Alors qu’en 2006 le PS accusait la droite de karchériser le droit du travail, ce projet de loi est tellement pro-patronal qu’il n’a pas fallu longtemps avant qu’il ne soulève une vaste levée de boucliers. La CGT, à travers la voix de Martinez, dénonce à juste titre un « retour à une législation du XIXe siècle », Force Ouvrière le condamne et même la CFDT, pourtant collabo de première, grince un peu des dents. Les frondeurs du PS le jugent inacceptables. Mais Cambadélis, secrétaire du PS, estime aussi qu’en l’état il ne voterait pas le texte, et la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann, considère que Hollande « creuse sa tombe » avec une telle « remise en cause des conquêtes ouvrières ». Pas des révolutionnaires pourtant... mais peut-être un indice supplémentaire de l’existence de deux gauches en passe de devenir « irréconciliables », comme l’a affirmé le martial Valls en début de semaine dans la foulée de la prolongation de l’état d’urgence ?

On savait que Hollande et Valls avaient fait le choix de la réaction lepénisée, par la déchéance de nationalité, les pleins pouvoirs à la police, et la guerre à « l’anti-France ». Maintenant, avec leur réforme du temps de travail, des conditions de licenciement et l’introduction du référendum par entreprise, l’heure est bien à la réaction ultra-libérale. Le saut dans l’ignoble est suffisamment notable pour avoir été pointé par Les Echos, en particulier, notamment par la voix du très libéral Jean-Francis Pécresse. Petit retour en arrière : le 13 janvier dernier, dans un autre de ses éditos, il avait résumé la vision et surtout le « programme » des classes dominantes pour la période à venir. Alors que pour lui, la séquestration de patrons est une forme de « délinquance syndicale », il se félicitait de la condamnation des Goodyear à 9 mois de prison ferme de « la fin d’une impunité » et jugeait que son caractère était « assez spectaculaire pour refroidir, à l’avenir, les ardeurs révolutionnaires des sans-culottes de l’action sociale » ajoutant « ceux-ci y réfléchiront à deux fois avant de monter à l’assaut des bureaux de la direction ». La « valeur d’exemplarité » de cette peine devant constituer, naturellement, un précédent, contre ces « archiprotégés par le droit social ».

« Un texte qu’aurait pu – et dû – rédiger la droite »… dit la droite

Répression et prison ferme d’un côté, fin d’un code du travail « archiprotégant » de l’autre, et réciproquement : le sieur Pécresse, dans son édito des Echos d’hier jeudi 18 février, fort peu suspect de la moindre connivence même avec la pire des gauches, ne s’y est pas trompé, le texte d’El Khomri est bien « un texte qu’aurait pu – et dû – rédiger la droite ».

Évidemment il est faux de dire comme lui que le gouvernement Valls III opère un « virage de politique sociale » : l’ANI, le Pacte de Responsabilité et les lois Macron et Rebsamen l’ont bien sûr préparée, illustrant le rôle pro-patronal dévolu au quinquennat Hollande suite au sarkozysme qui n’avait pas tenu toutes ses promesses. Mais Pécresse a tout de même raison de dire que le gouvernement « sait pouvoir compter sur le soutien d’une partie de la droite, bien forcée de constater que la gauche s’apprête enfin à accorder au patronat ce qu’elle-même lui avait refusé après 2007 : par exemple, ces accords "offensifs" en faveur de l’emploi permettant de baisser les salaires pour créer des postes. »

En résumé, c’est la droite patronale qui dit, aujourd’hui, que Hollande fait mieux que Sarkozy pour les poches et les profits des patrons. Jusqu’ici, c’était surtout les travailleurs combatifs, les syndicalistes, les révolutionnaires, qui l’affirmaient. Maintenant, c’est officiel des deux côtés de la lutte des classes. Un code du travail détruit, notre classe livrée en pâture aux patrons, le très bonapartiste 49.3 déjà, de nouveau, à l’affût, le tout bien assumé. Dans l’évidence, socialement comme politiquement, une période encore plus instable s’ouvre à nous. Mais que les patrons le sachent : pour tous les sans-culottes qu’ils veulent abattre, ils auront à payer de bien plus de sans-chemises qu’ils ne se l’imaginent.