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Entretien

« Avec la grève, on a pris conscience de notre force » : portrait de Manon, gréviste de Vertbaudet

En grève depuis le 20 mars pour des augmentations de salaires, portrait de Manon Ovion, déléguée syndicale du site de Vertbaudet de Marquette-Lez-Lille. Employée de l’entreprise depuis ses 20 ans, elle nous raconte son parcours et l’impact de leur grève sur ce dernier.

Lisa Mage

27 mai 2023

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« Avec la grève, on a pris conscience de notre force » : portrait de Manon, gréviste de Vertbaudet

Crédits photo : CGT Verbaudet

Révolution Permanente : Depuis combien de temps es-tu dans l’entreprise et à quel moment tu as décidé de te syndiquer ?

Je suis arrivé dans l’entreprise en 2014. J’avais 20 ans et avant, j’avais déjà fait pas mal de petits boulots, j’ai été serveuse en pizzeria, j’ai travaillé dans une usine d’agroalimentaire, chez la Redoute… Aujourd’hui, je suis préparatrice de commande et au prélèvement chez Verbaudet. Face au faible taux de syndicalisation dans l’entreprise, j’ai assez vite décidé de me syndiquer. Il y avait des syndicats avant qu’on ne monte la section CGT, mais ils passaient leur temps à négocier avec la direction, lors des NAO (négociations annuelles obligatoires) de cette année, les syndicats majoritaires ont même accepté de signer sur la base de 0 % d’augmentation de salaire, c’est scandaleux. On discutait beaucoup avec les collègues de notre colère, de nos revendications et j’avais espoir qu’un syndicat plus combatif se constitue.

Après quelques années, j’ai vu que les choses ne changeaient pas, j’ai commencé à m’y mettre, je voulais faire bouger les choses. J’ai alors créé la section CGT, on avait besoin de reprendre confiance en nos forces, de se défendre face aux attaques constantes de la direction contre nos salaires et nos conditions de travail. Il fallait donner le déclic aux collègues qui avaient envie de se battre et de relever la tête. À ce moment-là, ça faisait déjà longtemps que la CGT n’existait plus à Vertbaudet, j’ai dû aller me syndiquer à la CGT de Tourcoing et le secrétaire général m’a mandaté comme représentante de la section syndicale. Je suis resté trois ans sous ce mandat en attendant les élections et lors de celle-ci, qui ont eu lieu en novembre 2022, on a créé notre équipe de syndicalistes CGT.

Révolution Permanente : Quand avez-vous décidé de vous mettre en grève et comment vous l’avez vécu ?

Avant cette grève, on n’avait jamais connu de mobilisation comme ça, on avait fait quelques débrayages, mais faire grève une journée entière, ça ne s’était jamais vu chez VertBaudet, alors plus de deux mois, je vous laisse imaginer. Cette année c’est les 60 ans de Vertbaudet, cette entreprise n’avait jamais connu de tel mouvement. On en avait marre, après toutes ces attaques de la direction et tout ce mépris, on avait besoin de se faire entendre. Et c’est comme ça qu’a commencé la grève le 20 mars. Cette grève nous a fait prendre confiance en nous, les filles ont été étonnées de découvrir ce dont elles étaient capables.

La grève a vraiment créé des liens entre les collègues alors que dans l’entrepôt et dans la vie, on a l’impression d’être dans un monde super individualiste. Mais c’est fait pour, le gouvernement et le patronat veulent diviser pour mieux régner, mais nous, on leur a montré qu’on était soudée et qu’on se laisserait plus faire. Dorénavant, on se battra toutes les unes pour les autres. Après, le travail en lui-même n’a pas changé, mais notre comportement face à la direction, lui, a durablement changé. Avant, on s’énervait entre nous sur la direction, mais maintenant, il y a ce rapport de force. On sait qu’on peut faire grève et qu’on se laissera plus faire.

Révolution Permanente : Est ce que le caractère très féminisé de la grève lui donne une tonalité particulière ?

Ça fait du bien de se dire que malgré le fait qu’on soit des femmes avec peu de moyens, on peut faire changer les choses. Si on n’était pas une majorité de femmes, on ne nous traiterait pas comme ça. On a subi des propos sexistes de la part de la direction, mais aussi de la part des policiers qui profitent du fait qu’on soit des femmes pour essayer de nous intimider. Et puis on se dévalorise tout le temps, on se dit qu’on n’en est pas capable, car quand t’es une femme seule avec des enfants, tu n’a pas les moyens de perdre des journées de salaires. Mais cette grève nous à montré que sans nous, Vertbaudet ne fonctionne pas.

C’est pour cette raison que la visibilisation de la grève, c’est central, que ce soit pour nous, mais aussi pour toutes les femmes qui se disent qu’elles n’en sont pas capables. On veut leur montrer que c’est possible de relever la tête et de se battre pour des conditions de travail et des salaires dignes. Alors, oui, on est des femmes et on est mal payé. Mais on est aussi et surtout des travailleuses qui ont le pouvoir de faire grève et de se faire entendre. On ne supportait plus le mépris constant, on est au travail, on n’est pas puni. Oui, il y a des règles, mais dans la limite du raisonnable. On n’a même pas le droit de manger un bonbon ou de mettre du sirop dans notre eau, c’est infantilisant.

Révolution Permanente : Comment avez-vous vécu le tournant répressif qu’a subi la mobilisation ?

Ce qui est étrange avec la répression qu’ont subi, c’est qu’on aurait dû avoir peur. Ils voulaient qu’on ait peur et qu’on rentre la tête basse au travail, mais franchement ça n’a fait que décupler notre colère. On est juste des femmes en grève, on est un danger pour personne, tout ce qu’on veut, c’est des augmentations de salaire. Toute cette violence, ça nous a écoeurées, maintenant, on a la rage contre la direction. On est dégoûté des moyens utilisés pour nous intimider. Ça me fait rire quand j’entends parler du dialogue social, parce que ce n’est pas le dialogue qu’ils utilisent pour arrêter la grève, c’est la violence.

Révolution Permanente : Les grévistes étant à majorité des femmes seules, comment avez-vous réussi à concilier votre engagement avec vos vies de famille ?

C’est difficile de gérer la grève et la vie de famille, alors on s’adapte parce qu’on n’a pas le choix, mais c’est dur. Sur le piquet, on a conservé les équipes qu’on avait au travail. Les filles du matin sont là le matin et comme ça on tourne. Alors oui faire grève ça demande du temps et de l’énergie, mais on essaie de se répartir les tâches au mieux pour conserver du temps pour nous. Et puis le piquet est familial, le week-end, les enfants et les maris viennent, on essaie de conserver une vie de famille à peu près normale. Moi, j’ai la chance d’avoir un mari syndicaliste qui me soutient dans mon combat, je fais des grosses journées sur le piquet alors on s’arrange pour que ma fille ne soit pas seule, mais ça demande des compromis. En fin de compte, ça ne doit pas être un handicap d’avoir une vie de famille, bien au contraire, c’est une force dans la lutte.

Révolution Permanente : Comment perçois-tu les perspectives de la mobilisation, notamment avec l’arrivée de la mobilisation intersyndicale du 6 juin ?

On a fait grève contre la réforme des retraites avant de faire cette grève pour les salaires, mais on voit bien que la question des salaires mobilise bien plus les filles, quand tu as des salaires aussi bas la question de la retraite est souvent assez éloigné. Mais de toute façon, les deux sont liés, les attaques contre les salaires réels entrent dans la même lignée que la volonté du gouvernement de nous faire travailler deux ans de plus.

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