Cet événement, d’une violence inédite, a fait au moins 97 morts et des centaines de blessés. Le rassemblement avait été appelé par un spectre large d’organisations syndicales et politiques, à l’instar des deux principales centrales de gauche du pays, DISK et KESK, des syndicats de branche progressistes et les principales associations de journalistes, pour exprimer leur rejet des incarcérations et intimidations à l’encontre des journalistes ces derniers temps, de même que le Parti Démocratique des Peuples (HDP), un front d’organisations de gauche et progressistes conduit par la gauche kurde, et ce de façon à condamner la violence de l’Etat contre les Kurdes qui a été relancée depuis juillet lorsque le gouvernement d’Erdogan a mis fin aux négociations de paix avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) en cours depuis deux ans.

L’attentat commis contre les organisations ouvrières et populaires a été rejeté par les manifestants qui sont descendus dans la rue dès dimanche dans les principales villes de Turquie et qui ont dû affronter la répression policière. Les syndicats ayant appelé au rassemblement d’Ankara ont, par ailleurs, appelé à une grève générale de 48h à partir de lundi. Des manifestations de solidarité ont également été organisées dans plusieurs villes d’Europe.

L’attaque de samedi est donc le point culminant d’une violente escalade qui a commencé en juillet dernier à la suite de l’attentat de Suruç, cette ville située à la frontière syrienne où sont morts 33 militants d’une organisation de jeunesse de la gauche kurde, blessant une centaine d’autres.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, du Parti de la Justice et du Développement, a accusé l’Etat Islamique tout autant que le PKK pour ces attentats. C’est ainsi qu’après Suruç il a lancé une campagne de répression contre le secteur le plus radicalisé du mouvement kurde, en Turquie autant qu’en Syrie ou en Irak. Les attaques contre les positons du PKK par l’armée turque ont fait plus de 400 morts au cours des trois derniers mois.

Erdogan bénéficie de l’appui et de la couverture du gouvernement nord-américain pour mener sa sale guerre contre les organisations kurdes et la gauche turque. En échange, le président turc a offert à Barack Obama l’accès aux bases aériennes sur son territoire dans le cadre du combat contre Daech en Syrie et en Irak.

Erdogan bénéficie également du soutien de l’Union Européenne. L’UE vient d’offrir un milliard d’euros au gouvernement turc pour qu’il garde sur son territoire les réfugiés syriens, irakiens et afghans, qui sont deux millions en Turquie. Angela Merkel s’apprête d’ailleurs à rendre visite au gouvernement turc pour arriver à un accord face à la crise des réfugiés.

On ne connaît pas encore les responsables directs des attentats. Certains accusent Daech. Mais indépendamment de l’identité des poseurs de bombe, le gouvernement d’Erdogan en porte la responsabilité politique et les mains du président sont tâchées de sang kurde. C’est ce que l’on a pu entendre dès les premières manifestations de réaction aux attentats d’Ankara, samedi : « Erdogan assassin ».

Depuis qu’il a décidé de rompre la trêve avec le PKK, l’AKP au pouvoir a eu recours à la violence et au nationalisme turc contre la minorité kurde et les organisations de gauche. Il a notamment lancé une campagne systématique contre le HDP qui avait dépassé le seuil des 10% lors des élections de juin dernier, faisant ainsi son entrée au Parlement. C’est ce qui a empêché Erdogan et l’AKP d’avoir une majorité absolue à la chambre et d’opérer une réforme constitutionnelle profondément bonapartiste pour aller vers un régime basé sur l’autorité présidentielle.

Ce revers électoral pour Erdogan et l’AKP se situe après le mouvement de révolte de la jeunesse du Parc Gezi, à Istanbul, en 2013, ainsi que les nombreuses grèves ouvrières à l’instar de celle qui a touché le secteur auto en mai dernier.

L’incapacité de l’AKP à former une coalition de gouvernement a donc débouché sur des élections anticipées qui devraient se tenir le 1er novembre.

La violence orchestrée par le gouvernement contre le HDP a inclu des attaques contre certains locaux du parti et une campagne contre ses militants et dirigeants, parlementaires et élus, 1500 d’entre eux ayant été arrêtés, accusés de « terrorisme ». C’est ainsi qu’Erdogan espère gagner les prochaines élections, en s’érigeant en rempart d’une possible guerre civile qu’il attise et qu’il organise.

Nous rejetons avec toute notre énergie l’attentat anti-ouvrier et anti-populaire de samedi, nous exprimons notre solidarité vis-à-vis des organisations ouvrières et de jeunesse qui ont perdu des militants de même qu’à l’égard des familles des victimes et nous dénonçons le fait qu’indépendamment de l’identité des poseurs de bombe, c’est bien le gouvernement d’Erdogan et l’AKP qui en sont les responsable, en raison de leur politique réactionnaire visant à maintenir l’oppression des Kurdes et à leur refuser le droit légitime à l’auto-détermination nationale.