, où l’on voit une situation pas très claire, des policiers qui sont plutôt sur le côté du véhicule » (nous soulignons). Grâce à une petite pirouette sémantique, la journaliste arrive même à accuser l’auteur de la vidéo, sans laquelle ce meurtre policier serait resté surement anonyme, de causer un scandale. A 17h22, Olivier Truchot interroge Maître Yassine Bouzrou, avocat de la famille, et réactive à cette occasion la version policière, en détente : « Vous pouvez pas penser à la sincérité de ces policiers qui peut-être se sentaient menacés par ce véhicule qui les avait coincés en quelque sorte contre le mur ? ».

Cnews, de son côté, s’empare du sujet un peu plus tardivement, mais en s’érigeant comme la chaîne de télévision de défense du policier. Interrogé comme spécialiste, le syndicaliste policier médiatique Mathieu Valet va pouvoir dérouler son argumentaire répressif. « Aucun policier ne tue de gaité de cœur une personne dans une opération de police très difficile : en un dixième de seconde, le policier doit savoir si l’utilisation de son arme lui permettra de protéger sa vie et celle des autres. […] Les policiers disent que lorsqu’ils ont voulu interpeller le conducteur, celui-ci a aussitôt redémarré. Quand il y a un mort, c’est toujours un drame, mais quand on des policiers ou des gendarmes grièvement blessés voir morts, on entend moins certains élus que lorsqu’on peut avoir décède des suites d’une intervention de police » explique-t-il pour tenter de relativiser la mort de Naël, tué par un de ses collègues.

Pour charger l’adolescent, tous les moyens sont bons : « Cce conducteur il est issu de la cité Pablo Picasso, et avait déjà fait un refus d’obtempérer samedi dernier auprès des policiers de Nanterre » explique le commissaire, rejoint par Eric Revel quelques instants plus tard qui explique en passant qu’à « Nanterre, il y a de nombreuses cités très difficiles, où parfois vous avez du trafic de drogue en pleine journée, on parle de Pablo Picasso, de Neruda ». Un tableau fait pour continuer dans la criminalisation de l’adolescent, et ainsi légitimer en filigrane sa mort.

Une rhétorique classique, qui ne suffit pas à Mathieu Valet, qui pousse encore plus loin dans le cynisme en affirmant : « quand on est habitué des refus d’obtempérer, c’est que le sens de la vie, le respect de la vie de soi-même et d’autrui, importe peu ». Un propos qu’il est difficile d’entendre comme autre chose que la justification d’un meurtre : si la victime ne « respectait » pas sa propre vie, alors peut-être que la police n’avait pas non plus à la respecter…

Et complément de cette rhétorique déshumanisante, habituelle lorsque la police tue dans un quartier populaire, Naël sera même accusé, à titre posthume, d’être le responsable des affrontements qui ont lieu à Nanterre contre les forces de l’ordre. Benjamin Duhamel, pose la question à l’avocat de la famille si celle-ci « appelle au calme ». Si celui-ci refuse de répondre à une telle question, expliquant que la famille a bien assez à gérer la mort d’un des siens, sur Cnews, Sabrina Medjebeur vient apporter son éclairage raciste sur les évènements qui vont suivre à Nanterre :« c’est la grande possibilité de risque quand on a affaire à ce type d’épiphénomène dramatiques : le risque d’inflammation des personnes qui habitent ces quartiers, par réflexe anthropologique de vengeance, de revanche et de mort sur les policiers qui auraient tué l’un des leurs ». Non seulement la mort de Naël n’est qu’un « épiphénomène », mais celles et ceux qui sont en colère après sa mort sont assimilés à des sauvages mus par la soif du sang de policiers.

Finalement, la palme de l’indécence revient à Charlotte d’Ornellas, qui, sur Cnews, va conclure : « Évidemment que ce profil n’engendre pas de mériter la mort, il faut le dire extrêmement clairement. En revanche, on peut se dire que ce gamin a 17 ans, au volant d’une voiture, qui refuse d’obtempérer avant de mourir, avec un casier déjà long et très connu des services de police, il y a peut-être un moment où c’est le sauver aussi que de réinstaller une autorité très claire, très jeune dans le pays ». Un policier tire, Naël meurt. Dans la tête de Charlotte d’Ornellas, il est sauvé. On arrive là au summum de la réaction, où celui qui a donné la mort à un adolescent est adoubé comme « sauveur de la République », où la mort ne devient plus un drame mais une rédemption, à condition qu’elle vienne d’un pistolet de la police.

Toute la journée, comme à chaque meurtre policier, des déclinaisons plus ou moins explicites de ces rhétoriques visant à justifier les meurtres policiers auront rempli les antennes des médias. Mais alors que la rage face à ce nouveau meurtre est massive, ces réactions insupportables pourraient être une goutte de trop supplémentaire dans l’océan de la colère contre les violences policières.