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A coups de hache, mais avec « humanité et cœur »

23 août 1996, l’expulsion des sans-papiers de Saint-Bernard

Léo Serge En 1996 la droite expulsait violemment des sans-papiers de l’église Saint-Bernard, dns le 18ème arrondissement de la capitale. Pourtant comme le rappelle, l'un des succès littéraires de cette année, Debout-payé de Gauz, l'instrumentalisation réactionnaire des politiques migratoires ne date pas d'hier, mais au moins de la crise économique de 1973, lorsque des dizaines de milliers d'anciens colonisés de l'Empire français devinrent du jour au lendemain des indésirables « clandestins ». Aujourd'hui le PS réussit l'exploit symbolique d'imiter la droite de 1996 en la dépassant même dans l'injustice.

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Il y a 19 ans, le 23 août 1996, des CRS faisaient voler en éclat à coups de hache la porte de l’église Saint Bernard à Paris, dans le quartier de la Goutte d’or, entre Barbès et la Chapelle, avant d’expulser dans la plus grande violence les sans-papiers qui l’occupaient. La charge symbolique fut énorme. Le niveau d’organisation des sans-papiers, leur détermination, la jonction avec les habitants du quartier, et l’engagement d’intellectuels et d’artistes de gauche, allaient donner une ampleur nationale et même internationale à la question des expulsions.

Car l’occupation de Saint-Bernard permit de ramener en pleine lumière des faits éloquents. La plupart de ces « clandestins » étaient des femmes, des enfants à qui on refusait le regroupement familial, ou des travailleurs. La plupart cotisaient à la sécurité sociale, payaient des impôts, élevaient leurs enfants français, mais leur situation administrative avait été volontairement rendue ubuesque par l’État français pour rendre expulsable et corvéable à merci cette main-d’œuvre très présente dans le BTP ou la restauration. Leur détermination à rester en France, où ils disposaient d’une vie, d’un emploi, parfois depuis plus de dix ans, a été jusqu’à entreprendre une grève de la faim. Tout ce qu’ils demandaient, c’était une régularisation de leur situation. Leur mouvement s’organise donc autour de cette revendication : régularisation sans condition de tous les sans-papiers. L’idée prend forme dans la coordination des foyers de Montreuil. Quatre ans plus tôt, des travailleurs maliens avaient campé quatre mois sur l’esplanade de Vincennes pour réclamer un logement.

Dès le début de la lutte, le gouvernement Juppé donne le ton : des grévistes de la faim sont attrapés par la police et hospitalisés de force. Le mouvement se réfugie dans l’église Saint-Ambroise où a lieu une première expulsion, puis à l’église Saint-Bernard, dans le 18ème. C’est dans ce contexte que l’expulsion est filmée en direct. Jean-Louis Debré, alors ministre de l’Intérieur, se justifie par la suite devant les caméras en disant que l’opération a été menée avec « humanité et cœur ».

Après les brutalités policières, des cars de CRS emmènent les sans-papiers au centre de rétention administrative de Vincennes, qui a brûlé depuis. Le gouvernement Juppé promet des régularisations au cas par cas. Les jours suivants, les premières expulsions ont lieu. L’événement, unanimement condamné par les partis de gauche et par tous ceux qui, à l’époque, s’opposent aux « lois Pasqua » sur l’immigration, fait date dans l’histoire de la lutte des sans-papiers.

À l’époque, le PS, par la voie de son premier secrétaire, Lionel Jospin, réclame des négociations au cas par cas – alors que les coordinations sans-papiers réclament évidemment des régularisations collectives. Parvenu au pouvoir en 1997, Jospin fera régulariser la quasi-totalité des occupants de Saint-Bernard, mais sans procéder à la régularisation des sans-papiers, comme il avait pu le liser entendre en cours de campagne.

Aujourd’hui, dans le même quartier de Paris, le PS de nouveau au pouvoir reprend les mêmes méthodes violemment réactionnaires que la droite d’alors : envoyer les forces de répression et leur donner carte blanche pour disperser les migrants. On a ainsi vu le métro militarisé par des équipes de 4-5 gendarmes entièrement équipés – y compris avec des pistolets –, pousser des migrants dans des rames de métro au mépris de toute règle évidente de sécurité et de tout cadre légal. La plupart d’entre eux ne viennent plus du Mali, mais de pays en guerre, ce qui devrait leur permettre d’obtenir, pour nombre d’entre eux et malgré les barrières administratives ou la mauvaise foi gouvernementale, le statut de réfugié. Mais les règles internationales sur le droit d’asile signées par l’État français sont foulées par ce même État. L’histoire se répète mais c’est dorénavant le PS qui fait le sale boulot. Avec plusieurs obsessions : qu’il n’y ait pas de jonction entre les luttes des sans-papiers, des migrants, des organisations du mouvement ouvrier, et des habitants des quartiers populaires comme celui de la Chapelle. Espérons, au moins, que par sa brutalité et son injustice, le gouvernement Valls aura réussi l’inverse.

10/06/15


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