En ce moment où Poutine est revenu sur le devant de la scène politique mondiale, on parle beaucoup de sa politique étrangère et notamment de son intervention militaire en Syrie. Mais quelle est la situation économique et politique en Russie même ? Quelle est la situation économique de la classe ouvrière actuellement en Russie ?

La Russie est présentement en récession économique – une chute du PIB d’environ 4% cette année, après une croissance très faible en 2014 et qui restera faible en 2016. La cause primaire de la récession est le faible prix du pétrole, ce qui souligne la dépendance continue de l’économie à l’exportation d’hydrocarbures, malgré le discours officiel sur la nécessité de diversification. Le taux d’inflation cette année sera d’environ 13%, ce qui est largement la conséquence de la chute dramatique de taux du rouble en 2014. Pendant les premiers six mois de 2015, les salaires réels, qui ne sont pas indexés, ont chuté de 8.5%. Les pensions de retraite et les prestations sociales n’ont été que faiblement compensées pour l’inflation, d’où la croissance du taux de pauvreté (officiellement à environ 15%). Par contre, le taux officiel de chômage est autour de 7%, ce qui comparé à l’UE reste assez bien.

Politiquement, la situation paraît stable, au moins pour le moment. Mais ce genre de choses est difficile à prédire, surtout dans une société aussi atomisée que celle de la Russie. Le mécontentement populaire face à la situation économique se traduit difficilement en opposition politique active.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000, les seules protestations d’envergure sur une base sociale ont été celles des retraitéEs en 2005 et en 2011 contre la réduction des bénéfices. L’autre grand mouvement de protestation, celui de 2011-12, qui était limité largement aux plus grandes villes, surtout Moscou, n’a pas pu mettre en avant des revendications sociales claires, malgré les efforts de la gauche, qui est faible. Il s’agissait de protestations contre la manipulation des élections et en faveur de la démocratie.

Des sondages indiquent une très grande popularité de Poutine en Russie. C’est le cas également au sein de la classe ouvrière ?

Selon les sondages, Poutine est le leader politique le plus populaire de l’Europe, probablement du monde. Je ne crois pas que les sondages mentent, mais ce que leurs questions mesurent est très discutable. Le haut taux d’approbation pour Poutine reflète en partie l’absence d’alternatives que le peuple verrait comme crédibles. Et le régime de son côté fait tout son possible pour que de telles alternatives ne puissent pas apparaître. Pour cela il se sert de mesures répressives et de sa gestion des médias de masse.

Mais si ce régime est répressif et corrompu, il n’est pas une dictature classique. Il se situe quelque part entre une dictature et une démocratie capitaliste - les politologues parlent de « régime hybride » (comme si toute démocratie capitaliste n’était pas limitée à ce que la bourgeoisie trouve à la limite tolérable).

Mais c’est aussi vrai que l’opposition libérale n’a rien à offrir aux classes populaires, à part la promesse d’une lutte contre la corruption. Quant au Parti communiste, qui détient 20% de sièges au parlement, il défend un programme social-démocrate, mais est satisfait du statu quo et ne mobilise pas à l’extérieur du parlement.

La gauche radicale et les syndicats indépendants sont toujours faibles. Sans organisation ni programme, les masses populaires, malgré leur mécontentent, craignent que toute alternative à Poutine ne soit pire, que le départ de Poutine ne soit suivi par le genre de chaos et de crise qu’on observe en Ukraine et dans d’autres républiques de l’ex-URSS qui ont connu des « révolutions de couleur. »

Mais la popularité de Poutine s’appuie également sur un facteur positif : sa posture d’affirmation nationale contre la politique agressive des États-Unis et l’OTAN, cherchant à « endiguer » toute influence de la Russie au-delà de ses frontières. Cela est la vision des choses présentée par le régime mais largement partagée par la population, qui se souvient de l’humiliation des années 1990, quand la Russie était effectivement sous tutelle des États Unis et des organisations financières internationales qu’ils dominaient et quand l’économie du pays a sombré dans une dépression très profonde et prolongée, perdant la moitié de son potentiel industriel.

Dans ce contexte, l’annexion de la Crimée, perçue comme un geste de justice historique (le territoire avant 1954 avait appartenu à la Russie pendant 200 ans, et l’écrasante majorité de sa population souhaitait ardemment y retourner) et de défiance à l’OTAN, a été très populaire au sein des couches populaires, malgré les sanctions économiques et la profonde hostilité de l’État ukrainien envers la Russie que ce geste a entraînées.

Quelle est la politique des directions syndicales ?

Quant au mouvement syndical, la plupart des syndicats sont toujours ceux hérités de la période soviétique et restent subordonnés à l’administration des entreprises. Leur centrale, qui fait partie du parti politique de Poutine, revendique quelques 21 millions d’affiliés (chiffre probablement très exagéré) et 95% de tous les syndiqués. La saignée dans ses effectifs continue (elle comptait 70 millions membres en 1990), mais cela ne semble pas l’inquiéter outre-mesure.

Les syndicats indépendants – indépendants des administrations et du gouvernement – comptent officiellement 2 millions de membres (chiffre sans doute aussi exagéré) dans les secteurs des transports, des services publics, de l’industrie. Généralement en opposition au régime, ces syndicats ne sont pas affiliés à des partis ni à des mouvements politiques.

Le mouvement syndical indépendant se maintient – déjà un exploit - mais son influence est limitée et il n’arrive pas, au moins présentement, à s’étendre. Cela s’explique par un cadre légal très défavorable au syndicalisme indépendant et que, de toute façon, les employeurs peuvent généralement ignorer avec impunité. En plus, le marché de travail informel (de l’ombre), qui échappe à toute régulation légale, est très répandu.


Il reste à voir si dans la prochaine période les difficultés économiques et les coupes budgétaires du gouvernement créeront des brèches dans le régime dont les travailleurs puissent profiter.