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Débats

Notes sur la bataille idéologique et l’actualité de la théorie de la révolution permanente

Quelques éléments pour penser la bataille idéologique depuis une perspective marxiste en s’appuyant sur l’actualité de la théorie de la révolution permanente (Trotsky) et en débat avec diverses théories critiques contemporaines, dont les théories postcoloniales. L'article se base sur une contribution de l'autrice aux débats sur la bataille idéologique qui ont eu lieu lors de la XIIIème Conférence de la Fraction Trotskyste pour la Quatrième Internationale (FT-QI).

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Notes sur la bataille idéologique et l'actualité de la théorie de la révolution permanente

Plusieurs auteurs ont souligné qu’une grande partie des « théories critiques » qui ont pris de l’importance durant l’essor du néolibéralisme se sont fondées sur l’intériorisation de la défaite du cycle révolutionnaire des années 1970. Dans Hemisphère Gauche (2013), Razmig Keucheyan inclut dans ce spectre des théories allant des élaborations de Judith Butler, d’Alain Badiou ou de Fredric Jameson, jusqu’aux post-coloniaux indiens, au « marxisme ouvert » de John Holloway ou encore à Slavoj Žižek. De son côté, Maurizio Lazzarato soutient dans Do you remember the revolution ? (2022), que les théories critiques post-soixante-huitardes sont le produit d’une domestication et il cite notamment le poststructuralisme, les théories post-coloniales ou des œuvres telles que l’Empire (2000) de Toni Negri & Michael Hardt. En ce sens, Matías Maiello et Emilio Albamonte avaient souligné dans Marxisme, Stratégie et Art Militaire (2017) la négation de la pensée stratégique dans des théories comme celles de Foucault et d’autres auteurs. Dans une situation de crise extrême du marxisme, l’essor du néolibéralisme s’est accompagné de toutes sortes de théories basées sur l’analyse des micro-pouvoirs et des résistances à échelles micro, de théories identitaires et idéalistes. Cependant, comme le souligne Juan Dal Maso, cette situation a commencé à changer après la crise de 2008 et continue de changer avec l’émergence de nouveaux phénomènes politiques et de la lutte des classes. Cela conduit à la réémergence de débats sur le marxisme, le socialisme, la classe ouvrière ou l’impérialisme.

Nous pouvons dire que nous sommes actuellement dans un moment transitoire, caractérisé à la fois par un rejet profond du néolibéralisme et, pour le moment, l’absence de situations révolutionnaires ouvertes. Une période marquée par des changements abrupts, où les crises s’accélèrent et se multiplient. Un interrègne convulsif, comme le dit Claudia Cinatti, dans lequel les conditions de la période de guerres, crises et révolutions s’actualisent. Ce moment de transition s’exprime dans le champ de production idéologique par l’émergence de toutes sortes d’idéologies critiques que l’on peut qualifier d’intermédiaires. C’est-à-dire qu’elles se tournent vers la gauche et, dans de nombreux cas, revendiquent même certains aspects du marxisme, tout en conservant certains aspects et fondements du moment anti-stratégique précédent. Dans ce spectre, on trouve des courants réformistes de gauche, populistes de gauche, néo-utopistes, post-capitalistes, ou encore de l’autonomisme « socialiste », etc. Il s’agit de courants avec lesquels, à partir des positions du marxisme révolutionnaire, nous souhaitons ouvrir un débat critique, en dialoguant avec les aspects les plus progressistes qui s’expriment dans l’avant-garde, tout en cherchant la clarification sur le plan théorique et stratégique.

Dans ces notes, je voudrais apporter quelques éléments de réflexion sur la façon dont cela s’exprime dans les défis d’une bataille idéologique qui s’inscrit dans le cadre de la lutte pour la refondation du marxisme révolutionnaire. Je prends en considération les apports de Matías Maiello et Juan Dal Maso dans l’article précédemment cité dans le cadre des débats préparatoires à la conférence de la Fraction Trotskyste pour la Quatrième Internationale.

Marxisme « périmé » ou théorie révolutionnaire sans mode d’emploi ?

Dans un article de 1903 sur la crise du marxisme, Rosa Luxemburg polémiquait déjà avec les courants révisionnistes qui prétendaient que Marx était « périmé » :

« Si nous constatons maintenant dans notre mouvement un certain arrêt des recherches théoriques, ce n’est donc pas parce que la théorie de Marx, dont nous sommes les disciples, ne peut se développer, ni parce qu’elle a « vieilli » [...] Non seulement Marx a produit assez pour nos besoins, mais nos besoins n’ont pas encore été assez grands pour que nous utilisions toutes les idées de Marx ».

Luxemburg écrivait ces lignes à une époque où il n’y avait pas encore de crise majeure sur la scène mondiale. Trente-deux ans s’étaient écoulés depuis la défaite de la Commune de Paris, sans qu’aucun processus majeur de lutte des classes, ou du moins aucune révolution, n’ait eu lieu. La développement graduel de la social-démocratie en était la clé et le marxisme était stagnant. Selon Luxemburg, rien de très original n’avait été produit depuis certaines contributions d’Engels après la mort de Marx. Mais les choses allaient changer peu après, ou étaient déjà en train de changer. Le Que faire ? de Lénine date de 1902, les polémiques de Luxemburg avec Bernstein sur le débat « réforme ou révolution ? » datent des mêmes années. Et, surtout à partir de 1905, le marxisme retrouve une créativité et une vitalité énorme pour répondre aux nouveaux défis de l’époque impérialiste, une époque de guerres, de crises et de révolutions.

En particulier, nous souhaitons mettre en avant ici l’élaboration et la systématisation ultérieure de la théorie de la Révolution permanente par Léon Trotsky, qui concentre une grande partie des apports de ce marxisme stratégique [1]. Cette théorie a été formulée par Léon Trotsky sur la base des leçons des grandes révolutions, comme celles de 1905 et 1917 en Russie, la révolution allemande de 1918-19 et 1923, la révolution chinoise de 1925-27, puis complétée par les leçons de la montée du fascisme dans les années 1930, de la révolution espagnole et du rôle du Front populaire.

Pour revenir à la réflexion de Luxemburg sur Marx, au-delà des différences historiques évidentes, on peut penser qu’à l’heure actuelle, nos besoins commencent à s’adapter beaucoup plus à l’utilisation des idées du marxisme révolutionnaire que dans les décennies passées, où la défaite et l’offensive néolibérale ont prévalu. C’est-à-dire qu’en même temps que les tendances de l’époque guerres, crises et révolutions sont mises à jour, la théorie-programme de la révolution permanente en tant que théorie de la révolution mondiale devient plus actuelle.

Les trois aspects de la théorie de la révolution permanente

Trotsky soulignait à l’époque que la théorie de la révolution permanente concentrait trois ensembles d’idées. Premièrement, le passage de la révolution démocratique à la révolution socialiste. Ensuite, tout ce qui constitue la révolution en tant que telle, c’est-à-dire la période de transition entre le capitalisme et le socialisme, où les « révolutions de l’économie, de la technique, de la science, de la famille, des mœurs, se déploient dans une action réciproque complexe qui ne permet pas à la société d’atteindre l’équilibre ». Enfin, le troisième aspect est le caractère international de la révolution socialiste. Et c’est précisément dans l’interaction de ces trois dimensions que cette théorie est aujourd’hui d’une grande actualité.

En ce sens, elle constitue un outil fondamental, face aux différentes tendances idéologiques « intermédiaires » ou confuses, réformistes de gauche ou centristes, qui influencent l’avant-garde. Il ne s’agit évidemment pas de répéter les thèses écrites par Trotsky il y a près de 100 ans, mais plutôt de partir de ses fondements pour élaborer une « grande stratégie » de la révolution mondiale [2]. Dans les lignes qui suivent, je m’attarderai sur ces trois dimensions de la théorie de la révolution permanente pour souligner en quoi elles constituent un point de départ pour l’enrichissement de la théorie marxiste au XXIe siècle. Bien que je l’aborde ici de manière quelque peu schématique, ces notes peuvent servir à cartographier certains des débats soulevés.

Tout d’abord, considérer la question de la transcroissance de la révolution démocratique vers la révolution socialiste nous permet d’intervenir dans de nombreux débats actuels sur la relation entre la classe ouvrière et les mouvements sociaux. Notamment pour polémiquer avec la séparation mécanique entre « revendications sociales » et « revendications démocratiques » ou autour des questions féministes ou de l’antiracisme. Mais aussi pour débattre avec les secteurs qui séparent les luttes féministes de la lutte de classes, ou avec les luttes identitaires et les théories des mouvements sociaux, qui séparent ces questions de la lutte contre le capitalisme et pour une perspective socialiste. En ce sens, nous défendons une stratégie d’ « hégémonie ouvrière », qui s’oppose au corporatisme ouvrier et envisage la lutte politique comme l’articulation de la classe ouvrière avec les luttes de tous les secteurs opprimés. Ce sont des thématiques que Juan Dal Maso aborde souvent dans ses livres[Gramsci-Trotsky] et qui sont également développées dans le dernier livre de Matías Maiello. C’est aussi un sujet que nous avons abordé avec Andrea D`Atri et plusieurs camarades, en polémique avec différents courants féministes.

Ce premier aspect de la théorie de la révolution permanente est également d’une grande actualité en ce qui concerne la relation entre les revendications démocratiques et la lutte des classes. Ceci est d’une grande importance face à l’évolution bonapartiste des régimes politiques et face au pillage impérialiste croissant, qui met en évidence la relation entre l’anti-impérialisme, l’indépendance politique vis-à-vis des bourgeoisies nationales et l’auto-organisation [3].

Deuxièmement, abordons l’aspect de la « révolution en tant que telle ». Cette dimension inclut les débats sur la transition vers le socialisme et en particulier sur la démocratie soviétique et le bilan des expériences des révolutions et du stalinisme au 20ème siècle. Elle permet également d’aborder des discussions très présentes aujourd’hui, par exemple dans les mouvements féministes et LGTBI, sur les conditions matérielles nécessaires pour faire avancer les transformations dans des domaines tels que la famille, les coutumes, l’éducation, etc. Dans ce domaine, des tendances que l’on pourrait qualifier de « néo-utopiques » sont apparues. L’article précédemment cité de Matías Maiello, qui reprend les axes du conseillisme et de la planification, en polémique avec certains auteurs « cybercommunistes », apporte de nombreux éléments et enrichit ces débats.

Une autre question importante est celle des débats sur la décroissance ou sur l’utilisation des technologies, pour réduire le changement climatique, liés à la nécessité d’une planification démocratique face à l’irrationalité capitaliste. C’est un sujet sur lequel plusieurs camarades ont travaillé dans divers articles et publications et qui est devenu une question stratégique de grande importance pour le renouvellement du projet socialiste aujourd’hui.

La critique du marxisme par la théorie postcoloniale et l’actualité de la théorie de la révolution permanente

Le troisième aspect de la théorie de la révolution permanente concerne la relation entre les « maillons faibles » de la chaîne des pays capitalistes et la révolution internationale, entre le centre et la périphérie, ou entre les luttes anti-impérialistes et la révolution socialiste. Cet aspect est totalement occulté ou tronqué dans les « théories critiques » des dernières décennies, en particulier dans les théories post-coloniales. Des théories qui se positionnent du point de vue d’une « vision/épistémè du Sud » et remettent en cause le marxisme en le désignant comme une théorie eurocentrique, voire complice du colonialisme. Étant donné l’influence de ce type de positions dans certains secteurs de l’avant-garde aujourd’hui, je m’étendrai un peu ici sur ce sujet que nous avons déjà abordé dans d’autres articles.

Les théories postcoloniales trouvent leurs origines dans différents espaces géographiques. Dans les années 1980, le Groupe d’études subalternes dirigé par l’historien indien Ranajit Guha intervient dans le champ de l’historiographie en combinant des lectures culturalistes d’Antonio Gramsci avec des concepts développés par des auteurs comme Foucault et Derrida. Dans les mêmes années, des intellectuels de la diaspora asiatique, africaine et caribéenne en Europe ont abordé des questions liées au « postcolonial », en particulier dans le cadre d’études littéraires et culturelles. Le noyau de ce que l’on appelle les « théories décoloniales » est apparu dans les années 1990 avec la formation du groupe d’étude Modernité/Colonialité, composé d’intellectuels latino-américains. Le concept de « colonialité du pouvoir » du péruvien Aníbal Quijano est caractéristique de ce courant. Le féminisme postcolonial, quant à lui, a développé ses propres concepts avec des auteures chicanas, latino-américaines, indigènes, asiatiques et africaines, qui se sont attaquées à ce qu’elles définissaient comme un féminisme blanc et eurocentrique. Parmi leurs références, nous pouvons citer María Lugones, Chandra Talpade Mohanty et Gayatri Chakravorty Spivak.

Les théories postcoloniales, comme leur préfixe l’indique, sont apparues comme une variante spécifique de l’essor du « post » dans le monde académique. À partir des années 1980 et 1990, elles ont repris les élaborations des auteurs poststructuralistes pour penser la relation entre le centre et les périphéries, entre le capitalisme et le racisme/colonialisme. Les postcoloniaux partagent avec ces derniers un sens commun de l’ère néolibérale. En soulignant cette origine, Terry Eagleton a soutenu que les théories postcoloniales avaient produit un certain nombre d’œuvres d’une perspicacité et d’une originalité peu communes, mais qui ne représentaient guère plus que le ministère des affaires étrangères du postmodernisme.

Dans leur critique, les théories postcoloniales ont pris pour cibles, non seulement les théories du libéralisme éclairé, mais aussi le marxisme, qu’elles présentaient comme une théorie eurocentrique, historiciste, économiste et ouvriériste de Marx jusqu’aux différentes tendances qui s’en sont revendiqués par la suite. Le tout sans faire la différence entre les ailes révolutionnaires, la social-démocratie chauvine et, plus tard, le stalinisme. Et en général en ignorant ou en évitant de mentionner le trotskisme.

L’un des principaux arguments des postcoloniaux est que le marxisme est fondé sur des catégories abstraites et totalisantes, qui ne peuvent rendre compte des contingences particulières et historiques, notamment en ce qui concerne la périphérie capitaliste, les sociétés non occidentales ou, plus récemment, le « Sud global ». Le marxisme ne pourrait ainsi pas comprendre l’ « incommensurabilité » du monde colonial, ni les questions liées à la race et aux oppressions nationales. En outre, la plupart des auteurs postcoloniaux situent le marxisme comme une variante des idées de la « raison occidentale » et de la modernité capitaliste, qui, selon eux, serait un mélange de sécularisme, d’idées abstraites de liberté, de progrès et de colonialisme.

Au-delà des nuances ou des questions spécifiques, la plupart des auteurs postcoloniaux partagent un certain nombre de déplacements théoriques qui s’inscrivent dans le cadre du « tournant culturel ». L’accent est ainsi mis sur les phénomènes culturels et idéologiques, détachés d’une réflexion sur les relations sociales capitalistes. A l’idée d’hégémonie de la classe ouvrière, ils opposent l’idée d’hétérogénéité des « subalternes » ou des nouveaux mouvements sociaux qui seraient « bridés » par une politique de classe. Plus généralement, ils remplacent la réflexion stratégique sur les conditions de lutte des peuples opprimés contre l’impérialisme par une pratique culturelle limitée à la déconstruction ou à la déstabilisation de « la vision occidentale et eurocentrique ».

Les théoriciens décoloniaux, quant à eux, opposent au duo modernité/colonialité la revendication d’ « autres manières d’être au monde », comme celles des communautés paysannes millénaires. Le rejet en bloc de la modernité ouvre la porte à l’idéalisation des modes de vie précapitalistes et des modes de pensée religieux ou surnaturels. Non seulement ils se laissent fasciner par ces formes de penser religieuses, mais ils omettent que dans nombre de ces sociétés précapitalistes, il existait aussi des formes brutales d’oppression des femmes, des hiérarchies de castes, des violences interethniques, l’esclavage et d’autres formes d’asservissement social.

Plusieurs auteurs ont souligné que le postcolonialisme a fini par être un « essentialisme à l’envers ». Un déterminisme géographique/ethnique sur lequel se construit l’idée fausse d’une « vision occidentale » unique, niant les complexes et multiples disputes théoriques, culturelles et sociales qui ont eu lieu. En d’autres termes, ces théories proposent une définition abstraite de la « raison occidentale », en dehors de toute détermination historique. Lorsqu’elles s’attaquent au marxisme, elles négligent des questions centrales. Elles négligent les débats de Marx et Engels contre le corporatisme syndicaliste au sein de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), leur revendication de la lutte pour l’autodétermination de la Pologne, leurs écrits sur la question irlandaise (dénonçant le racisme des travailleurs anglais promu par la bourgeoisie) ou les écrits sur la guerre civile américaine, les débats sur la commune rurale russe avec Vera Zassoulitch, pour ne citer que ceux-là. Par ailleurs, lorsqu’ils dénoncent l’ « européanité » du marxisme, ils omettent que, si l’Europe est l’histoire de la colonisation sanglante de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, il y a aussi l’Europe des Communards de Paris, de la Révolution russe et de la Révolution allemande, du soulèvement révolutionnaire des paysans et des ouvriers espagnols en 1936, de Mai 68, du soulèvement du Printemps de Prague contre le stalinisme et de la Révolution des œillets au Portugal, pour n’en citer que quelques-unes des expériences révolutionnaires menées par les masses exploitées et opprimées en Europe.

Mais ce qu’occulte et omet le plus le postcolonialisme dans sa critique du marxisme, ce n’est rien de moins que le fait que la première révolution socialiste triomphante du vingtième siècle a eu lieu en Russie, « l’État le plus oriental de l’Occident ». En effet, Trotsky a soutenu que, contrairement à ce que pensaient les matérialistes vulgaires (l’histoire des pays arriérés suivrait celle des pays avancés) la révolution avait commencé à l’Est avant de se poursuivre vers l’Ouest. En ce sens, tout l’héritage des débats de la révolution permanente, avant et après la révolution russe, ainsi que des 4 premiers congrès de l’Internationale communiste (y compris les thèses sur la question noire, sur la question nationale, sur la lutte contre l’impérialisme, les thèses sur l’organisation des femmes, etc.) réfutent les thèses postcoloniales et leur caricature du marxisme. Ou, en tout cas, cet héritage rend nécessaire la réhabilitation des luttes théoriques et politiques du marxisme révolutionnaire avec la social-démocratie chauvine, puis avec le stalinisme nationaliste.

Toutefois, à partir de positions réformistes qui se réclament marxistes, des critiques des théories postcoloniales ont été formulées sous deux angles opposés. D’une part, dans le cadre d’un marxisme tiers-mondiste, dans le style de Vijay Prashad, Nestor Kohan et García Linera (castriste - nationaliste-bourgeois, etc.). Ce secteur répond à la critique selon laquelle le marxisme serait eurocentrique à partir de la revendication des « révolutions paysannes » comme norme, enjolivant toutes les bureaucraties staliniennes-guérilléristes du 20ème siècle. Dans la période actuelle, ils louent les nationalismes bourgeois tels que le chavisme en les qualifiant de « socialismes du 21e siècle ». Nous avons beaucoup polémiqué avec ce type de positions. Non seulement en rééditant les écrits latino-américains de Léon Trotsky, ou, en écrivant sur le mouvement de l’indigénisme par exemple, avec le livre de Javo Ferreira ; mais aussi avec les réflexions de Juan Dal Maso sur Mariátegui, les travaux de Pablo Oprinari sur la révolution mexicaine et la révolution permanente, ou le livre d’Eduardo Molina sur la révolution bolivienne de 1952, et les chapitres consacrés au sujet dans l’ouvrage Marxisme, stratégie et art militaire de Maiello et Albamonte, parmi beaucoup d’autres élaborations.

Il existe des tendances qui mélangent les idées du postcolonialisme avec des discours de « lutte » plus radicaux, davantage liés aux mouvements sociaux antiracistes, sans-papiers, de « femmes du sud global », etc. Dans ces cas, à partir de positions que nous pourrions qualifier de populistes radicales, ils partagent la vision consistant à considérer la classe ouvrière blanche et autochtone des pays du centre comme un secteur « privilégié » qui ne pourrait jamais être considéré comme un allié dans la lutte contre l’impérialisme, presque comme un autre agent de la domination coloniale. Dans ce camp, nombreux sont ceux qui font revivre les figures de l’anticolonialisme radical, comme Fanon, ou des figures du panafricanisme. En général, ces positions populistes se fondent sur l’idée que les processus d’accumulation par dépossession (extractivisme, travail informel ou endettement) ont remplacé l’accumulation par exploitation comme moteurs de l’accumulation capitaliste. Ceux qui défendent cette hypothèse en concluent que les luttes contre la dépossession menées par les communautés indigènes, les secteurs populaires et informels dans les quartiers, les paysans et surtout les femmes dans le « Sud global » sont les nouveaux nœuds stratégiques de la résistance au capitalisme, et non plus la « vieille et traditionnelle classe ouvrière ». C’est avec ce type de positions, d’un certain féminisme autonome populiste, que nous débattons, par exemple ici. Concernant les débats sur le travail et sa configuration, ont été produites des élaborations très intéressantes de Paula Varela et Gastón Gutiérrez et de nombreux articles de Paula Bach sur le travail et la technologie qui constituent une contribution significative dans le domaine de l’économie marxiste.

Un autre pôle de la critique des théories postcoloniales est apparu plus récemment avec les positions d’un marxisme « économiciste », qui n’omet rien moins que la question de l’impérialisme. Ces positions affirment que le capital « universalise » complètement les rapports capitalistes à l’ensemble de la planète, comme si le développement inégal et combiné n’existait pas. Vivek Chibber, membre de la revue Jacobin, exprime de telle position, avec laquelle nous avons polémiqué.

Pour ne pas m’étendre davantage dans cet article, ce qu’il m’importe de souligner, c’est que la théorie de la révolution permanente, en tant que théorie-programme de la révolution mondiale, est d’une actualité brûlante. Face à ces différentes théories critiques contemporaines, elle constitue le meilleur outil pour mener la bataille idéologique et stratégique. Bien entendu, l’actualisation et l’enrichissement de la théorie marxiste pour le XXIe siècle impliquent d’intégrer de nouvelles analyses de l’économie mondiale et de l’impérialisme, ou des relations entre la classe ouvrière et les autres secteurs opprimés. Et de se réapproprier de manière créative, face aux défis actuels, les questions sur la relation entre la démocratie conseilliste et le parti, entre le centre et la périphérie, qui constituent les différentes dimensions de la lutte pour la révolution socialiste.


[1En une courte période, nous trouvons la première élaboration de la théorie de la révolution permanente de Trotsky, la théorie du parti de Lénine, d’importants débats sur l’impérialisme. Viennent ensuite les contributions stratégiques de Lénine et de Trotsky à la révolution de 1917, le développement de la théorie marxiste de l’État, les élaborations sur le développement inégal et combiné. Au cours des années suivantes, l’élaboration théorique a répondu aux nouveaux problèmes posés par la transition vers le socialisme. Les quatre premiers congrès de la Troisième Internationale constituent en ce sens une école de stratégie révolutionnaire. Plus tard, pour ne citer que les points les plus marquants, les élaborations sur la bureaucratie, la généralisation de la théorie de la révolution permanente aux pays semi-coloniaux et, dans les années 1930, les questions sur la révolution et le Front populaire, sur le bonapartisme et le fascisme, etc.

[2Voir : Albamonte et Maiello, Marxisme, stratégie et art militaire

[3Dans ce sens, les élaborations d’Esteban Mercatante sur l’impérialisme aujourd’hui, en polémique avec des auteurs tels que David Harvey, John Smith et d’autres, constituent également une importante contribution. En France, plusieurs camarades de Révolution Permanente ont réfléchi au déclin de l’impérialisme français et aux crises dans divers pays africains.



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Josefina L. Martínez

Historienne, correspondante IzquierdaDiario.es

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