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Offensive réactionnaire

Droit du sol à Mayotte : une offensive pour calmer la colère sans toucher à la misère

Le projet de réforme constitutionnelle de Darmanin pour mettre fin au droit du sol à Mayotte surgit dans un contexte de crise, alors que l’île est bloquée depuis trois semaines par un mouvement d’ampleur contre l’immigration. Ce n'est cependant pas une offensive xénophobe qui réglera la misère sur l'île.

Natacha Lubin


et Karl Nara

13 février

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Droit du sol à Mayotte : une offensive pour calmer la colère sans toucher à la misère

Crédit photo : Capture d’écran de Mayotte la 1ère - Barrage dans le centre-ville de Tsararano

Ce dimanche, Gérald Darmanin s’est déplacé à Mayotte sur fond de crise paralysant l’île. Depuis plus de trois semaines, des collectifs de citoyens mènent en effet des actions anti-migrants, entre blocages des principaux axes routiers, manifestations quotidiennes ou encore installation de cadenas sur le bâtiment de la préfecture de l’île. C’est dans ce contexte que le ministre de l’Intérieur a annoncé la fin du droit du sol à Mayotte par une réforme constitutionnelle, afin de répondre aux revendications xénophobes des collectifs.

« Le président de la République m’a chargé de dire aux Mahorais que nous allons prendre une décision radicale : l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte » a expliqué Darmanin ce week-end. Revendiquant la récente loi immigration qui devrait réduire de « 90% les titres de séjour  », le ministre de l’Intérieur prévoit également un projet de loi Mayotte, où il proposera la fin du visa territorialisé, mesure très attendue par les collectifs et les élus locaux. Si la révision constitutionnelle n’est pas chose faite - et s’avère compliquée à mettre en œuvre pour l’exécutif - la proposition incarne un nouveau saut dans la gestion répressive de l’immigration sur l’île. Elle s’inscrit dans la continuité de la politique coloniale française, qui fomente et appuie la xénophobie des élites mahoraises afin de canaliser la colère sociale vers des mesures anti-immigrés.

De leur côté, les collectifs se disent encore « méfiants » des annonces, mais prévoient de lever les blocages ce mercredi après avoir lu des engagements écrits du gouvernement lors d’un « congrès. » Lundi, les barges entre Grande-Terre et Petite-Terre étaient cependant toujours à l’arrêt, et les barrages présents depuis janvier paralysent toujours la circulation. Interviewée par Le Monde, une manifestante explique : « Non, toutes ces annonces ne me calment pas, lance Marie (un prénom d’emprunt, car elle souhaite rester anonyme). Mayotte souffre et a été abandonnée. Nos maisons sont équipées de barreaux et de caméras à cause de la violence et des vols. On veut des actes. Sinon, on va rester. On se méfie des écrits qui sont des coquilles vides. »

Une mobilisation sur l’île partie de la lutte contre un camp de migrants

La mobilisation actuelle a commencé en réponse à l’installation d’un camp de migrants dans le stade de Cavani, situé à Mamoudzou, accueillant des populations principalement originaires de pays de l’est africains. Aujourd’hui les blocages paralysent toute la vie sur l’île, déjà en proie à une sécheresse historique. Tous les habitants en paient le prix : les magasins sont à court d’approvisionnements, les écoles et les hôpitaux peinent à fonctionner. Des renforts policiers, dont plus de 800 gendarmes, sont sur place, et d’autres sont arrivés dimanche, accompagnant Gérald Darmanin. De nombreux médias rapportent également des barrages et des pillages par des bandes de jeunes, souvent des enfants de parents expulsés, livrés à eux-mêmes. Dans ce contexte où la pauvreté et la criminalisation des sans-papiers poussent de nombreux jeunes dans des situations désespérées, les médias et les élites mahoraises reprennent les analyses sécuritaires et xénophobes de l’État français. Encore une fois, sont les étrangers qui sont dans le viseur des dits collectifs d’habitants, fortement influencés par l’extrême droite.

Selon Le Monde, « la moitié [des personnes à Cavani] sont bénéficiaires de la protection internationale ou demandeurs d’asile. ». En plus des conditions de vie précaires dans des abris de fortunes, sans eau potable ni électricité, ils sont régulièrement harcelés et menacés, comme le souligne Charline Ferrand-Pinet, directrice de l’association d’aide aux demandeurs d’asile Solidarité Mayotte : « Il existe ici une très forte stigmatisation contre eux et des violences quasi quotidiennes ». Ainsi, plusieurs témoignages rapportent que de nombreux groupes cherchent à s’attaquer directement à des migrants : «  hier, on a été attaqués. Les Mahorais ne veulent pas de nous. Moi, je ne suis pas contre les manifestations, je trouve ça bien que les gens s’expriment. Mais là, ce que je ne comprends pas, c’est la violence. C’est de la destruction méchante. Il y a quand même des femmes et des enfants dans le camp. Et on n’a pas le choix de vivre ici. »

Le dimanche 21 janvier, près de 300 manifestants se sont rassemblées aux abords du stade de Cavani pour réclamer le démantèlement du camp, dont la destruction a débuté quelques jours plus tard. Une décision qui ne peut qu’aggraver la situation déjà très précaire des personnes migrantes.

La haine anti-migrant comme catalyseur de la colère sociale

Depuis fin janvier donc, le mouvement anti-immigration prend de l’ampleur, comme en témoigne l’émergence d’un nouveau collectif citoyen, Les forces vives de Mayotte. Ce dernier a organisé un congrès à Tsigoni le 4 février, réunissant plus d’un millier de personnes. Exigeant d’échanger avec le gouvernement, le collectif a énoncé ses revendications, dont l’instauration d’un état d’urgence sécuritaire sur l’île, le démantèlement des camps de migrants et leur expulsion systématique du territoire. Un programme ultra réactionnaire, rappelant les collectifs qui avaient surfé sur la pénurie d’eau historique pour désigner les étrangers comme responsables de la sécheresse catastrophique et la mauvaise gestion de l’État français.

En février, Les forces vives de Mayotte ont également organisé un rassemblement devant une association d’aide aux migrants pour réclamer sa fermeture et brûlé des matelas stockés dans une mosquée, car ils étaient réservés pour des migrants sans abri. Ces démonstrations de violence envers les migrants d’Afrique continentale s’inscrivent dans la continuité de la xénophobie contre les comoriens. Ce racisme a été construit de toute pièce par l’extrême-droite française et la bourgeoisie locale dans les années 1970, à la veille de l’indépendance de l’archipel des Comores, afin de conserver l’île de Mayotte dans le giron de l’impérialisme français.

Basée sur une prétendue «  différence ethnique » entre les Mahorais et les autres habitants de l’archipel, cette haine de l’étranger est agitée comme « chiffon rouge » par les élites politiques économiques de l’île, afin de masquer leur responsabilité ainsi que celle de l’État français dans la situation dramatique sur l’île. A Mayotte, 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté, 10% des enfants entre 4 et 10 ans sont malnutris et l’espérance de vie est de 75 ans, soit inférieure de huit ans à celle de la France. Ces chiffres, qui touchent mahorais et étrangers, mettent en lumière le caractère structurel des inégalités entre les colonies supposément « françaises  » et le territoire dit «  métropolitain  ».

Les collectifs citoyens, moteurs du mouvement actuel, avaient aussi été les protagonistes des blocages d’hôpitaux au printemps 2023, lors de l’opération d’expulsion massive Wuambushu menée par l’État, dans le but d’empêcher l’accès aux soins des étrangers. Ils avaient également mené des actions d’expulsion à d’autres moments, comme en 2016. Ces collectifs témoignent, comme le souligne Maëva Amir, d’une « canalisation réactionnaire  » de la colère de la population mahoraise, permettant au colonialisme français de diriger celle-ci contre l’immigration comorienne. La présence française est ainsi préservée, et considérée, à tort, comme la solution des problèmes qu’elle produit. En effet, Darmanin a promis de consulter les élus ainsi que les collectifs de citoyens, avec qui il a longuement échangé dimanche, sur son projet de loi Mauyotte.

Derrière la xénophobie locale, le spectre de l’impérialisme français

Dans leur communiqué, le collectif Forces vives de Mayotte dénonce un «  apartheid réglementaire et juridique appliqué à Mayotte  », et revendique donc la fin des lois spécifiques telles que le titre de séjour territorialisé. Une revendication entendue par Darmanin, qui promet de supprimer la fin du visa territorialisée dans son projet de loi Mayotte.

Pour autant, le caractère intrinsèquement colonial de l’administration française n’est aucunement remis en cause par le collectif. Et pourtant, l’exceptionnalité législative appliquée dans les territoires dits d’outre-mer est un pilier de la domination coloniale de l’État français, qui défend un poste stratégique clé en maintenant une présence dans le Canal du Mozambique, où passe 30% des exportations mondiales de pétrole.

L’inexistence de l’aide médical d’État (AME) sur l’île est un exemple de cette exception coloniale ayant pour conséquence une situation sanitaire catastrophique : taux de mortalité infantile de 8.9% contre 3,7% en France,, un renoncement plus fréquent aux soins faute de protection sociale, des habitants en plus mauvaise santé et un hôpital public saturé.

Pour maintenir ses intérêts, l’État français ne cherche pas à « développer économiquement » Mayotte ni à assurer la prospérité de la population, mais plutôt de maintenir par la force une forme (précaire) de stabilité, alors que la population de l’île fait face à une situation extrêmement critique sur le plan social et économique. Les mesures xénophobes et sécuritaires servent aussi à maintenir cet équilibre, dans la mesure où les puissances impérialistes, dont la France, ont longtemps qualifié l’immigration comme une « menace » à la stabilité. Ces mesures sont donc présentées comme réponse à toutes les problématiques sociales, avec la pleine complicité des élites mahoraises.

C’est en ce sens que Darmanin avait tenté de revendiquer l’opération Wuambushu en juin 2023, en déclarant que « lorsque Mayotte retrouvera ce qu’elle est en train de retrouver grâce à cette opération, la maîtrise de sa démographie, ça ira mieux à l’école, ça ira mieux à l’hôpital, ça ira mieux pour consommer de l’eau, ça ira mieux pour tous les services publics. »

Mais ces mesures réactionnaires anti-immigrés ne répondront en aucun cas aux besoins des populations sur place et ne mettront pas fin à la misère sociale dans laquelle l’Etat français plonge l’île et le reste de son archipel depuis des années. Au contraire, elles fabriquent davantage de sans-papiers, livrent des jeunes à eux-mêmes et masquent la responsabilité de l’Etat français dans les pénuries et les violences sur l’île. Il y a urgence à combattre la xénophobie et la division entretenue par l’Etat français et les élites locales pour s’attaquer aux racines de la misère dans l’ensemble de la région. A rebours des revendications sécuritaires et xénophobes, il faut construire une mobilisation avec l’ensemble de la population pour exiger des moyens massifs pour les services publics et l’accès à l’eau potable, dénoncer la gestion coloniale de Mayotte et le statut juridique d’exception qui lui est réservé. Pour mettre un coup d’arrêt à ces attaques, l’ensemble des organisations politiques et syndicales doivent refuser que Mayotte soit le terrain d’expérimentation de politiques anti-immigrés au détriment des populations. A l’heure où les attaques xénophobes se multiplient dans l’Hexagone, la lutte contre les offensives anti-immigrés de Macron se joue également à Mayotte.


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