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Témoignage

Femmes de chambre. Le luxe pour les clients, le mépris pour nous !

A., femme de chambre dans un hôtel de luxe parisien et déléguée CGT On est censés ne jamais les voir, et quand cela arrive c’est souvent par erreur (de leur part évidemment !). Derrière le confort et la propreté impeccable d’une chambre d’hôtel se cachent néanmoins des heures interminables d’un travail précaire et sous pression permanente. Depuis quelque temps, ils – mais surtout elles - car il s’agit d’un travail très majoritairement féminin – ont brisé la vitre de leur « invisibilité » et ont été à l’origine d’une série de grèves longues et courageuses qui ont profondément gêné le fonctionnement de plusieurs « palaces » parisiens, jusqu’à obtenir gain de cause. Le témoignage qui suit a été rédigé par une des actrices de ce processus d’organisation et de lutte.

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Femme de chambre depuis quelques années dans un hôtel de luxe parisien, j’ai vécu la pression et le mépris dont sont victimes des milliers de travailleurs et travailleuses dans ce milieu. Un des directeurs pratiquait le règne par la peur basé sur des méthodes de management à l’américaine, comme l’intimidation ou la mise en concurrence des salariés (employés du mois, division des salariés, etc). On nous demande de « cravacher », de fournir des efforts considérables et des cadences démesurées en nous expliquant que c’est la seule solution pour que l’hôtel soit rentable.

Cependant, chaque fin de mois est un rappel de la réalité : alors que les chambres coûtent entre 1000 et 25000 euros la nuit, nos salaires ne dépassent pas 1400 euros nets par mois. Les primes sont quasi inexistantes malgré nos efforts (à peine 150 euros nets par an), sans compter le fait que des enveloppes contenant de grosses sommes d’argent sont fréquemment distribuées par des clients mais sont récupérées par des responsables de services qui ne les redistribuent pas, alors que c’est nous qui faisons le travail ingrat.

Fermer sa bouche, la règle numéro 1 de la maison

Lors d’arrivées de délégations et clients importants, nous faisons des heures supplémentaires, souvent dans des chambres très sales, ne prenant pas nos pauses repas jusqu’à tard dans l’après-midi, heures pour lesquelles nous ne sommes quasiment pas payés hormis pour une minorité de responsables qui se trouvent en très bon termes avec la chef de service. Les charges de travail journalières ne sont pas respectées, surtout pour le personnel « extra » (salariés qui ne sont ni en CDI, ni en CDD mais en contrat journalier) qui subit une précarité extrême sans jamais pouvoir être sûr d’avoir un travail le lendemain. Concrètement cela veut dire qu’on n’a pas le droit d’ouvrir sa bouche pour dire ce qui ne va pas ou tout simplement d’être malade, sous peine de ne plus être repris…

De manière générale, et cela vaut pour toutes les femmes de chambres quel que soit leur contrat, si une chambre n’est pas faite, nous sommes appelées dans le bureau où l’on nous demande des explications nous rappelant que la « productivité » n’est pas bonne, qu’on n’est pas assez efficace, qu’on n’est pas irremplaçables, qu’ils reçoivent des CV tous les jours, pour essayer de nous faire peur sur la possibilité de perdre notre travail.

Hormis nos 40 minutes, nous n’avons droit à aucune pause et nous sommes pistés en permanence. Les équipiers d’étages portent des meubles extrêmement lourds, ce qui engendre de multiples problèmes de dos, sans que personne ne s’en soucie. Au fil du temps, l’occupation de l’hôtel a grandi alors que l’effectif s’est au contraire pas mal réduit, ce qui a eu pour conséquence une augmentation des accidents de travail et arrêts maladie dans un métier ou les problèmes de dos et troubles musculo squelettiques sont déjà fréquents. Les accès aux formations sont rares dans notre service et les évolutions de carrière inexistantes pour les femmes de chambres.

Lorsque nous voulons dire ce qui ne va pas, nous faisons face tout de suite à des remarques dénigrantes et blessantes qui finissent par décourager des salariés qui pourtant donnent le meilleur d’eux-mêmes, et qu’on finit par pousser jusqu’à la démission. Lorsqu’ils souhaitent voir partir une personne, les responsables mènent une politique de pression et de harcèlement. Je l’ai subi et je me souviens encore de pleurer dans les chambres…

Mais nous ne sommes pas prêtes à les laisser faire : l’union fait la force !

Face à cette situation devenue insupportable, nous avons décidé de prendre les choses en main comptant sur les élections syndicales qui approchaient. Elles étaient notre seul moyen de faire changer les choses : il fallait qu’on s’unisse et qu’on soit organisés face au mépris, à la précarité et à l’exploitation ! Grâce à des discussions avec les salariés et à un fructueux travail de terrain, nous avons réussi à constituer une équipe militante autour de la section CGT qui auparavant n’existait pas dans notre hôtel. Le jour des élections, notre équipe était sur le qui-vive redoutant les manœuvres et fraudes de la direction et du syndicat maison. Notre présence et surveillance étaient donc nécessaires sur le terrain car la direction avait volontairement retiré des bulletins CGT pour éviter les votes en notre faveur. Dès le matin et jusqu’au soir lors des dépouillements, nous avons été présents et grâce à notre détermination nous avons gagné ces élections. C’était une première victoire pour un nouveau départ !

Malgré le fait que nous étions maintenant salariées protégées, bien évidemment que nos responsables ont quand même tout essayé pour nous empêcher d’exercer nos fonctions normalement, prendre la parole, discuter avec les collègues et essayer de nous organiser pour changer les choses. Mais nous leur avons tenu tête ! Après de nombreuses réunions et discussions sur plusieurs mois concernant nos conditions de travail et nos salaires, la direction continuait à nous mettre des bâtons dans les roues. Nous avons compris que la seule solution était la grève.

L’organisation et la grève : seule moyen de gagner face à une direction qui ne voulait rien lâcher !

Début octobre nous amenons au directeur général de l’hôtel une liste de revendications pour laquelle nous attendons une réponse sous 48h. Nous prévenons nos collègues dans les heures suivantes que sans réponse satisfaisante de la direction, nous engagerions un rapport de force, une grève. La plupart d’entre eux étaient favorables à cette action, nous expliquant leur ras-le-bol de leurs conditions de travail et de leurs bas salaires (inférieurs à ceux des autres palaces parisiens).

Comme prévu, 2 jours plus tard, aidés par le syndicat, nous sommes arrivés en nombre devant l’hôtel à 6 heures du matin avec les drapeaux, les gilets et le mégaphone. Commença alors une grève qui allait, contre toute attente, durer 36 jours ! Tout le personnel des étages ainsi que l’ensemble des plongeurs, certains salariés du bar, du room-service et cuisiniers étaient dans la rue. Pour attirer l’attention, nous avons amené des Tam-Tams, casseroles et autres instruments qui ont donné le ton de cette grève.

Soutiens et solidarité entre des secteurs en lutte

Chaque jour, des journalistes, radios et associations venaient nous apporter du soutien. Les passants, les clients s’arrêtaient et nous soutenaient dans leur majorité. Nous avons reçu énormément de soutien et chaque semaine se tenait un rassemblement ou une manifestation auxquels étaient présentes jusqu’à 200 personnes venues nous encourager et apporter une aide financière à notre caisse de grève.

Par tous les moyens, le syndicat maison ainsi que la direction ont essayé de nous faire cesser la grève nous disant que suite à la perte de 4 millions d’euros, l’hôtel allait fermer et que tous les salariés se retrouveraient au chômage. Mais nous n’avons rien lâché et les collègues qui participaient à la grève étaient au contraire un peu plus motivés chaque jour. L’hôtel nous a également assigné au tribunal suite au bruit que nous faisions dans la rue et a perdu ! La juge a même interdit à la direction le recours aux salariés « extras » pour nous remplacer, encore une démonstration du rapport de force que nous avions réussi à installer !

La grève cessa début novembre sur des négociations longues. Nous avons obtenu des augmentations de salaire pour la majorité des salarié-e-s, des primes, le respect et des meilleures conditions de travail. Et nous avons surtout gagné la fierté de s’être battus et d’avoir tenu tête face à tous ceux qui croyaient qu’on n’allait pas tenir plus de quelques jours.

De plus, nous avons rencontré de nombreux salariés d’autres hôtels, cafés, ainsi que des militants venus nous soutenir avec qui nous avons tissé des liens. Aujourd’hui, ces liens de solidarité perdurent et nous permettent de rencontrer d’autres salariés qui se battent à leur tour. C’était justement le cas avec les salarié-e-s de Paris 8 qui ont mené une lutte courageuse contre les bas salaires organisant des soirées de soutien et un [grand meeting- http://www.ccr4.org/Jonction-Un-seul-mot-d-ordre-pour] avec plusieurs secteurs en lutte, où nous avons aussi été invitées pour partager notre expérience de lutte.


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