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« Nous sommes des ouvriers du jeu vidéo » : grève nationale pour les salaires à Ubisoft

Plusieurs centaines de travailleurs d’Ubisoft sont en grève à partir de ce mercredi pour exiger une augmentation de leurs salaires de 5%. Une première dans le secteur du jeu vidéo.

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« Nous sommes des ouvriers du jeu vidéo » : grève nationale pour les salaires à Ubisoft

Crédit photo : Révolution Permanente - Chakib, délégué syndical Solidaires, prend la parole devant les grévistes rassemblés à Montreuil

Les travailleurs d’Ubisoft sont en grève à partir de ce mercredi 14 février, une première dans le secteur, où aucune grève nationale n’avait encore eu lieu. Cette mobilisation, appelée par Solidaire informatique, le STJV (le syndicat des travailleurs du jeu vidéo) et la FIECE CFE-CGC, s’inscrit dans le cadre des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO) - les premières de l’histoire de l’entreprise - qui opposent les syndicats de salariés à la direction d’Ubisoft. Alors que cette dernière a refusé toute augmentation de plus de 3% des salaires (soit un montant inférieur à l’inflation), les syndicats ont appelé à la grève pour exiger une augmentation minimale de 5%.

La plus grande grève à jamais avoir eu lieu dans le secteur du jeu vidéo en France

Les principaux studios mobilisés sont ceux de Montreuil, Montpellier et Annecy, qui rassemblent plusieurs milliers de travailleurs. Plus d’un salarié de l’entreprise sur sept serait en grève, une proportion inédite dans un secteur particulièrement atomisé et où les travailleurs sont victimes d’une mise en compétition extrêmement rude. Ce mercredi, les travailleurs mobilisés ont organisé plusieurs rassemblements devant leurs studios respectifs, rassemblant par exemple une centaine de personnes à Montreuil.

Vincent, représentant syndical STJV et mission designer à l’Ubisoft Paris studio, situé à Montreuil, explique ainsi : « on a décidé de faire un appel national à la grève parce que les difficultés qui sont présentes au niveau des salaires, mais aussi au niveau général des conditions de travail dans la production du jeu vidéo, commencent à taper sur le système d’absolument tout le monde. On pense que les gens sont prêts à commencer à défendre leurs droits. Là c’était le bon moment parce qu’en ce qui concerne la question des salaires, même sans avoir été syndicaliste depuis sa plus tendre enfance, on comprend pourquoi il y a besoin d’imposer un certain degré de rapport de force avec la direction ».

Chakib, programmeur et délégué syndical Solidaires informatique explique de son côté que la grève a été appelé par l’ensemble des organisations syndicales parties prenantes des NAO. « Toutes les organisations syndicales sont tombées en désaccord avec la direction : ils nous ont proposé une augmentation proportionnellement très inférieure aux profits réalisés par l’entreprise, on a donc décidé d’organiser une grève au niveau national ».

Alors que la présidence d’Ubisoft France a justifié de ne pas augmenter les salaires en raison d’un « manque de trésorerie », pour Victor*, DevOps au siège d’Ubisoft et délégué syndical CGT, « la direction a décidé d’acter un plan d’économies de 200 millions d’euros et dans le cadre de ce plan, il font la plupart de leurs économies sur les employés ».

Une lutte qui en appelle d’autres

Un débrayage avait déjà eu lieu en janvier 2023 dans l’entreprise, sur la base d’exigences salariales, mais également sur le thème des conditions de travail. Un sujet qui n’est certes pas au coeur de ce nouvel épisode de lutte, mais que les travailleurs ne perdent pas de vue pour autant, dans un secteur où les burn-out, les heures supplémentaires imposées et le « crunch » (période de travail intense à l’approche d’une date de fin de projet, caractérisée par une énorme pression imposée au salariés) sont extrêmement répandus. Chakib explique ainsi : « la lutte que nous venons de débuter ne s’arrêtera pas à la question des salaires, on profite de la loi qui oblige la direction à négocier avec nous [dans le cadre des NAO] pour initier un rapport de force, mais on ne va pas s’arrêter aux exigences salariales ».

Comme nous l’explique par ailleurs Vincent, les métiers du jeu vidéo sont « des métiers artistiques, et comme dans tous les métiers artistiques tu as envie de créer quelque chose qui a de la valeur, au-delà de ton salaire. Donc les mauvaises conditions de travail, les économies de bout de chandelle, les outils de travail obsolètes, ça fait que les gens tombent énormément en dépression, ça fait qu’on retrouve des collègues en larmes et c’est encore très compliqué de faire réaliser à nos collègues que ce n’est pas normal et que ça nécessite une réponse collective ».

Ubisoft n’est d’ailleurs pas la seule entreprise du secteur à connaître un mouvement social. Le studio Don’t nod, connu entre autres pour le jeu Life is strange, est lui aussi au centre d’un important mouvement social contre les conditions de management imposées aux travailleurs de l’entreprise.

Une autre problématique, qui concerne quant à elle plus spécifiquement les salariés du siège d’Ubisoft à Paris, dont certains se sont rendus au rassemblement à Montreuil, est la réduction de leurs effectifs. Une situation dénoncée par Victor, venu du siège et qui explique : « on est 1200 au siège, mais la direction a diminué de 10% nos effectifs en seulement 1 an, avec pour conséquence qu’on travaille plus, alors qu’on va gagner moins ».Tandis qu’Ubisoft refuse d’augmenter les salaires de ses travailleurs, elle ne se prive pas d’augmenter ses prix. L’entreprise a ainsi par exemple annoncé il y a quelques mois l’augmentation du prix de ses jeux dits « Triple A », c’est-à-dire à grand budget, qui sont passés de 70 à 80€ (soit une augmentation de presque 15%).

Le jeu vidéo : une industrie en pleine expansion où les travailleurs commencent à s’organiser

L’industrie vidéoludique est particulièrement jeune et est particulièrement touchée par les tactiques de divisions imposées par les directions. Qu’il s’agisse du recours ultra répandu au télétravail, de la jeunesse des travailleurs du secteur, de la mise en concurrence des salariés, etc, leur mobilisation et leur organisation collective ne va pas de soi. Pourtant, le secteur commence enfin à se structurer et à s’organiser.

Pour Chakib, l’heure est ainsi à la prise de conscience des travailleurs du jeu vidéo de leurs intérêts communs, ainsi que de la nécessité de se battre pour leurs droits. Il déclare donc, à l’occasion d’une prise de parole improvisée devant la centaine de grévistes réunis aux abords du studio montreuillois, « certes on est des travailleurs particuliers, on est des artistes, mais on reste aussi et avant tout des ouvriers et des ouvrières du jeu vidéo. Il faut qu’on se solidarise, qu’on se fasse confiance et que les logiques individualistes disparaissent ».

Le tour de parole initié par Chakib est, enfin, l’occasion pour Vincent de prendre la parole à son tour et d’affirmer à ses collègues : « il y a beaucoup plus de monde mobilisé cette année que l’année dernière. Nous tous ici, on ne pense pas qu’aux salaires, on se bat en général pour nos conditions de travail. Les crunchs, les burn-out, les états de dépressions dans lesquels nos managers nous plongent, toutes ces choses-là vont devoir cesser et elles ne cesseront pas sans force et conviction. Soyons forts et battons-nous sans relâche ! »

*Le nom a été changé


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