Presque 4 ans auparavant, le groupe Pentair faisait l’acquisition de cette entreprise historique, mais aussi et surtout de ses brevets industriels. D’abord « Basset et Cie » à sa création, « Bédu Condry », puis « Atelier de Saint Sulpice » (nom du quartier dans lequel se situe l’usine), « Griss Sapag », « Pentair »… Pentair Sapag c’est une usine de robinetterie industrielle rentable. En plus de 150 ans, le site de Ham aura connu bien des noms, mais c’est celui de Sapag qui restera dans l’esprit des travailleurs et dans celui des habitants. Car comme le proclament les salariés « Pentair c’est les actionnaires, Sapag c’est notre savoir-faire ».

Le savoir-faire est leur fierté : tout un symbole empli de valeurs, de compétences et de professionnalisme hérités des anciens. Un savoir-faire reconnu non seulement en France, mais aussi à l’international. Spécialisé dans la conception et la production de robinetterie industrielle, le carnet de commande est plein. Le site a une réputation d’excellence, un fleuron dans son domaine. Leur production, bien souvent inconnue du grand public, a contribué à l’élaboration de nombreux circuits d’eau potable, comme ceux de New York, Paris, Lille et Amiens. Un site historique et réputé donc qui va être dilapidé au nom du profit, du toujours plus…

133 familles plongées dans l’incompréhension, le désarroi et la détresse à la veille de Noël.

Après tout, que représentent 133 salariés pour un groupe d’actionnaire aux bénéfices monstres ? La réponse est simple : RIEN, ou si ce n’est des chiffres. Un énième Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) parmi tant d’autres, cela passera comme une lettre à la poste, pensait la direction… Et bien non, les travailleurs, emmenés par l’intersyndicale (CGT FO CFDT…), entrent en résistance. Car c’est bien ce terme qu’il faut employer, résistance. Garder espoir dans un premier temps, espoir d’une solution, espoir d’un possible repreneur…

Après avoir refusé la prime de productivité proposée par la direction, qui craignait une baisse de régime suite à l’annonce de la fermeture de l’usine, très vite les Sapagiens, comme ils se sont nommés, entreprennent de faire entendre leur voix. Une page Facebook (Je suis sapag) est créée pour sensibiliser et mobiliser à leur cause, réunissant plus de 1000 personnes en quelques jours. Comme le dit ironiquement une de leurs publications « Facebook c’est comme à l’usine, on fait du chiffre ! ».
Ils reçoivent le soutien et la sympathie d’une grande partie de la population dans son ensemble (habitants, commerçants, élus..), des actions de soutien sont menées, des témoignages d’encouragement abondent de toute part, et le vendredi 8 janvier plus de 800 personnes se joignent aux salariés en grève lors d’une manifestation. Du jamais vu pour cette petite ville de moins de 5000 habitants. Un mouvement atypique qui déstabilise la direction, qui ne s’attendait pas à une telle mobilisation.
Leur mouvement se veut à l’image des valeurs qu’ils défendent. Tirant les leçons des fermetures d’usine qui ont fait l’actualité ces derniers mois et ces dernières années, les Sapagiens adoptent une autre façon de procéder. Leur but : sensibiliser le plus largement possible. Une démarche qui s’est avérée payante, car depuis quelques jours le mouvement Sapag et l’élan de solidarité qui les accompagne, font les grands titres des médias nationaux.

« Au travail »

C’était le thème de campagne du nouveau président de la région Nord Pas de Calais Picardie. Quelques jours après sa victoire tristement historique (« historique » d’après ses dires, « tristement » selon les nôtres), Xavier Bertrand, ministre du travail, allait pouvoir mettre en œuvre son slogan de campagne. Xavier Bertrand, bien obligé de se saisir de la situation, se devait d’amener quelque chose, alors il a sorti le grand jeu : mobilisations de l’ensemble de ses élus locaux ; Voyage en Suisse à la rencontre des actionnaires avec son fidèle compagnon Stéphane Demilly, et bien sûr utilisation stratégique des médias.
Il faut noter que la plupart les élus se disaient être surpris de cette annonce… Difficile d’y croire quand on sait que, dès fin 2014, les délégués syndicaux déclenchaient un droit d’alerte, sentant que quelque chose se préparait…

Un voyage en Suisse pour du sursis.

Le titre est accrocheur et surtout vendeur auprès des travailleurs. Assureur de formation, Bertrand sait y faire, il sait amener les choses, davantage lorsqu’il endosse le rôle de délégué syndical du patronat. Ce qu’il ramène de son voyage en Suisse ; 2 ans de sursis pour trouver un repreneur. On pourrait voir cela comme encourageant, étant donné l’excellence du site de Ham, trouver un repreneur est de l’ordre du possible.
Sauf que… Le mardi 19 janvier, devant les salariés, Xavier Bertrand est en mode actor studio ; avec de l’empathie, un franc parlé, et navré, il leur fait part de ces négociations avec le patronat : « décaler la fermeture de deux ans, à la condition non négociable de licenciements progressifs, et de rechercher un repreneur… ». En gros Bertrand et Demilly sont allés négocier l’application de la loi Florange….
Jugée comme une victoire par ses troupes, celles-ci s’approprient « cette bataille » qui n’en est pas une… Dans l’emballement, la joyeuse troupe de Bertrand publie une vidéo de cette réunion, le mettant en scène devant les salariés. Vidéo filmée par le maire de Ham, qui a depuis été effacée des réseaux sociaux. Pour deux raisons : interdiction de filmer à l’intérieur du site (le maire ne connaissait visiblement pas le règlement et allait mettre en péril les salariés.) ; vidéo dérangeante et pas « bankable » pour Bertrand.

Une proposition stratégique, tant il sait qu’elle peut diviser les salariés et casser leur mouvement.

La lutte est en cours pour ces travailleurs sapagiens qui auront la tâche de ne pas céder aux récupérations politiciennes du gouvernement, de la droite et de l’extrême-droite. Tout en sachant qu’ils se heurtent bien à une chose : le capitalisme dans son essence la plus pure, profit des actionnaires et du patronat, qui coïncide avec maltraitance des ouvriers. Il va falloir continuer à se battre pour maintenir les emplois au milieu de tout ça et ne pas céder au chantage.