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L'ex-patron de la lutte antidrogue accusé de faciliter l’importation de drogue en France

Flic, « tonton » et cannabis, un trafic d’état ?

François Thierry, ancien patron de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis), est soupçonné d’avoir laissé entrer en France plusieurs dizaines de tonnes de cannabis au cours des dernières années, avec la complicité d’un des plus gros trafiquants européens recruté par ses soins. Révélée par un témoignage publié le lundi 23 mai par Libération, l’affaire est suffisamment sérieuse pour inquiéter en haut lieu. Immédiatement, l’IGPN a entendu le témoin et le parquet de Paris a ouvert une enquête. Claire Manor

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Une machine bien huilée

Le témoignage recueilli par Libération émane d’un dénommé Stéphane V. qui se présente comme un « infiltré » ayant fait plusieurs « missions pour l’État » dans les circuits du narcotrafic, avec pour interlocuteur François Thierry, ex-patron de l’Ocrtis. Cet informateur, inscrit tout à fait officiellement auprès du Bureau Central des Sources,dénonce « les méthodes de l’Office des stups depuis des années ».

Il raconte qu’entre mars et avril 2012, François Thierry lui a demandé d’aller garder une villa à Estepona, en Espagne : là, « pendant vingt jours, cinq hommes se sont relayés pour charger et décharger des paquets de drogue sur la plage. François Thierry me les a présentés comme des policiers français. J’en avais déjà vu certains à l’Ocrtis ». Et il explique : « le cannabis arrivait du Maroc dans des Zodiac ; en tout 19 tonnes ont transité par la villa au cours de ce seul séjour. La drogue remontait vers la France par ’go-fast’ et seule une partie des voitures étaient interceptées ».

Ce système bien huilé aurait fonctionné sans heurts jusqu’au déraillement brutal qui a eu lieu le 17octobre àParis. Ce jour-là, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), avertie par un mystérieux informateur, met la main sur 7,1tonnes de cannabis entreposées dans troiscamionnettes garées boulevard Exelmans dans le XVIearrondissement à Paris. Le lendemain, François Hollande en personne se rend au siège des douanes pour saluer ce« coup fatal »infligé aux narcotrafiquants.

Procédure régulière ou trafic d’état ?

Cette saisie « record » n’est assortie, sur l’instant, d’aucune interpellation. Mais une facturette retrouvée dans l’une des camionnettes et portant des traces d’ADN permet très vite aux enquêteurs diligentés par le parquet de remonter jusqu’à un certain Sophiane H. L’individu identifié est bien connu des services des stups et présente la particularité d’être à la fois un grand trafiquant et un indic patenté.

Dûment répertorié au Bureau Central des Sources, c’est un informateur reconnu qui traite directement avec le patron de l’Office et peut ainsi être amené à importer plusieurs tonnes de shit chaque mois dans le cadre de la procédure dite de « livraison surveillée ». Très prisée par les services des stups, cette technique est en effet sensée permettre de laisser passer de la drogue, sous le contrôle d’un magistrat, afin de démanteler des réseaux de revendeurs à l’arrivée.

Toute cette « affaire » pourrait donc être légale et le journal Libération aurait tort d’évoquer, sur la base du témoignage qu’il a recueilli et de l’investigation qu’il a menée, l’hypothèse d’un « trafic d’état », comme le lui reprochent bon nombre de commentateurs des chaînes officielles.

Rappelons que c’est en 2004 que la loi Perben 2 s’est lancée dans une opération transparence sur la fonction des indics en légalisant d’abord leur existence par une immatriculation , comme c’est le cas pour Sophiane H, et en essayant de fixer les modalités de leur rémunération, payée en liquide ou par chèque, selon un montant décidé par la plus haute hiérarchie policière et non susceptible de négociation. Mais, de l’aveu même de certains enquêteurs, la clandestinité et les parts d’ombre n’ont pas totalement disparu. D’abord, « parce qu’un tontonne veut pas forcément de l’argent.L’un demandera un peu de stupéfiant, l’autre des papiers, un autre, sous le coup d’une condamnation, essaiera de négocier un peu de mansuétude à son égard. » « Tout cela est possible en restant dans la légalité, affirme un commissaire. On peut faire une demande à un magistrat ou à une préfecture pour rendre service à un informateur ».

Mais, pour rester dans la légalité, un certain nombre d’exigences doivent être respectées. Dans une livraison surveillée tout doit être transparent et faire l’objet de « notes blanches ». Rétribuer un indic avec de la drogue, en détournant quelques chargements, comme le décrit le témoignage de Stéphane V. n’est évidemment pas admis dans les règles du jeu. Quant à organiser un circuit d’acheminement de stupéfiants pour y infiltrer des agents et indics, c’est le franchissement caractérisé de la ligne rouge.

Dans le cas du binôme François Thierry/Sophiane H, et si l’on en croit le témoignage d’un informateur lui aussi patenté tel que Stéphane V., la question du « trafic » peut légitimement être posée. Et d’ailleurs les enquêteurs missionnés par le parquet prennent l’affaire d’autant plus au sérieux que les 7 tonnes de cannabis, saisies le 17 octobre dans le XVIème arrondissement, font partie d’une livraison globale de plus de 15 tonnes dont 1,9 retrouvées sur l’A11 et 6,2 en Belgique. Les livraisons provenaient toutes de la même origine et étaient toutes passées en France sans encombre, par le même canal, durant le mois d’octobre. A une telle échelle, il ne s’agit plus seulement d’un arrangement pour la bonne cause mais d’un système de grande ampleur. Quant à la traçabilité, elle semble inexistante.

Entre flic et indic de haute volée, un marché qui pèse lourd…

Les liens entre flics et indics sont complexes. Ils se fréquentent souvent de longue date, tissent des liens de proximité, des systèmes d’échanges, de donnant-donnant plus ou moins clandestins jusqu’en 2004 et complètement officialisés et légitimés depuis la parution de la Loi Perben 2. Dans le cas de François Thierry et Sophiane V, on peut s’interroger sur le rôle qu’a joué l’informateur/truand dans le trafic découvert par les douaniers en octobre 2015 et sur la puissance de la relation qu’il devait entretenir avec le patron de l’Ocrtis pour réussir à s’en sortir.

Daube, fric et mansuétude semblent bien avoir été les ingrédients du marché passé avec celui qui est devenu le premier narcotrafiquant de France tandis qu’il jouait les indics pour François Thierry. 15 tonnes de cannabis retrouvées en octobre, pour combien d’autres écoulées au fil des mois ? Un logement boulevard Exelmans dans un Penthouse de 300 m2 avec piscine intérieure pour la modique somme de 9 000 euros par mois payés cash. Et surtout impunité après son arrestation, le 22 novembre en Belgique, et son procès en France, sur le simple argument qu’il a agi « exclusivement sur ordre de l’Octris ».

Quant à François Thierry, il semble ne pas avoir joué gagnant/gagnant. Il a pour le moment quitté son poste et risque quelques éclaboussures plus ou moins graves, si l’hypothèse du « trafic d’Etat » était confirmée par l’enquête, ce qui semble cependant bien peu probable en cette période où l’Etat, son gouvernement et ses hauts fonctionnaires n’ont pas besoin d’une affaire de plus pour les ébranler.


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