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Analyse

Génocide à Gaza : des armes, des affaires et des complices

Selon les données de la campagne « Stop Arming Israel », si on arrêtait de commercer des armes avec Israël, les bombardements sur Gaza cesseraient au bout de trois jours. Retour sur une collaboration meurtrière.

Massimo Zanardi

18 avril

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Génocide à Gaza : des armes, des affaires et des complices

Difficile à croire : en 75 ans, l’État d’Israël est devenu une puissance militaire incontestée, en possession de la bombe atomique - grâce au patronage français - et le neuvième exportateur d’armes au monde, avec un chiffre d’affaires de 11,5 milliards d’euros pour la seule année 2022. En 2021, la cybersécurité israélienne représentait 40 % des investissements mondiaux, alors qu’aujourd’hui le pays est le deuxième exportateur mondial dans ce secteur, derrière les États-Unis. Comment en est-on arrivé là ? Comment un si petit État a-t-il pu se transformer en une machine répressive aussi efficace en moins d’un siècle ?

Il est trop facile d’expliquer le développement belliqueux du projet sioniste comme une dégénérescence, comme un marché hors de contrôle gonflé par le racisme endémique de la société, l’état de siège permanent ressenti par ses habitants et l’hostilité du monde arabe environnant. Cela signifierait refuser de reconnaître la continuité systématique avec laquelle l’État juif poursuit depuis 75 ans une colonisation méditée, menée à coups de missiles, d’opérations militaires et de bombardements, le plus souvent avec la complicité des pays occidentaux.

Depuis sa création en Palestine, Israël n’a cessé de chercher à étendre son territoire en s’engageant dans une série de guerres d’expansion : l’annexion des territoires palestiniens en 1947, le Sinaï pendant la crise de Suez, le Golan, Jérusalem-Est, la Cisjordanie, Gaza et à nouveau le Sinaï au sortir de la guerre des Six jours en 1967, et le Sud-Liban en 1982 et en 2006. Il est évident que cette stratégie expansionniste a nécessité un soutien extérieur, car au milieu du siècle dernier, quand le Yishouv n’administrait qu’une faible partie du territoire palestinien, l’appareil militaire de la colonie israélienne n’était pas à même de soutenir son projet colonialiste : dans les années 1960, l’industrie de guerre israélienne fournissait du travail à 15 000 personnes, soit 2% des travailleurs israéliens.

La France et les Etats-Unis : les premiers soutiens de l’Etat colonial

Alors, qui a cru bon d’équiper et de soutenir la colonie naissante ? La France, évidemment, dont les aventures guerrières de l’époque ont révélé de manière éclatante l’unité de vue et de méthode avec ce projet néo-colonial. Après la fin du mandat français au Liban et en Syrie et la décolonisation de l’Algérie, la France soutint la formation de l’Etat colonial, de peur de perdre son influence sur ses anciens domaines coloniaux. Voyant dans l’Etat d’Israël une tierce partie capable de mener une répression par procuration, la France entreprit d’aider à la construction de son appareil militaire pour lui déléguer des fonctions policières au Proche et au Moyen-Orient.

Entre 1948 et 1969, la France est ainsi le premier et principal fournisseur d’armes du projet sioniste ; c’est dans le cadre de cet échange fructueux que le Commissariat à l’Énergie Atomique, organisme public de recherche industrielle et commerciale, aide Israël à mettre au point la bombe nucléaire, tandis qu’en 1962, la société privée Dassault Aviation est chargée par le gouvernement français de créer le MD-620 Jéricho, un missile balistique capable de transporter des ogives atomiques, toujours pour le compte d’Israël. Dans le plus grand secret, le Commissariat à l’Énergie Atomique français collabore directement avec le Mossad pour la construction de la centrale « Dimona » dans le désert de Néguev entre 1956 et 1960 ; cette centrale est mise en service en 1964.

Après ces vingt années de prospérité, Charles De Gaulle impose un embargo sur le commerce des armes avec l’État israélien le 2 juin 1967 : cette mesure s’est avérée partielle et insuffisante pour empêcher le transfert de pièces détachées, de technologies et de connaissances, et interrompre les contrats à long terme typiques de ce secteur, qui durent généralement des dizaines d’années. Le recul de la France a toutefois permis à Israël d’entrer dans l’orbite économique et militaire des États-Unis, avec lequel le jeune Etat colonial a noué des partenariats et des entreprises communes qui évitaient la concurrence mutuelle.

Dans les années 1980, le président Mitterrand a repris la collaboration militaire avec l’État colonial, collaboration qui s’est poursuive de manière ininterrompue jusqu’à aujourd’hui. Pour comprendre les liens étroits qui existent aujourd’hui entre Israël et les deux plus grands exportateurs d’armes au monde, les États-Unis et la France [1], il faut replacer la collaboration avec Israël dans le contexte de la fin de la guerre froide. Après la chute du mur de Berlin et le désarmement général qui s’en est suivi, les dirigeants sionistes ont dû repenser la nature de leurs relations commerciales avec les superpuissances protectrices. Ils ont notamment choisi de réorganiser leur industrie de guerre et de spécialiser leur production, notamment dans les technologies de surveillance et la cybersécurité, afin de mieux s’intégrer dans les économies des pays occidentaux et de coopérer avec leurs appareils répressifs, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de leurs frontières. Au début du nouveau siècle, la guerre de Bush contre le terrorisme et la bulle Dot-com ont assuré l’expansion de ce secteur de l’économie israélienne, comme en témoigne le poids des entreprises israéliennes sur le marché mondial des drones, qui y détiennent 70% des parts de marché.

Une industrie spécialisée mais un appareil sécuritaire dépendant des puissances impérialistes

Toutefois, il serait faux de considérer Israël comme une puissance militaire autosuffisante, qui pourrait choisir de manière autonome d’utiliser son arsenal dans une guerre d’expansion ou inversement de le commercialiser. En réalité, l’État israélien vend aujourd’hui 80 % des armes qu’il produit, et ne pourrait pas faire autrement. En 2006, les armes représentaient un quart de ses exportations [2], tandis qu’après les « opérations » menées en Palestine entre 2008 et 2011, Israël est devenu le premier pays en terme d’exportations d’armes par habitant, le volume de ses exportations atteignant la somme record de 7 milliards d’euros en 2012. Au cours d’une campagne militaire menée la même année, 169 Palestiniens ont été tués tandis que seulement 2 Israéliens ont trouvé la mort : une excellente publicité pour les marchés mondiaux de l’armement. Quelques années plus tôt, lors de la campagne « Plomb durci », 800 « terroristes », 300 civils palestiniens et 10 soldats israéliens ont été tués. D’un côté, les puissances occidentales ont condamné politiquement l’opération, de l’autre, elles ont envoyé des généraux et des stratèges pour apprendre les techniques employées par les brillants marchands de mort qui en étaient à l’origine.

Avec la France, les échanges commerciaux « gagnant-gagnant » reposent sur l’équilibre suivant : d’une part, l’industrie de guerre française contribue au développement de l’énergie nucléaire en Israël et finance la construction d’usines sur le sol israélien pour rendre autosuffisante la production ; d’autre part, Israël livre à la puissance protectrice des armes de cyber-espionnage, des dispositifs de contrôle des foules et d’autres technologies de pointe testées directement sur le peuple palestinien, visant à surveiller et à réprimer en interne sur le sol français. Il s’agit d’une aide mutuelle et interdépendante : à tel point que contrairement à la Russie, si Israël était lourdement sanctionné, et surtout si le commerce des armes était stoppé du jour au lendemain, les capacités militaires de l’Etat colonial s’effondreraient, sitôt les stocks stratégiques de munitions étasuniennes épuisés.

La coopération israélo-française

Grâce aux données fournies par des experts lors de réunions publiques de Stop Arming Israel, une organisation militante activement engagée sur la question, et aux réponses de Mathieu Rigouste, chercheur et sociologue spécialiste des « supermarchés de la guerre », il est possible de reconstituer la carte des relations militaro-politiques qui unissent Israël et ses soutiens, notamment et particulièrement la France.

Mathieu Rigouste lui-même nous a raconté avoir participé à Milipol, l’une des cinq foires organisées chaque année en France : environ 30 000 personnes présentes, grâce au contournement de la législation internationale, ont acheté et vendu des armes qui ne pouvaient pas être utilisées en temps de guerre, mais qui étaient acceptées comme des outils de maintien de l’ordre intérieur dans chaque pays. La coutume de ces marchés de la mort n’est pas seulement française, même si l’ancienne puissance coloniale peut se targuer d’avoir les plus importants sur le territoire national et d’occuper une place de choix dans ceux qui se déroulent à l’étranger, grâce à son héritage historique. Le prochain, Eurosatory, aura lieu à Versailles du 17 au 21 juin 2024 : il sera environ deux fois plus grand que le Milipol et accueillera 250 délégations d’une centaine de pays différents, dont bien sûr Israël qui, malgré le génocide en cours à Gaza n’a pas encore été expulsé de l’organisation.

Au cœur des relations économico-militaires israéliennes, la BITD (Base industrielle et technique de défense) joue un rôle central : l’appareil industrialo-militaire français, représente quelques 210000 emplois, soit autant que le marché national de l’automobile. Ce capital humain se répartit entre neuf grands conglomérats et environ 4 000 start-ups et moyennes-petites entreprises ; quant aux neuf groupes industriels, l’État français est copropriétaire de la plupart d’entre eux, tandis que presque tous collaborent directement ou indirectement avec Israël.

La plus puissante est de loin Airbus, une entreprise à caractère européen dont le siège social se trouve aux Pays-Bas - pour des raisons fiscales - et le siège opérationnel dans le sud de la France, près de Toulouse. Ses actionnaires sont l’État français, l’État allemand et l’État espagnol, avec un capital total de 61,8 milliards d’euros, de l’argent public investi principalement dans des avions, des drones, des satellites, des équipements militaires et des hélicoptères de combat. La spécialité de l’entreprise est le drone Harfang, conçu en collaboration avec l’entreprise israélienne IAI sur la base du drone Heron utilisé lors de l’opération Plomb durci, qui a fait plus d’un millier de morts en Palestine en 2008-2009. De la même manière, en 2020, l’agence européenne Frontex, dont le mandat institutionnel est d’arrêter les vagues migratoires aux portes de l’Union européenne par tous les moyens nécessaires, a signé un contrat de 50 millions d’euros avec Airbus pour acheter de tels drones Heron à Israël, afin de surveiller et de militariser le contrôle de la côte méditerranéenne. Nous voyons donc à l’œuvre ce que Rigouste appelle « une collaboration structurelle et systémique », qui traverse de différentes manières les structures et les institutions répressives de nos propres pays.

Mais Airbus n’est que la partie émergée de l’iceberg : la société Dassault Aviation, déjà citée, filiale spécialisée dans l’aéronautique de la holding privée de la famille milliardaire du même nom, se targue de commercer avec Israël et possède même des bureaux dans les territoires palestiniens occupés, comme à Ra’anana, une ville construite sur les ruines du village palestinien de Tabsur. Ou encore Thales, le numéro deux du marché français, contrôlé à 26% par l’Etat et à 25% par Dassault Aviation, n’a pas hésité à développer le drone Watchkeeper WK450 sur le modèle de ceux inventés par Elbit Systems, la plus grande entreprise d’armement israélienne, qui produit 85% des équipements de l’armée israélienne et 85% de ses drones. La multinationale franco-allemande KNDS, contrôlée pour moitié par l’Etat français et pour moitié par la société privée allemande Krauss-Maffei Weggman, a également signé récemment un accord avec Elbit, un conglomérat connu pour produire des munitions au phosphore blanc, des armes chimiques interdites par les traités internationaux et les protocoles de l’ONU, mais néanmoins utilisées par Israël contre des cibles civiles au Sud-Liban, à la fin de l’année 2023 et à nouveau ce jeudi 18 avril.

Ce ne sont là que quelques exemples, choisis parmi la liste que l’on trouve dans le guide publié par Stop Arming Israel. Il est significatif que l’information provienne d’Israël elle-même, puisque « l’avant-poste de la démocratie au Moyen-Orient » n’a aucun problème à afficher publiquement sa proximité avec les industries des superpuissances occidentales, qui tentent a contrario de dissimuler leurs relations avec l’Etat colonial. Pour cause, selon M. Rigouste, les produits de l’Etat colonial sont réputés pour leur fiabilité, en raison de la possibilité de tester ces dispositifs sur la peau des civils palestiniens. Alors que la Russie était exclue de la dernière édition de Milipol, Israël avait son propre « village » avec des pavillons d’exposition, avec une cinquantaine d’industries participantes, dont les représentants arboraient des armes et des dispositifs « combat proven », testés sur le champ de bataille.

L’Etat français complice : Israël, un atout pour les industries d’armement françaises

L’État français ne se contente pas de patronner ces supermarchés mondiaux, de financer des entreprises d’armement privées et d’investir des capitaux publics dans la création d’engins de mort, il fait également tout ce qui est en son pouvoir pour protéger et stimuler le commerce international des armes, par le biais de la recherche et du développement dans les centres et les universités. Rigouste explique que face à la crise de l’hégémonie occidentale et en particulier étatsunienne, les puissances européennes se raccrochent au moins partiellement au secteur militaro-sécuritaire pour maintenir un profit élevé et une position dominante dans la hiérarchie mondiale. Aujourd’hui, l’État est devenu un acteur de l’économie néolibérale intégré dans la logique capitaliste du marché, ce qui explique que dans les vitrines internationales, il se comporte de la même manière que les particuliers, achetant et vendant des marchandises utiles d’une part pour mener des « opérations extérieures », c’est-à-dire des guerres impérialistes, et d’autre part des « opérations intérieures », c’est-à-dire des campagnes de répression des révoltes ou des insurrections civiles.

La complicité ne s’arrête pas là : chaque fois qu’une entreprise privée souhaite faire du commerce d’armement avec l’étranger, elle est en effet obligée de demander une licence non seulement à une commission interministérielle, c’est-à-dire au ministère de l’Intérieur et au ministère de la Défense, mais aussi à l’Union européenne qui, depuis la guerre d’Irak, veut éviter d’avoir à lutter contre ses propres armes. Il existe donc un double système de contrôle, national et international, qui accepte aujourd’hui consciemment la participation du gouvernement français au génocide en cours en Palestine, signature après signature, licence après licence.

Malgré cela, les liens restent opaques : d’une part, il est difficile de dénicher des sources extra-étatiques. On ne peut donc être sûr que les données ne soient pas manipulées. D’autre part, il est facile de contourner les lois nationales par le biais de filiales d’industries françaises opérant à l’étranger, comme en Allemagne, en Italie ou en Angleterre. Enfin, le « Rapport au Parlement sur les exportations d’armements de la France », document public peu transparent, ne précise ni les équipements vendus, ni les entreprises concernées, ni les chiffres exacts du volume des exportations. Selon Patrice Bouveret, co-fondateur de l’Observatoire des Armements, Israël est présenté comme un client d’importance relative : 20 millions d’euros d’exportations en moyenne par an depuis 2014, 1 % des exportations totales de la France, contre, par exemple, 30 % vers l’Arabie saoudite.

Cependant, ces chiffres ne prennent pas en compte le matériel civilo-militaire à double usage, qui inclut les drones et autres appareils pouvant être utilisés non seulement sur le champ de bataille proprement dit mais également dans des opérations de maintien de l’ordre ou pour des applications civiles. En 2021, les exportations de ce type vers Israël ont atteint des chiffres bien plus élevés : près de 160 millions d’euros, selon un autre rapport au Parlement. En retour, la France reçoit de l’Etat colonial des instruments technologiques de pointe et bénéficie des connaissances policières et gestionnaires et de l’expérience coloniale que Tsahal partage avec la République.

Dans la société israélienne, il existe une connexion forte entre l’industrie de l’armement et d’autres secteurs de la société, de sorte que des liens se tissent constamment entre les forces armées et les universités, ou entre les entreprises privées, l’armée et les services secrets. Cette ambiguïté affecte le type d’armes et de produits vendus à l’étranger : selon Mathieu Rigouste, il s’agit de logiciels informatiques de surveillance et de contrôle des masses, comme les outils de surveillance algorithmique que le gouvernement français a annoncé vouloir utiliser pendant les Jeux Olympiques : une technologie basée sur l’intelligence artificielle, capable de traiter en grande quantité les données de reconnaissance faciale des caméras. Ou encore des logiciels espions comme le fameux Pegasus, l’une des armes informatiques les plus puissantes et efficaces du marché, capable de pénétrer à distance les téléphones iOS et Android de n’importe qui : produit phare du NSO Group israélien, Pegasus a été au centre d’une enquête journalistique menée notamment par Amnesty International, qui a révélé que le logiciel avait été utilisé par de nombreux gouvernements pour espionner des journalistes, des activistes et des opposants politiques.

Mais surtout, Israël offre des conseils, des informations utiles et des techniques éprouvées dans ses colonies : la France fait régulièrement appel à des officiers de police ou de l’armée israélienne pour échanger des stratégies et des connaissances en matière de rétablissement de l’ordre, notamment lors des grandes mobilisations ou des révoltes qui secouent le pays. L’Etat colonial a su construire un marché sur le « boomerang impérial » [3] : le centre impérialiste - la France, l’Allemagne, les Etats-Unis - encourage le développement de techniques et de dispositifs de contrôle colonial vers la périphérie - la Palestine et le Moyen-Orient - pour ensuite les réutiliser, une fois leur efficacité éprouvée sur le terrain, à l’intérieur de ses propres frontières.

Gaza et la Cisjordanie : des vitrines de l’armement mondial

En Palestine, ainsi que sur les marchés mondiaux de l’armement, Rigouste affirme que Israël a ainsi introduit une série d’instruments visant à mutiler les victimes sans les tuer, de manière à légitimer l’utilisation d’armes par les forces de l’ordre sans reconnaître officiellement qu’il s’agit d’un « feu ouvert » : selon le chercheur, cela pourrait éventuellement permettre une nouvelle escalade de la violence, si des situations encore plus ingouvernables que les situations actuelles se présentaient, par la force de l’État. Ces technologies ont ensuite été adoptées dans les métropoles impériales où ces armes « non-létales » sont devenus un outil fondamental de la répression sociale et du maintien de l’ordre : par exemple, le Flash-Ball, une arme « moins létale » utilisée par la police française à la place des « vraies » armes et des balles en caoutchouc a qui a été initialement conçue pour cibler les Palestiniens dans les territoires occupés.

Israël continue de développer ces technologies coloniales, laissant présager de leur introduction future dans l’équipement des forces de sécurité des Etats occidentaux. En 2022, un article de Contre-Attaque montrait comment la société israélienne Smart Shooter avait développé un type de Flash-Ball automatique basé sur l’intelligence artificielle, capable de frapper des individus dans une foule sur la base de mouvements suspects ou d’autres paramètres biométriques. On peut également citer le dispositif Lavender, utilisé à Gaza, comme le révélait l’enquête de +972 Magazine et Local Call. Il s’agit d’un dispositif de reconnaissance basé sur l’IA qui, selon diverses sources au sein de l’armée israélienne, a identifié plus de 37 000 Palestiniens - et leurs maisons - comme des cibles potentiellement dangereuses au cours du conflit actuel : par la suite, les noms ont été inscrits sur une liste noire de militants et d’opposants à assassiner, une liste sur laquelle les généraux et les chefs des services de renseignement israéliens s’appuient aveuglément : les opérateurs de drones ont ainsi seulement vingt secondes en moyenne pour évaluer si l’information recueillie par Lavender est fiable ou non.

Israël met également au service des industries militaires l’expérience de ses soldats et anciens soldats. Le documentaire israélien de 2013 The Lab interroge ainsi divers experts et théoriciens de l’extermination des Palestiniens, comme le professeur, mathématicien et philosophe Itzhak Ben Israel, inventeur d’équations mathématiques démontrant la nécessité morale et l’efficacité de ces engins de mort, ou d’anciens combattants qui ont choisi d’investir leurs pensions dans la conception de nouvelles armes sur la base de leur expérience militaire personnelle, mais aussi Amos Golan, créateur du CornerShot : un dispositif pliable à 90° qui permet de tirer dans les coins sans s’exposer aux tirs de l’adversaire, idéal pour les combats en milieu urbain. C’est précisément ce savoir pratique, né de l’interminable succession de campagnes militaires et d’occupations des territoires palestiniens par l’armée israélienne, qui permet à de nombreux généraux et à d’ex-soldats de se reconvertir professionnellement comme marchands d’armes, formateurs ou consultants à l’étranger une fois leur carrière dans les rangs terminée. C’est le cas de Leo Gleser, vétéran de guerre qui, dans le documentaire, est filmé en train de s’entraîner à combattre dans les favelas brésiliennes par les tristement célèbres Forces Spéciales de Rio de Janeiro condamnées entre autres par Amnesty International pour leurs méthodes répressives.

Depuis la guerre contre le terrorisme lancée par les États-Unis au début des années 2000, ce type de tactique s’est avéré fondamental pour contrer la guérilla partout dans le monde, mais la tradition israélienne est ancienne : l’État d’Israël a activement contribué aux contre-insurrections menées par les États-Unis dans les pays du Sud tout au long du siècle dernier, notamment en collaborant avec des régimes d’extrême droite et des milices ou des groupes de mercenaires au Guatemala, au Nicaragua, au Chili, en Argentine, en Iraq et en Iran.

La Palestine est donc, à toutes fins utiles, un terrain d’essai pour les pouvoirs répressifs de la planète entière : une terre en dehors du droit international où ils peuvent expérimenter des stratégies et des armes capables d’anéantir et d’opprimer des populations entières, un laboratoire à ciel ouvert activement financé par ces mêmes gouvernements qui récoltent ensuite les fruits de la terreur coloniale pour les réutiliser chez eux, sur leurs propres populations. Cependant, en raison de la planification internationale derrière le génocide qui se déroule actuellement dans ce laboratoire, dont l’importance a depuis longtemps transcendé les limites de la question palestinienne, la réponse des insurgés doit être tout aussi globale.

Comme nous l’ont rappelé la pandémie ou les récentes attaques des Houthis contre des navires de commerce en mer Rouge, l’interdépendance à laquelle sont contraintes les économies mondialisées rend les chaînes d’approvisionnement fragiles, exposées à la paralysie et aux boycotts, quel que soit le secteur d’activité. Rigouste parle de logistique, d’entrepôts et de livraisons, de circulation et de diffusion de composants individuels, de matières premières : les champs sur lesquels travailler pour organiser une résistance coordonnée et internationale contre l’industrie de guerre impérialiste sont innombrables, de même que les initiatives d’enquête et de justice pour en révéler les dessous. Même face à l’énormité de ces marchés et à la puissance des acteurs multimilliardaires qui les peuplent, les rouages reposent toujours sur la force de travail de millions d’ouvriers enfermés dans les usines d’armement, des dockers qui les font naviguer vers le sud, et des prolétaires qui se voient chaque jour contraints de se rendre complices des atrocités commises par une élite intéressée par le seul profit.

C’est pourquoi l’appel du 16 octobre, signé par plus de trente syndicats palestiniens, appelant à interrompre de la collaboration militaire avec Israël et à mettre fins au commerce des armes avec Israël est chargé d’une revendication démocratique fondamentale qui concerne non seulement les populations meurtries de Gaza et de Cisjordanie mais l’ensemble des travailleurs qui feront l’expérience, tôt ou tard, des instruments de mort et de souffrance conçus par l’Etat colonial.

Il est clair, à ce stade, que si l’occupation en Palestine est le résultat d’un projet conçu depuis des décennies par les exigences répressives des puissances occidentales et pro-occidentales, la mobilisation et la résistance de la population palestinienne devient le symbole d’une lutte beaucoup plus large contre l’ensemble de l’appareil répressif. Une lutte capable de mettre en lumière la violence inhérente à l’apparente paix européenne et à ses contradictions, qui, si elle est menée avec méthode et constance, peut devenir un levier pour subvertir cet appareil jusqu’à la moelle.


[1Depuis quelques années, la Russie concentre sa production d’armes sur l’utilisation directe sur le front ukrainien, cédant sa deuxième place dans les achats et ventes mondiaux à la France, dont le volume d’exportation en 2022 avoisinait les 27 milliards d’euros, soit un tiers de la production totale, selon le rapport du SIPRI (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm).

[2Approfondimento : economia di guerra e apartheid in Israele, La Voce Delle Lotte

[3Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme



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