Martin Kohan, écrivain argentin
Destinées à modifier les comportements (et pourquoi pas même les consciences) des sanctions sont appliquées par la FIFA à diverses fédérations d’Amérique du Sud, comme réprimande pour des chants homophobes entonnés dans certains matchs entre des équipes nationales lors des barrages pour la Coupe du Monde. Le foot, tout le monde le sait, est une source intarissable de xénophobie et d’homophobie, c’est un territoire où le « politiquement correct » n’existe pas.
La crainte omniprésente est celle de devenir « le pédé », le risque d’être « l’enculé », et en même temps l’envie permanente « d’enculer l’autre » (d’enculer l’autre car « il est pédé » ou de « le faire devenir pédé »)
On dit, avec raison, que la FIFA est une institution qui n’a pas l’autorité morale pour imposer des sanctions à quiconque. L’idée qu’une fédération doive se porter responsable du contenu des chansons que les supporters hurlent dans les tribunes ne paraît pas non plus crédible, d’un point de vue juridique. Cependant, il n’est pas malvenu qu’aux mesures déjà en place contre les actes racistes s’ajoutent des sanctions concernant l’homophobie.
Il y a un exemple parlant. Un jour où Atlanta (club argentin d’un quartier juif de Buenos Aires) jouait en extérieur, à un moment donné de la partie, les supporters locaux ont commencé à lancer de vive voix : « Les juifs sont tous des pédés ». L’arbitre de la rencontre, prenant des dispositions immédiates, a donc suspendu le match jusqu’à ce que cessent ces agressions verbales. Face à cela, s’est produite dans les gradins une rapide modification des paroles, et le chant devint « les supporteurs d’Atlanta sont tous des pédés ». L’arbitre en fut très satisfait, mettant fin à la leçon de non-discrimination et relançant la partie. Il est clair que la sensibilité des autorités n’était pas la même concernant les discriminations sexuelles et ethniques : l’antisémitisme était identifié, pas l’homophobie.
On pourrait dire, toutefois, que la partie offensive du chant de la tribune n’était pas tant dans l’emploi péjoratif du mot « juifs » ou dans le mot « pédés », que dans l’emploi abusif du mot « tous ». Le noyau idéologique des discriminations n’est autre que la généralisation (parce qu’il y a des juifs qui sont pédés, et je suis bien placé pour le dire !). La marque de la stigmatisation est dans l’ambition généralisatrice. Non plus sur l’incapacité de voir la différence des autres, comme de voir la différence en les autres : que les autres ne sont jamais une seule chose.
L’AFA (association du football argentin) fut condamnée à une amende pour les chants scandés à l’occasion de la rencontre Argentine / Brésil. Je n’étais pas au match mais ce qui s’est chanté, c’est « Que la danse continue / au rythme du tambour / car ce soir on va baiser / les pédés du Brésil ». Ça laisserait ouverte l’interprétation, selon moi, si le facteur de généralisation est présent ou non dans ces vers : si il est dit que au Brésil, ils sont tous pédés ou si est annoncée la sodomisation de ceux, au Brésil, qui sont pédés.
Traduction : Léo Valadim
