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Démagogie et thatchérisme nouvelle version. Le programme des « tories » britanniques

Deuxième round pour David Cameron. "Finir le job" ? Oui mais lequel ?

Aglaé Martin Depuis le début de son premier mandat en 2010, il semblerait que le chef des Conservateurs ait travaillé dur pour redresser l’économie anglaise. C’est en tout cas ce que laissent entendre les chiffres : avec un PIB qui n’a fait qu’augmenter depuis 2010, une croissance en hausse et un taux de chômage passé de 8,3% en 2011 à 5,5% en décembre 2014, le Royaume-Uni prend la place de la deuxième économie à l’échelle européenne, derrière l’Allemagne et au coude-à-coude avec la France. Mais ne nous y trompons pas, quelque chose nous dit que ceux qui triment le plus pour créer ces chiffres n’habitent pas au 10 Downing Street. Derrière l’illusion, la réalité.

22 mai 2015

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« Let the tories finish the job we started », « Keep our ecomy strong » : voilà deux mots d’ordre de la campagne 2015 de David Cameron. Car, il faut l’avouer, le projet des conservateurs dès 2010, en coalition avec les Libéraux-Démocrates, n’est pas sans ambition. Quand Margareth Thatcher déclarait que « la société n’existe pas, seuls existent les individus », David Cameron, lui, refait une santé au Parti Conservateur en projetant de construire la « Big Society ».

Selon lui, la « société » existe bel et bien, ce sont tous les moyens qui favorisent la sociabilité de l’individu et la prospérité des échanges marchands. Cette « société » doit donc être différenciée de l’Etat, lui préexister, et c’est cette confusion entre l’Etat et « société civile » qui créerait aujourd’hui les inégalités sociales, la pauvreté, l’alcoolisme, et autres maux. L’heure est donc à un Etat-« catalyseur des initiatives sociales », et non-plus à un renforcement de l’Etat et des dépenses publiques. Un pouvoir plus proche du citoyen qui doit être impliqué dans les prises de décisions, une attention particulière pour le « tiers-secteur » (réseau associatif, mutuelle, coopératives etc)… Doux rêveurs, ne vous y méprenez pas, derrière ces mauvaises périphrases se cachent en fait un sérieux désengagement financier de l’Etat, la favorisation des financements privés, et tout ce qui participe de la plus banale austérité en ces temps de crise. Et ces réformes s’attaquent à tous les domaines : services publics, éducation, santé, prestations sociales, emploi… rien n’est épargné.

« Localism Act » et soutien du tiers secteurs : la population au cœur des décisions ?

Pour plus de « transparence », le gouvernement Cameron dit vouloir permettre aux habitants, aux entreprises et aux commerces d’un quartier, regroupés en « community », de gérer certains services locaux et participer aux prises de décisions locales. En parallèle, il développe des méthodes de financements, notamment par la création la Big Society Capital, pour promouvoir les « acteurs de la société civile les plus performants et les plus innovants ». Quand on lit entre les lignes, on constate plusieurs zones d’ombre. Démasquons d’abord le travail gratuit qui se cache derrière l’appel au bénévolat et à l’ « engagement citoyen » dans la gestion de la ville. Ajoutons que les « communities » nécessitent l’autorisation de la municipalité locale, bloquant tout regroupement trop « contestataire ». Par ailleurs, elles ne sont consultées que sur des décisions de moindre importance. A l’inverse, cette réforme favorise la privatisation des services municipaux et l’exclusion de travailleurs des prises de décisions importantes.

Quand service public rime avec intérêts privés

L’objectif de la réforme : faire que l’Etat ne soit plus le principal fournisseur des services publics mais devienne un simple sélectionneur de prestataires. Le cas de la mairie de Barnet, arrondissement de la banlieue Nord de Londres, est éloquent. A la suite des drastiques coupes budgétaires, la mairie sous-traite aujourd’hui la majeure partie de ses services à des entreprises privées, services qui ont pour la plupart été délocalisés. Conséquences ? Vague de licenciements s’élevant aujourd’hui à 1000 suppressions de postes, réduction de salaires, quasi-impossibilité d’être reçu physiquement par la mairie, les centres étant hors de la ville, aboutissant à nombre d’erreurs sur les renseignements téléphoniques donnés aux habitants, faute de connaissance du terrain. Economies ? Aucune semblerait-il, si l’on en croit les versements faits à Capita, la principale entreprise sous-traitante, qui n’ont pas diminués (52 millions de livres autrefois, 51 en 2014).

L’éducation version « free schools »

Il s’agit de donner la possibilité aux groupes de parents d’élèves ou d’enseignants, d’associations caritatives ou religieuses, d’ouvrir un établissement scolaire dans une totale autonomie de fonctionnement interne, tant sur le plan du recrutement des enseignants que sur le choix des contenus pédagogiques. Financées par l’Etat et toujours gratuites, ces écoles se veulent répondre aux besoins locaux, à la demande des parents d’élèves voulant offrir la possibilité d’un contenu pédagogique adapté aux spécificités locales, de restreindre le nombre d’élèves par classe, etc. Sur le papier, c’est assez vendeur. Imaginons une école 100% autogérée, accessible à tous les enfants, où les élèves, les enseignants et les personnels ont un cadre de décision commun sur le fonctionnement de l’établissement et les enseignements, le tout gratuitement. Malheureusement, la réalité est toute autre.

Premièrement, ces écoles sont tout de même soumises à un certain contrôle de l’Etat puisqu’elles ont besoin d’une autorisation de celui-ci pour ouvrir leurs portes, se basant sur leur projet éducatif et budgétaire, et doivent rentrer dans les « 16 propositions qui ont été retenues par le ministère de l’Education ». Un bon coup de frein pour toute école « trop subversive ». Ensuite, beaucoup des écoles libres sont situées dans des quartiers plutôt aisés, accentuant les inégalités déjà existantes, et même lorsqu’elles se trouvent dans les des quartiers défavorisés, on constate une sélection accrue des élèves, excluant les plus pauvres et ne faisant que perpétuer l’inégalité des chances, continuant à fragiliser les classes populaires au sein du système éducatif. On peut également s’inquiéter des tout-pouvoirs conférés au chef d’établissement, tant sur le contenu quand on sait que beaucoup des ces écoles sont animées par des groupes religieux, qu’elles peuvent être ouvertes par des autorités locales, et qu’on connaît également l’emprise de l’idéologie dominante ; que les conditions d’embauche et de travail beaucoup moins encadrées. Enfin, ces écoles peuvent aussi devenir des « Académies », toujours avec un financement public mais avec des degrés d’autonomie différents. Alors que certains s’inquiètent du financement à long terme des « free schools », vraisemblablement plus coûteuses, peut-être est-ce là surtout un moyen pour cajoler une base électorale « tory », au sein des classes moyennes ou même des quartiers populaires, de faire des concessions aux associations religieuses qui observent avec gourmandise ce que pourrait être un « marché de l’éducation » parfaitement libéralisé, tout en fragilisant un peu plus le système public..

Bref, bien loin de la supposée liberté d’enseignement et du combat « anti-pauvre » prétexté par le gouvernement, on est même à l’inverse dans un renforcement de l’influence de l’Etat sur un système éducatif devenant de plus en plus le privilège des classes dominantes.

Vous avez dit santé ? Nous répondons profit !

Alors que le National Health Service (NHS) est un acquis des travailleurs depuis 1948, avec un système de santé quasiment gratuit, les Conservateurs, profitant des problèmes qui émergent, notamment d’une demande de soins largement supérieure à l’offre en raison des coupes sombres déjà opérées dans le NHS, ont voulu opérer à une restructuration d’ampleur du service de santé.
Il s’agit, dans la même logique, sous couvert de rendre le NHS indépendant de toute considération politique, de l’autonomiser du ministère de la Santé, et ce en toute hypocrisie considérant qu’il reste le « gestionnaire ultime ». Les médecins généralistes auront ainsi leur propre budget (60 milliards de livres) à gérer par eux-mêmes. Alors qu’auparavant, le NHS était relayé localement par les Primary Care Trust (PCT), qui achetaient les soins à des prestataires de soins, les PCT sont aujourd’hui remplacés par des Groupes d’attribution clinique (CCG), composés majoritairement de médecins généralistes, eux-mêmes chapeautés d’un conseil national des CCG. Les personnels administratifs sont désormais sous-traités à des consultants privés, souvent d’ex-employés que l’ancien NHS a licenciés ! Un budget restreint et des entreprises privées qui gèrent l’achat et la vente des soins, comment ne pas croire en une marchandisation de notre santé !

Tout ça pour… des économies qui ne sont pas flagrantes ! En effet le passage de PCT à CCG était chiffré par le gouvernement à 4,5 milliards d’économies sur 5 ans. Seulement, c’est sans compter le coût des structures de remplacement. Par ailleurs, la colère gronde chez les personnels de santé qui ont effectué le 13 octobre dernier une mobilisation historique. En effet, leurs salaires ont été gelés depuis 2 ans, les dernières augmentations n’excédant pas les 1%, et, cette fois-ci, c’est carrément le refus du ministère d’augmenter les salaires ! Dans une période où le coût de la vie ne cesse d’augmenter, on estime aujourd’hui que 20% des salariés du NHS ont dû prendre un deuxième emploi.

Les allocations perdent leur pluriel

En grand défenseur des classes populaires, qui seraient rendues dépendantes du système de prestations sociales par les 51 allocations existantes, David Cameron et ses tories décident de n’en créer plus qu’une seule, le Crédit Universel (CU). Il devient l’allocation unique pour les personnes recherchant un emploi ou percevant un bas salaire, regroupant les aides au logement, les allocations familiales et les aides de base pour le niveau de vie et la recherche d’un emploi. Le tout pour un total d’économie de 18 à 22 milliards de livres, on ne voit pas comment cela serait possible sans baisser drastiquement le montant des aides sociales aux bénéficiaires. Le CU est désormais plafonné et chaque « amélioration de situation », à 1 livre près, entraîne une diminution de l’aide. Parmi les plus parlantes, voici quelques mesures :

La Bedroom Tax a pour but de réduire les aides au logement à celui qui vivrait dans un logement « trop grand pour ces besoins » : -14% pour une chambre non-utilisée, -25% pour deux ou plus. On peut par exemple s’inquiéter du couple divorcé avec enfant(s) à garde alternée, qui nécessiterait une chambre disponible dans les deux logements.

Le plafonnement du cumul des allocations empêche le montant des allocations de dépasser le revenu annuel moyen d’un foyer. Le plafond est défini à 500 livres par semaine, soit 26 000 livres par an (environ 29 000 euros). Si ce chiffre peut paraître élevé, c’est qu’il faut le placer dans un contexte où le logement est le fait du privé, avec des loyers très élevés et un système de logement social encore moins développé qu’en France. Cette mesure est susceptible de mettre 40 000 foyers en incapacité de payer leur loyer.

D’autres mesures ont également été discutées telles que l’obligation pour les étrangers d’apprendre la langue anglaise pour percevoir des allocations, l’obligation pour les chômeurs « de longue durée » de se rendre dans leur « Jobcenter » une fois par semaine, l’allongement du délai de perception des allocations chômage de 3 jours à une semaine après la perte de son emploi, etc.

Contrat « zéro heure » ou « zéro sécurité d’emploi » ?

Last but not least, le contrat « zéro heure » est sûrement l’apogée de la flexibilisation du travail et, surtout, la recette magique pour faire baisser le taux de chômage.

Existant en réalité depuis des années, le contrat « zéro heure » a pris de l’ampleur ces dernières années suite à la dégradation de la situation économique. Le principe est simple : l’employeur peut établir un contrat sans aucune promesse de nombre d’heures ni d’horaires. Le travailleur, lui, n’a plus qu’à se rendre disponible en tout temps, et compter sur le bon vouloir de son patron. Le tout pour le salaire minimum, évidemment. 13% des entreprises ont aujourd’hui recours à ce contrat, dont 45% dans la restauration et le bâtiment, où la main d’œuvre est la plus féminine ou constitué de travailleurs immigrés, ce qui représente près de 1 million et demi de salariés. En 2013, l’entreprise qui utilise le plus ce contrat est… McDonald’s, avec 90% de ses effectifs sous ce statut précaire. Et de plus en plus de contrats « zéro heure » sont employés dans le secteur public (35% dans l’éducation et 27% dans la santé). En moyenne, les travailleurs employés sous ce régime gagnent 4 fois moins que ceux en contrat fixe. Et la précarité augmente sévèrement : en 2008, ils étaient 19% à ne pas trouver de contrat fixe, aujourd’hui ils sont 41%.

Ce contrat fait le bonheur des patrons qui peuvent ainsi obtenir leur main d’œuvre en fonction de la demande et ne payer que les heures travaillées, diminuant ainsi leurs frais. Pendant que les travailleurs, eux, restent dans l’incertitude de pouvoir payer leur loyer en fin de mois sans pouvoir chercher un deuxième emploi, puisqu’ils doivent rester en permanence disponibles pour le premier, quand ils ne sont pas directement interdits par la boîte de travailler ailleurs.

La baisse significative du taux de chômage que connaît le Royaume-Uni est tout de suite beaucoup moins attrayante.

Des réformes dont rêve la bourgeoisie française

Si lors des législatives britanniques de début mai, les médias français vantaient la remarquable croissance du Royaume-Uni et les avancées rapides dans ses réformes, c’est que l’ampleur des attaques contre le monde du travail britannique fait l’envie de la bourgeoisie hexagonale. Quand Hollande nage dans sa côte de popularité toujours en baisse, qui ne lui laisse qu’une marge de manœuvre restreinte pour aller plus loin dans les réformes dont la bourgeoisie a besoin, Cameron lui, semble plus à l’aise. En cause ? Un rapport de force bien dégradé du côté des travailleurs britanniques, en dépit d’un retour de la contestation, notamment dans le secteur public, à l’automne dernier. C’est de ce côté-là, celui des luttes et des mobilisations, que les travailleurs en Grande-Bretagne seront en capacité de mettre un coup de frein aux ambitions de Cameron et de la bourgeoisie, certainement pas en attendant qu’un nouvel Ed Miliband se présente aux élections.
A l’appel des organisations anti-austérité, syndicales, pour le droit à la dignité, le 20 juin prochain aura lieu une mobilisation nationale contre l’austérité : peut-être un premier pas dans l’union des différents secteurs contre les politiques anti-sociales des tories ?

17/05/15


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