Accusation ? Prescription.

Monseigneur Barbarin était donc sous le coup de deux accusations : « non-assistance à personne en danger » et « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans ». La première a été évacuée sous prétexte qu’il n’y avait « aucun élément permettant d’établir qu’il y avait eu des agressions sexuelles après 1991 » , sous-entendant ainsi qu’il n’y avait pas d’actuel danger justifiant l’accusation. En ce qui concerne la deuxième, le procureur a confirmé que les autorités diocésaines avaient bien eu connaissances des soupçons « entre 2005 et 2010 ». Mais fort heureusement pour ces autorités, cette période est couverte par la prescription de trois ans en matière de dénonciation, invalidant ainsi toute accusation portée après ce délai. On laissera parler de lui-même le décalage entre ce jugement et les mots sans équivoques de Laurent Duverger, victime et actuel membre de l’association La Parole Libérée :

« Il n’est donc pas étonnant que le père ait pu commettre ses méfaits aussi longtemps, couvert indirectement par ceux qui avait le pouvoir d’agir à l’époque, tous comme par ceux qui encore aujourd’hui"hui nous disent qu’il n’y a pas eu de pénétration, donc rien de gravissime. J’ai d’ailleurs été stupéfait de découvrir que le père avait rédigé des aveux et que rien ne se soit passé...L’Eglise ne l’a-t-elle pas également couvert, préférant déplacer le problème plutôt que d’affronter un scandale ? Il me semble qu’il lui est difficile de dire aujourd’hui qu’elle n’était pas au courant… »

Trois ans de prescription, pour combien de vies brisées ? 68 victimes recensées à cette heure, dont 18 ont témoigné.

« Difficile de mesurer les conséquences de ce qui m’est arrivé : je sais par mes parents que j’étais un enfant très joyeux, chantant tout le temps… à l’évidence, je l’étais moins après. Mais c’est surtout un manque de confiance en soi, face aux adultes ou face à la vie d’adulte tout simplement, manque de confiance qui me fera entrer tardivement dans la vie professionnelle. Manque de confiance qui a rendu ma sexualité compliquée pour ne pas dire plus. Il me faudra attendre longtemps avant de trouver l’équilibre d’une vie de couple. » Cyril, 46 ans.

« Moi, un adulte, je suis ce garçon dont on a violé l’enfance. Je suis une victime. Victime d’un prêtre pédophile. Chaque mot devient une bombe à fragmentation. Ce témoignage est pour moi un état des lieux et une étape dans un processus qui, contrairement à ce que je croyais, n’est toujours pas terminé. Il m’aide à mieux me comprendre et à me réapproprier ma vie. Mes premières relations amoureuses et le début de ma sexualité ont été très compliqués. J’ai été en proie à des tétanies que je ne comprenais pas. Avoir confiance en moi a toujours été une conquête très difficile. […] J’ai 46 ans et même si je considère que je m’en suis plutôt bien tiré, je me demande ce qu’aurait été ma vie si je n’avais pas eu à me construire sur ce marécage. » Jean-Yves, 46 ans. »

Pas d’inquiétude, la Maison-Mère est là.

« La Congrégation, après avoir soigneusement étudié les cas du prêtre de votre diocèse, Bernard Preynat [recommande] de prescrire les mesures disciplinaires adéquates, tout en évitant le scandale public ». C’est ainsi que répondait le 3 février 2015 Monseigneur Ladaria, secrétaire de la congrégation pour la doctrine de la foi, après que Monseigneur Barbarin l’ait finalement consulté, sous pression d’un mail d’Alexandre Dussot, l’une des victimes. « Tout en évitant le scandale public », une belle préoccupation, échouée ces derniers mois. Il aura toutefois fallu des années pour que l’affaire éclate enfin, comme le montrent nombre de témoignages.

« Je suis d’ailleurs plus remonté contre les responsables religieux et toutes les personnes qui ont sciemment ignoré ces abus. Peut-être parce que j’ai le sentiment d’avoir oublié et dans une certaine mesure « pardonné » au père Preynat, qui présente de toute évidence une pathologie psychiatrique, alors que les personnes qui l’ont couvert sont a priori des personnes saines d’esprit, si l’on peut dire… » Matthieu, 36 ans.

Pour éviter le « scandale public », le « Père Bernard » est muté en 1991 de Sainte Foy-Lès-Lyon pour Neulise (Loire), puis en 1999 il rejoint Cours-la-Ville (Rhône), et Coteau (Loire) deux ans après. Jamais condamné, bien au contraire : pour couronner le tout il est nommé doyen en 2003 et devient ainsi responsable de six paroisses.

« Si cet homme n’avait pas été prêtre il aurait été probablement puni depuis longtemps. Il n’aurait pas pu agir ainsi aussi « confortablement » durant tant d’années. Clairement le cadre de l’Eglise lui a ouvert la possibilité d’exercer cette « chasse à l’enfant » et de multiplier les « trophées » en toute impunité. […] Espérons aussi que l’Eglise « payera » de sa responsabilité, de sa complicité par le silence. » Olivier, 46 ans.

Espoir malheureusement rendu vain par la décision de Justice de ce lundi. Si Bernard Preynat est bien reconnu coupable - pour des crimes avoués il y a des années déjà - ses supérieurs hiérarchiques, Barbarin en première instance, sont sauvés. Et n’ayant honte de rien, ils viennent encore apporter leur « soutien » et « gratitude » aux victimes, comme le dira gracieusement l’archevêché : « leurs initiatives ont permis d’améliorer le dispositif diocésain pour la lutte contre les abus sexuels ». Et Barbarin encore d’ajouter : « Je suis le défenseur du Bon Dieu, des gens, des femmes, des enfants…et non d’une Institution. » On en rirait jaune, si l’on était assez cynique.

Cette petite banlieue lyonnaise aisée aura cristallisé ces derniers mois de riches enseignements : aucune morale pour ceux qui la créent, la protection des Institutions -religieuses, politiques, policières et que sais-je - passe avant tout. Mais également : aucun milieu social, aussi cultivé et « civilisé » soit-il, n’est exempt de tels abus.