×

Ukraine

« Pas de limites face à la Russie » : l’Assemblée nationale vote pour l’escalade militariste

Ce mardi, l’accord bilatéral de sécurité entre la France et l’Ukraine a été voté par l’Assemblée nationale. Une mascarade de débat parlementaire qui visait surtout à offrir une tribune aux projets guerriers du gouvernement et de ses soutiens.

Antoine Chantin

13 mars

Facebook Twitter
Audio
« Pas de limites face à la Russie » : l'Assemblée nationale vote pour l'escalade militariste

Ce mardi à l’Assemblée nationale se tenait un vote sur l’accord bilatéral de sécurité entre la France et l’Ukraine, qui prévoit un renforcement de l’aide militaire, notamment en matière d’artillerie et de défense aérienne et se positionne en faveur d’une intégration de l’Ukraine à l’Otan et l’Union européenne. Si ce vote, remporté par l’exécutif avec 372 voix pour contre 99 voix contre et 101 abstentions, était purement symbolique, l’accord entre les deux pays ayant de fait déjà été signé par Macron le mois dernier, il avait une portée politique importante. En pleine campagne européenne, le gouvernement veut en effet faire du soutien à l’Ukraine la principale ligne de clivage, en légitimant l’escalade en cours tout en s’attaquant aux oppositions de gauche et d’extrême-droite.

Le débat au Parlement a ainsi servi aux macronistes à marteler la rhétorique guerrière utilisée ces dernières semaines. Dans son discours, le Premier ministre Gabriel Attal a asséné : « nous n’excluons par principe aucune option (…) Nous ne nous fixons pas de limites face à une Russie qui, elle, n’en fixe aucune ». Une déclaration dans la continuité du changement de ton de Macron, fin février, qui a évoqué la possibilité de l’envoi de troupes occidentales en Ukraine et du lancement de la campagne de Renaissance aux européennes, ce samedi 9 mars, à Lille. « Nous sommes à Munich en 1938, il est minuit moins une » avait notamment expliqué Valérie Hayer, tête de liste du camp présidentiel pour les européennes, multipliant les parallèles entre la guerre en Ukraine et la seconde guerre mondiale.

L’aventurisme guerrier du macronisme et du bloc bourgeois

« Face à un ennemi qui ne se met aucune limite, nous ne pouvons-nous permettre d’en formuler », avait lancé le président de la République en amont de la séance parlementaire, lorsqu’il avait reçu l’ensemble des chefs de partis représentés au Parlement, le 7 mars dernier. Une formule claire quant au cap fixé par le Président : continuer à réarmer la France après le budget record voté il y a quelques mois et renforcer le bloc occidental réuni au sein de l’OTAN. Une escalade militaire qui s’est dernièrement incarnée dans les déclarations de Macron, qui avait affirmé lors d’un sommet à Paris, que « rien ne doit être exclu », pas même une intervention de troupes armées au sol.

Une dramatisation des enjeux qui tombe à pic pour la macronie, en lui permettant de torpiller leur principal rival pour les élections européennes, le Rassemblement National et ses dix points d’avance dans les sondages. A l’Assemblée, le Premier ministre Gabriel Attal s’est inscrit dans la continuité des discours de Macron, évoquant « un enjeu existentiel » pour tout le continent européen. Expliquant que « nous allons choisir l’avenir de l’Europe », il a réitéré l’idée que « nous ne serions pas en train de fournir des armes à l’Ukraine pour se défendre face à la Russie mais des armes à la Russie pour écraser les Ukrainiens » si Le Pen était arrivée au pouvoir en 2022.

Autant d’appels du pied à la rhétorique belliciste ambiante, qui lui permettent plus largement de jeter l’opprobre sur toute expression qui divergerait avec la ligne fixée par le gouvernement. Une ligne que Gabriel Attal a résumé sans détour devant les députés : « Voter contre, c’est donner à Vladimir Poutine tous les arguments et un signal qu’il espère et qu’il attend (…) S’abstenir, c’est fuir, fuir ses responsabilités devant l’histoire, trahir ce qui nous est le plus cher, depuis le 18 juin 1940 : l’esprit français de résistance ». Car pour le Premier ministre, ce vote avait avant tout de démonstration : « nos concitoyens français doivent savoir, sans ambiguïté possible, la position de chacun sur le soutien à l’Ukraine et la condamnation de la Russie ».

Une offensive face à laquelle les Républicains ont critiqué les sorties de Macron sur l’envoi de troupes au sol et la perspective de l’intégration de l’Ukraine à l’UE, mais voté massivement pour l’accord. Même logique du côté du Parti socialiste. Alors que la tête de liste du PS aux européennes, Raphael Glucksmann, estimait il y a quelques jours que « la France devrait être totalement passée en économie de guerre », et devrait même prendre « le leadership sur le front européen de résistance à l’invasion », le groupe PS a donné ce mardi un blanc-seing au Président de la république dans sa course à l’armement en « se prononçant en faveur » d’une adhésion de l’Ukraine a l’OTAN, en échange du respect de « critères de convergence économiques et sociaux ». Même son de cloche du côté d’une autre composante de l’ex-Nupes, les écologistes, qui, s’ils regrettent la « rhétorique belliciste et [la] logique d’escalade » du président de la République, n’en cautionnent pas moins sa politique, en se prononçant en faveur de l’accord bilatéral. Pour EELV en effet, « la nécessité d’engager des moyens pour protéger nos espaces cyber et contrer la désinformation à grande échelle organisée par la Russie » justifie un tel investissement massif dans la militarisation du l’Ukraine et son adhésion à l’OTAN.

Des alignements qui permettent à Macron de se positionner en chef de file du camp pro-Otan, qui va de la gauche libérale (PS et EELV) aux Républicains, et de présenter ses principaux opposants comme des alliés d’une puissance étrangère.

Le RN tente de surfer sur le rejet de la guerre tout en faisant oublier ses liens historiques avec Poutine

L’objectif assumé de l’exécutif, dernière cette séance aussi théâtrale que symbolique, était de faire « sortir du bois » le RN, selon les mots même du Président de la République. Plutôt que de s’attaquer à l’extrême-droite sur ses positions xénophobes, dont le macronisme s’est largement rapproché ces derniers mois, la majorité cherche à assimiler par tous les moyens ce courant à Poutine, sur la base des liens historiques entre Le Pen et le président russe. En ce sens, le 27 février dernier, le Premier ministre, se demandait, en pleine séance, et à l’adresse des députés du RN, « si les troupes de Vladimir Poutine ne sont pas déjà dans notre pays ».

La formation de Marine Le Pen est en effet affaiblie par cette proximité, exprimée avant la guerre en Ukraine, avec un appui financier du régime de Poutine, une fascination pour sa politique réactionnaire et autoritaire et une volonté de rapprochement économique, allant dans le sens de secteurs d’une partie de la bourgeoisie française. Des liens que le parti tente depuis de faire oublier, après le choc qu’a suscité l’agression russe en Ukraine. En ce sens, pour poursuivre son intégration au régime, Marine Le Pen a fait du zèle ce mardi en saluant la « place [de la France] dans le juste soutien à cet héroïsme militaire ukrainien ».

Dans le même temps, le parti d’extrême-droite a choisi de surfer sur le rejet majoritaire de la perspective de la guerre, en s’abstenant sur l’accord et en critiquant la rhétorique de Macron ainsi que la perspective d’intégration de l’Ukraine dans l’UE et l’OTAN. Une politique menée au nom d’une rhétorique souverainiste et pseudo-pacifiste, Le Pen expliquant : « En soutenant l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN, vous déstabiliseriez gravement non seulement l’intégralité des politiques communautaires, agricoles en premier lieu, mais aussi la sécurité de l’Europe ». Des positions qui prétendent défendre au mieux les intérêts de la bourgeoisie française, sans rupture aucune avec le militarisme.

« La France doit négocier la paix en Ukraine » : une critique superficielle du militarisme de la part de LFI

A gauche, les déclarations de Gabriel Attal sur l’ennemi intérieur visaient également la France Insoumise, bien que le PCF partage globalement la même position. L’organisation de Jean-Luc Mélenchon a annoncé voter contre le texte, avant même l’ouverture de la séance. Dénonçant un vote « de mascarade », Manuel Bompard a expliqué : « nous sommes opposés à ce que la France soit le leader du camp de la guerre », rappelant la position de Jean-Luc Mélenchon, qui martelait le 28 février dernier que « La France doit négocier la paix en Ukraine ».

Toutefois, si les insoumis condamnent l’escalade militaire de part et d’autre de la frontière ukrainienne, leur position ne cherche en rien à opérer une rupture avec l’escalade militariste et le renforcement des budgets militaires. Il y a quelques mois, LFI s’était ainsi abstenue sur l’augmentation historique du budget des armées, en considérant le budget et son rythme d’augmentation étaient insuffisants. Par ailleurs, après s’être opposé au début de la guerre à l’envoi d’armes, LFI a depuis longtemps changé totalement de position, comme l’a souligné Arnaud Le Gall qui s’exprimait pour LFI, rappelant que son groupe avait approuvé « les cessions d’armement [à l’Ukraine] pour autant qu’elles n’affaiblissent pas nos propres capacités de défense ni qu’elles n’entraînent un risque d’escalade ».

Une position qui s’adapte en dernière instance à la surenchère guerrière, bien qu’elle critique certains de ses aspects, et qui n’est contrebalancée que de façon superficielle par les appels à la paix et à la diplomatie. Le député Arnaud Le Gall a ainsi insisté ce mardi sur le fait « qu’il est urgent de redonner une chance à la diplomatie » et de renforcer le rôle international de la France sur ce terrain. Ce discours se place entièrement sur le terrain de la diplomatie et est loin de dessiner de véritable perspective face aux tendances militaristes internationales. D’autant que celui-ci va de pair avec une rhétorique souverainiste et protectionniste dangereuse concernant l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, expliquant que celle-ci aurait « des conséquences dévastatrices pour notre économie. Notre agriculture est déjà écrasée par cette concurrence. » Des propos qui invisibilisent totalement le rôle fondamental des grands capitalistes français et européens dans l’appauvrissement de la population (et des agriculteurs, qui sont d’abord victimes des grands groupes de l’agrobusiness, y compris français), la mise en concurrence international des travailleurs et dans la semi-colonisation de l’Europe de l’Est, qui a semé la misère dans les pays de l’ancien bloc soviétique. Tout cela au nom de la fiction réactionnaire d’un « intérêt national » français, sensé réunir les travailleurs et les grands patrons.

Face à l’escalade guerrière, il faut une autre perspective

Alors que l’escalade militariste en France et à l’international est en train de devenir une tendance profonde de la situation, sur fond de décomposition de l’ordre néolibéral et de crises multifactorielles, ces constats appellent à construire une autre opposition à la surenchère guerrière. Alors que le militarisme résulte de l’aiguisement la crise du capitalisme à l’international, aucun traité diplomatique ne résorbera cette situation de pourrissement qui mène à des guerres. De fait, il n’est pas possible d’empêcher la catastrophe sans construire une riposte contre les gouvernements qui plongent dans le militarisme, et sans remettre en cause radicalement le système capitaliste qui nous y entraîne.

En France, face à un gouvernement qui tente de montrer les muscles et à tous les marchands de guerre, du Parti socialiste au Rassemblement national, c’est plus que jamais d’une mobilisation d’ensemble dont nous avons besoin pour faire obstacle à ces plans. Non seulement contre l’escalade impérialiste de la guerre, mais également contre les offensives de Macron qui l’accompagnent. Une perspective qui suppose que les directions syndicales, très passives ces derniers mois, rompent enfin avec le « dialogue social » et commencent à se préoccuper d’organiser l’intervention des travailleurs et des classes populaires dans une situation de crise qui s’approfondit. C’est le seul moyen de répondre à l’urgence de la situation, en s’appuyant sur le large refus de la guerre qui s’exprime dans le monde du travail et la jeunesse.


Facebook Twitter
« Sciences Po a le droit d'évacuer » : Glucksmann soutient la répression des étudiant·es pro-Palestine

« Sciences Po a le droit d’évacuer » : Glucksmann soutient la répression des étudiant·es pro-Palestine

Tribune. Stop à la criminalisation du soutien à la Palestine !

Tribune. Stop à la criminalisation du soutien à la Palestine !

Projet de loi logement : le gouvernement prépare une offensive contre les plus précaires

Projet de loi logement : le gouvernement prépare une offensive contre les plus précaires

Sciences Po occupés : rejoignons leur combat contre le génocide à Gaza

Sciences Po occupés : rejoignons leur combat contre le génocide à Gaza

« Préférence européenne », bouclier anti-missile : Macron précise son projet militariste pour l'Europe

« Préférence européenne », bouclier anti-missile : Macron précise son projet militariste pour l’Europe

Toulouse. 33 organisations appellent à se rassembler contre la criminalisation du soutien à la Palestine

Toulouse. 33 organisations appellent à se rassembler contre la criminalisation du soutien à la Palestine

Nouveaux dispositifs policiers et surveillance accrue : l'offensive sécuritaire se déploie à Brest

Nouveaux dispositifs policiers et surveillance accrue : l’offensive sécuritaire se déploie à Brest

Simplification administrative : des annonces creuses qui préparent des offensives d'ampleur

Simplification administrative : des annonces creuses qui préparent des offensives d’ampleur