C’est alors que je vois le pistolet à la jambe d’une femme. Levant les yeux je reconnais la silhouette, et je reconnais l’homme à côté d’elle. Ce sont les agents de la BAC qui m’ont étranglés, menottés et envoyés au poste il y a quelque semaine pour avoir pris une photo de leur arrivée sur les quais de la gare de Lyon. Prendre en photo des policiers est normalement légal mais "faut pas provoquer" m’avaient-ils dit.

J’étais en train de me promener en sandales le long du canal : je n’avais pas prévu de risquer un tabassage en règle ou une garde à vue, et j’étais seul entouré de flics. Glacé, j’ai traversé le carrefour en essayant d’avoir l’air naturel. Contraint, peut-être par lâcheté, et doublement impuissant, à laisser une foule de personnes contempler la destruction de leurs abris avec leurs bourreaux pour seule compagnie, en attendant d’être repoussés vers un autre endroit insalubre.

Il y a deux catégories de personnes en France, soigneusement triés en fonction de leur appartenance sociale. Celles qui sont relativement indifférentes à la présence de policiers, et celles qui sentent la morsure de la peur chaque fois qu’elles voient un uniforme ou pire, un policier sans uniforme. Quand on vient de la bonne catégorie, devenir militant en pleine période de lutte des classes, c’est franchir la ligne invisible et faire l’expérience de ce que c’est que d’avoir conscience que son seul visage vaut pour un délit.