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Essequibo. Maduro menace d’annexer le Guyana après la découverte de gisements pétroliers

Après les récentes découvertes de gisements pétroliers dans la région d’Essequibo, le conflit frontalier entre le Venezuela et le Guyana s’intensifie. S’appuyant sur les résultats douteux d’un référendum consultatif, Maduro réaffirme la réclamation de la souveraineté du Venezuela sur la zone contestée.

Camille Yomiclo

13 décembre 2023

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Essequibo. Maduro menace d'annexer le Guyana après la découverte de gisements pétroliers

Crédits photo : Dan Lundberg // Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic

L’Essequibo représente plus des deux tiers du territoire de la République coopérative du Guyana, soit 159 000 km² de cette ancienne colonie britannique située à la frontière du Surinam, du Brésil et du Venezuela. Le Venezuela considère cette région comme une « zone contestée », depuis plus d’un siècle et demi. Ce territoire couvert d’une forêt tropicale, habité par environs 125 000 personnes (soit un cinquième de la population guyanienne), n’intéressait que peu les investisseurs étrangers et le gouvernement de Maduro, avant que ne soient découverts d’importants gisements de pétrole et de gaz, relançant un litige frontalier datant du XIXe siècle.

Une intensification du conflit jusqu’au référendum du 3 décembre pour l’annexion d’Essequibo

Ce vieux conflit ressurgit et s’intensifie depuis 2015, année lors de laquelle le Guyana annonce que des prospections menées par la multinationale états-unienne ExxonMobil ont révélé l’existence de réserves de pétrole et de gaz naturels considérables dans la région d’Essequibo. Les tensions entre les gouvernements de Maduro et d’Irfaan Ali s’accentuent davantage ces derniers mois lorsqu’en août, le Guyana lance un appel d’offres pour l’exploitation de blocs pétroliers dans la région contestée et qu’en octobre dernier, un important gisement pétrolier offshore est mis à jour dans la zone économique exclusive de l’Essequibo. Les réserves du Guyana s’évaluent alors à près de 11 milliards de barils, pays sud-américain à présent perçu comme un « nouvel émirat ». Le pays dispose aujourd’hui des plus grosses réserves de pétrole par habitant au monde. Avec l’exploitation de cet or noir, le Guyana connait en 2022 un record mondial de l’augmentation de son PIB, atteignant les 57,8 %. Le FMI prévoit qu’il devrait encore augmenter de 38 % pour l’année 2023.

Dès le mois de septembre de cette année, Maduro annonce la mise en place à venir d’un referendum consultatif le 3 décembre pour que les électeurs vénézuéliens se prononcent sur le statut de la région d’Essequibo et entérinent son annexion.

En réaction, le gouvernement guyanien de Irfaan Ali dépose un recours auprès de la CIJ de la Haye pour empêcher la tenue de ce referendum en demandant le soutien de l’ONU et de la Communauté caribéenne (CARICOM). Le 1er décembre, la CIJ appelle le gouvernement de Maduro à « s’abstenir d’entreprendre toute action qui modifierait la situation prévalant dans le territoire en litige ». Deux jours après, le referendum consultatif sera tout de même organisé, donnant une teinte pseudo-démocratique à l’annexion programmée de la région d’Essequibo. Après avoir déployé une large campagne de propagande en faveur de l’annexion du territoire contesté et convoité, par la multiplication de panneaux d’affichage, de concerts, de merchandising, de rassemblements militaires et d’une publicité d’ampleur sur les médias et les réseaux sociaux, le vote a vu le « oui » l’emporter à plus de 95 % avec un taux de participation qui se serait élevé à 50 % d’après les autorités. Des chiffres largement dénoncés par les oppositions au gouvernement, qui soulignent au contraire une abstention massive.

Préparant l’exploitation pétrolière de l’Essequibo en s’appuyant sur le résultat du referendum, Maduro a ordonné à la compagnie pétrolière d’État PDVSA, le 5 décembre, l’octroi de licences autorisant l’exploitation des gisements de la zone contestée. Il a également proposé la rédaction d’une loi interdisant la signature de contrats avec l’ensemble des entreprises travaillant dans la région de l’Essequibo dans le cadre de concessions accordées par le Guyana. Enfin, il a annoncé la création à venir de la province du Guayana Esequiba, réaffirmant ainsi qu’il allait désormais exercer le pouvoir dans la région.

S’engage parallèlement un début de militarisation de la zone nouvellement convoitée par les intérêts capitalistes. Des accords de renforcement de la coopération militaire entre le Guyana et les États-Unis ont été signés en janvier 2021 afin de protéger les intérêts pétroliers dans la région. Face au regain de tensions autour de l’Essequibo, le Brésil a annoncé le 6 décembre un renforcement de sa présence militaire aux frontières avec le Venezuela et le Guyana, suivi des Etats-Unis qui ont récemment lancé des opérations militaires dans la région

Un conflit au service des intérêts des grands groupes pétroliers

À moins d’un an de la prochaine élection présidentielle, dans un contexte de profonde crise économique au Venezuela avec une inflation s’élevant à 234 % en 2022, Maduro prétend faire de la question de la (re)conquête de la région d’Essequibo une lutte « anti-impérialiste » contre le groupe pétrolier ExxonMobil, au nom d’une « unité nationale » pour la « défense des intérêts de tous ». Ce referendum dissimule en réalité un intérêt électoraliste d’un gouvernement qui vend ses ressources, notamment pétrolières, aux intérêts du capital. Il a ainsi tissé des accords avec des compagnies pétrolières associées à ExxonMobil dans la zone contestée. C’est le cas de la multinationale Chevron, autorisée par les États-Unis à reprendre les activités d’extraction du pétrole au Venezuela – allégeant ainsi l’embargo sur le pétrole vénézuélien imposé par Washington depuis 2019 – à la suite d’un accord partiel signé entre le gouvernement de Maduro et l’opposition.

Si le découpage colonial du Venezuela et de Guyana est clairement le fait d’une politique de division menée par les puissances impérialistes, et tout particulièrement l’Angleterre, l’ « anti-impérialisme » de Maduro est un leurre. Il négocie le pillage des ressources du pays avec des multinationales pétrolières. Les oppositions au gouvernement, bien que critiquant pour une part le referendum, n’en défendent pas moins l’annexion de la région contestée se joignant ainsi à la vague chauviniste guidée par des intérêts capitalistes au profit des grands groupes pétroliers. La guerre en Ukraine a bénéficié au gouvernement vénézuélien qui avait dû faire face à la tentative de coup d’Etat de Juan Guaido, orchestrée par les Etats-Unis, avec qui les relations du pays se sont nettement améliorées. Le conflit en Esequibo est à la fois un moyen pour Maduro de dévier la crise interne que traverse le pays depuis plusieurs années et ses conséquences désastreuses tout en profitant du regard détourné des puissances impérialistes, occupées en Ukraine et au Proche-Orient par des conflits plus urgents.

Le gouvernement du Guyana poursuit lui aussi une politique capitaliste en mettant ses ressources à la disposition des grands capitaux des puissances impérialistes. Un récent article de The Intercept met en lumière l’emprise d’ExxonMobil sur le gouvernement guyanien. Il revient sur une décision de la Haute Cour du Guyana en mai 2023, qui a statué contre la compagnie pétrolière et l’Agence de protection environnementale du pays. Cette Agence était accusée de ne pas avoir exigé d’Exxon des garanties quant à la couverture de l’ensemble des coûts liés à une éventuelle marée noire due à l’exploitation des gisements. Le forage offshore en eaux profondes est en effet risqué. Les permis de forage nécessitent des garanties financières de la part de l’entreprise pour s’assurer qu’elle puisse couvrir les coûts astronomiques qui seraient engendrés par une telle catastrophe. La Haute Cour du Guyana, dans sa décision, condamne l’Agence d’État du fait d’avoir manqué à son devoir sur ce point, témoignant d’une soumission du gouvernement aux intérêts du secteur pétrolier. De plus, en organisant des exercices militaires avec les Etats-Unis, la bourgeoisie du Guyana ouvre la porte à l’ingérence militaire des puissances impérialistes, alors que la région d’Esequibo est actuellement la principale cible d’investissement dans le secteur pétrolier au monde.

Dans la lignée de la déclaration de la Liga de Trabajadores por el Socialismo (LTS) du Venezuela, nous appelons les travailleurs et travailleuses du Guyana et du Venezuela à ne pas céder aux agitations du chauvinisme et à la soi-disant défense d’une « cause commune nationale » appelée par leurs bourgeoisies respectives. La seule issue viable à ce confit territorial hérité du colonialisme et gouverné par des intérêts capitalistes, est celle d’une gestion commune des ressources de la région au profit des deux peuples, unis contre leurs gouvernements et les multinationales qui pillent leurs territoires.


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