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Etat policier

« Constituer un front large contre les violences policières ». Le billet d’Anasse Kazib

La marche blanche en hommage à Nahel a rassemblé plusieurs milliers de personnes et a été la démonstration de l’émotion et de la colère qui s’exprime depuis 48h. Une indignation qui a dépassé les quartiers et pose la question de la construction d’une riposte d’ensemble. Billet d’Anasse Kazib.

Anasse Kazib

29 juin 2023

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« Constituer un front large contre les violences policières ». Le billet d'Anasse Kazib

Crédit photo : Révolution Permanente

Ces révoltes qui ont éclaté mardi ont beaucoup de similitudes avec 2005. Depuis la mort de Zyed et Bouna, nous n’avions pas connu 48h de révoltes dans plus d’une cinquantaine de villes. Cela marque clairement un saut dans la radicalité après un énième mort dans les quartiers, comme en témoigne les actions qui ciblent les institutions. Que cela soit la prison de Fresne, le commissariat attaqué à Mantes-la-Jolie, les uniformes de la police dérobés, il s’agit d’autant d’attaques organisées qui visent des lieux de pouvoir.

Darmanin a dû reconnaître lui-même que ce sont les « symboles de la République » qui sont principalement visés. Alors il existe bien des cas isolés de Franprix dévalisés, néanmoins les affrontements sont éminemment politiques. La génération qui se mobilise le soir est souvent née après 2005 et n’avait pas vécu ce qui s’était passé. Néanmoins la lutte contre les violences policières menée depuis plus de 15 ans a forgé les esprits et a permis que les plus jeunes vivent avec cette histoire. À la colère de la mort de Nahel s’ajoute évidemment toute la misère sociale, la dégradation des services publics et l’autoritarisme que vivent au quotidien les habitants des quartiers.

Le fait même que des députés se sentent obligés de refuser les appels au calme est le symptôme du ras-le-bol généralisé qui s’exprime dans la population et sur les réseaux sociaux. De nombreux commentaires font référence à l’histoire révolutionnaire de ce pays. D’autres témoignent d’un enthousiasme de voir que cela explose pour de vrai et que la police et l’État sont ciblés.

Ces expressions de radicalités trouvent leurs racines dans les 7 années qui viennent de s’écouler et qui ont vu se répondre lutte des classes et radicalisation autoritaire de l’État : de la loi El Khomri en 2016 aux mouvements des retraites en passant par les Gilets Jaunes en 2018 et leur répression violente, jusqu’à récemment la dissolution des Soulèvements de la terre ou encore la répression continue de militants syndicaux. Aujourd’hui le fait que le mouvement social, écologiste, la France périurbaine, la jeunesse des grandes villes aient vécu la répression policière sous les présidences successives de Hollande et Macron a créé un fort sentiment de solidarité et un lien avec le combat que mène la jeunesse des quartiers populaires aujourd’hui.

J’ai lu un commentaire qui disait « ils ont les c***lles de faire ce qu’on aurait dû faire après les GJ », comprenez : il aurait fallu que le mouvement social exprime plus de colère et de radicalité. Cela témoigne réellement du sentiment de proximité qui se crée avec la mort de Nahel. Ce sentiment est la résultante d’années de luttes antiracistes, de luttes de classes, de luttes écolos, etc… En 2005 la situation était différente, car la situation politique et économique du pays n’était pas la même, et la crise du régime moins approfondie aujourd’hui. Cela a permis au pouvoir d’isoler la révolte et de diviser la population en pointant du doigt « les violences » des jeunes.

A l’époque, on a vite opposé les jeunes au prolétaire à qui on brûle la voiture et qui ne peut pas aller bosser. Mais aujourd’hui, ce prolétaire ne sait même pas quel est son avenir, sinon de crever au boulot et de laisser un monde sans aucune perspective à ses enfants. Ce récit de division sera d’autant plus difficile à faire avaler. Il y a une opposition et une défiance importante au pouvoir, aux médias et à la police. Les armes qu’avait l’État en 2005 se retrouvent affaiblies pour gérer la révolte pour la mort de Nahel.

Les gens ont compris que la police tue des jeunes de cité comme elle éborgne des gens qui dénoncent une taxe pour le carburant, une méga-bassine ou la réforme des retraites. Ils ont vu ce que fait la police à la jeunesse parisienne qui manifeste dans les rues. L’avenir dira la suite, je ne sais pas si cela tiendra comme en 2005 qui avait duré plusieurs semaines, cependant il est clair que la crise du pouvoir et du macronisme, après 5 mois de lutte des retraites et avec un niveau de détestation immense, change la donne. Le fait même que l’État soit obligé de faire une minute de silence à l’Assemblée, appeler à la justice et à la vérité comme a fait Darmanin, ou encore mettre en détention provisoire le policier qui a tué Nahel, montre la tension qu’il y a au sommet de l’État.

Il est question maintenant de voir comment de ces révoltes peut naître un bloc de résistance politique, pour mettre en déroute le gouvernement sur ses projets de loi racistes et sur ses volontés d’autoritarisme croissantes. Nous ne pouvons pas laisser la mort de Nahel se cantonner à des révoltes le soir dans les quartiers pendant que nous regardons les choses sur Twitter. Il va falloir agir politiquement pour les faire reculer sur tous les terrains, à l’image des mouvements BLM lors de la mort de George Floyd.

Il est donc primordial de constituer un front large sur la question des violences policières, de l’autoritarisme et du racisme d’État, avant que la machine se mette en route et cherche à éteindre par la force et par l’isolement la colère des quartiers. Le mouvement ouvrier qui s’est mobilisé pendant des mois, et qui a lui aussi dû faire face aux assauts de la police pendant les manifestations et sur les piquets des grèves, a un rôle central à jouer en ce sens, pour ne pas laisser la jeunesse des quartiers isolée.

Mais il a aussi la nécessité de lever un programme qui allie cette lutte contre l’autoritarisme, les violences policières et le racisme, à la lutte contre le chômage, pour les salaires ou les services publics. Une perspective centrale pour construire une riposte d’ensemble face au gouvernement, sur le terrain de la lutte des classes.


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