Lundi 2 mai, 18 heures, une longue journée de boulot qui se termine. Je rentre chez moi direct ? Non, je passerais bien faire un tour à Nuit debout à République… ou peut-être au rassemblement à Nanterre en soutien aux 47 lycéen.e.s du 92 mis en garde-à-vue… Ah, et il y a aussi l’assemblée générale inter-fac pour organiser la journée de mobilisation du lendemain (mardi 3 mai)… Et aussi le rassemblement de soutien aux 350 migrant.e.s qui occupent le lycée Jean Jaurès, menacé.e.s d’expulsion pour la préfecture de Paris le soir-même… C’est qu’en ce moment, on ne sait plus où donner de la tête avec toutes ces arrestations et ces comités de soutien qui se créent. Eh oui, la semaine dernière a été mouvementée, entre la manif de jeudi 28 avril où on a pris pas mal de lacrymo, et celle du 1er où on a repris de plus belle… Mais c’est plus ça qui nous arrête ! Bon, allez, je me décide, je passe soutenir les migrant.e.s parce que depuis cet été que je les suis (même si pas aussi assidûment que je le voudrais), vraiment ça me fout la rage de les voir se faire trimbaler de place en place, sous le coup des matraques, avec de belles promesses de relogement… et sans jamais rien au bout du compte. Quant aux papiers… n’en parlons même pas ! Je me rappelle de l’expression d’un migrant cet été à la halle Pajol, qui avait traversé des déserts et des mers au risque de sa vie pour fuir la guerre, et qui disait qu’il se sentait traité ici « comme un chien ». L’expression n’est que triste réalité.

Alors, pour celles et ceux qui auraient raté des épisodes depuis cet été, voici un résumé en quelques lignes (pour avoir plus de détails, vous pouvez lire les articles publiés régulièrement cet été sur notre site). En juin et juillet, les migrant.e.s se sont installés et ont été systématiquement chassés par les CRS de La Chapelle, de la halle Pajol, du jardin d’Éole, puis de nouveau de la halle Pajol, avant qu’ils ne se décident à occuper le lycée désaffecté Jean-Quarré pour l’été. Autant le dire franchement, le lycée était carrément insalubre. Mais ça a permis à plusieurs centaines de réfugié.e.s de s’organiser, de dormir plus sereinement, de tenir des assemblées générales, de faire des manifs… même si des tensions existaient, entre migrant.e.s et avec les soutiens, il faut le reconnaître. Après deux mois passés dans ce lycée, les migrants ont fini par accepter ce que le gouvernement et l’OFPRA appelaient des « solutions de relogements »… qui n’ont en fait duré que quelques jours ou semaines, et pour certaines dans des conditions inacceptables et dégradantes. Alors, cet hiver, un nouveau « camp » s’est reformé sous les lignes du métro aérien de Stalingrad : pas besoin de vous faire le dessin, vous l’aurez senti, c’est glaçant. Le froid, les maladies (on parle de tuberculose et de gale), l’hygiène, l’insécurité permanente de nuit comme de jour… Le comité de soutien est resté mobilisé, tant bien que mal. Les CRS aussi, en évacuant plusieurs fois le camp. Comme si les migrant.e.s allaient partir plus loin… ailleurs…

Et puis le 22 avril, une centaine de migrant.e.s ont décidé de faire une nouvelle occupation, en visant cette fois-ci le lycée inoccupé Jean-Jaurès, au pied du métro Pyrénées… Le tout en lien avec le comité de soutien, qui a fait un super travail de repérage des locaux et de logistique. Alors, cette fois, c’est un autre standing, car le lycée Jean Jaurès est en super état (on se demande d’ailleurs pourquoi il est fermé) : c’est 8000 m² de superficie, avec des toilettes fonctionnels, quelques douches, une cantine et des infrastructures en excellent état. Mais bien plus que l’état du bâtiment, c’est la lutte que ces migrant.e.s sont en train de mener qui m’impressionne. Cette fois, plus question de se laisser avoir avec des miettes (entendre des logements pour quelques nuits), la revendication principale, c’est d’avoir des papiers. Car sans papiers, pas de boulot, pas de logement… Les migrants l’expliquent sur les tracts qui sont distribués dehors : « Nous avons des revendications précises et limitées : 1) des papiers 2)des logements 3) de l’intégration et de l’apprentissage de la langue 4) une vie digne. ». Le cadre de la discussion est posé.

Mais depuis plus d’une semaine, aucun représentant officiel n’est venu rencontrer les 300 migrant.e.s. Silence total de la part de la Mairie de Paris, de la Région, et du gouvernement. Enfin…presque, car dans la presse ils ne se gênent pas pour balancer leurs flots de mensonges. Pour n’en reprendre qu’un : Valérie Pécresse, nouvelle présidente de Conseil régional, a déclaré que le lycée était fermé pour cause de travaux et devait réouvrir ses portes en juin 2016, pour accueillir des élèves de filières technologiques. FAUX, puisque aucun travaux n’était en cours à l’intérieur, nous disent les migrants et les soutiens qui sont sur place, et en plus le lycée est fermé depuis presque cinq ans, nous affirment les riverains qui se solidarisent des migrant.e.s et leur apportent des vivres, des vêtements et couvertures régulièrement. Pourquoi faire croire qu’un lycée fermé depuis 5 ans devrait réouvrir ses portes dans quelques semaines ? Pourquoi tant de précipitation pour réouvrir cet établissement ? Simplement une excuse pour annoncer et justifier quelques jours plus tard l’évacuation des locaux ? Mais on ne tombe pas dans leurs panneaus qui laisseraient croire que si le lycée ne peut pas réouvrir, c’est à cause des vilains migrants… Non, si le lycée ne réouvre pas, et ce depuis cinq ans, c’est parce que la Région fait le choix de ne pas le réouvrir, c’est tout ! Mais ce qui devait arriver arriva, puisque le tribunal a annoncé en jugement en référé l’expulsion des résidents dans les 72 heures (soit lundi 2 mai à partir de 20h15), sur les bases totalement infondées avancées par la région d’Île-de-France détaillées précédemment. La Mairie de Paris ne se fait pas entendre pour dénoncer cette décision. Le gouvernement non plus. Il n’y a aucune volonté politique, la seule réponse sera celle des matraques et des gaz.

Mais « quel sens y a-t-il à renvoyer à la rue des gens qui viennent de la rue », interpellent celles et ceux qui sont venus, comme moi, hier soir pour apporter leur soutien aux réfugié.e.s ? Sur les 200 personnes, certains viennent du collectif « La Chapelle debout », d’autres sont des riverains, on voit même quelques élus avec leur banderole tricolore : tous ne resteront pas la nuit entière, mais voulaient apporter leur soutien. Certains migrants ont témoigné au mégaphone, hier soir, de leur immense déception quand ils sont arrivés en France, à devoir dormir dehors, l’hiver, sous des ponts, dans les conditions qu’on ne peut même pas imaginer. Un Afghan avoue « avoir eu envie de se tuer » tellement cette situation est insupportable. En témoignent les nombreuses cicatrices qu’il a sur le corps et les dizaines de points de suture sur son crâne. Pour celles et ceux qui auraient encore pu en douter, non, ces migrant.e.s n’ont pas risqué leur vie pour venir toucher le RSA.

Tandis que ce matin, le camp de Stalingrad et 1600 migrant.e.s ont été expulsés, il est évident que si expulsion il y a, et expulsion il devrait y avoir, et elle ne se fera pas dans la douceur. Pourtant, à l’entrée du lycée trône une pancarte édictant clairement les règles de vie pour quiconque met les pieds dans l’établissement : « Pas d’alcool, pas de drogue, pas de racisme, pas de sexisme, pas de violence » sous peine d’expulsion. Mais je doute que les CRS respectent cette règle… ni aucune autre d’ailleurs.

A 23 heures lundi soir, alors que je finis mon témoignage, des rumeurs circulent : les copains et copines de Nuit debout seraient en train de parler de venir au rassemblement de soutien aux migrants. C’est vrai que s’ils et elles se pointaient à 500, ça pourrait bien changer le rapport de force ! Et pas sûr que les flics arrivent à évacuer dans ces conditions ! Mais je ne sais pas ce qu’il en a été, s’ils et elles sont venu.e.s au final, mais ce serait un message très fort en soutien aux migrant.e.s et en réaction aux violences policières qui nous donnent chaque jour un peu plus la rage et l’envie de nous battre toutes et tous ensemble, pour la régularisation des sans-papiers, pour l’accès à la dignité et aux logements, pour un accès libre aux soins et à l’éducation, contre la loi travail, contre les violences policières et contre ce système qui chaque jour nous donne un peu plus la rage !

En solidarité avec les migrant.e.s