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Débat avec OCML VP - « La farce électorale, c'est parti ! »

Elections, piège à cons ?

Dans son article du 20 décembre dernier intitulé "La farce électorale, c'est parti !", les camarades de l'OCML Voie Prolétarienne arrive à la conclusion du mot d'ordre général "boycottons les élections". L'objectif de cet article est d'ouvrir un débat avec les camarades, sur la présence des révolutionnaires aux élections qui nous semble, et particulièrement dans la situation actuelle, indispensable.

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Julian Vadis

Les présidentielles comme mascarade démocratique. Un point d’accord important

Dans leur article, les camarades de l’OCML VP posent un constat on ne peut plus juste. Les élections présidentielles sont un temps fort de la démocratie bourgeoise pour désigner celui ou celle le-a plus à même de mettre en place " de nouvelles lois anti-ouvrières, à la suite des précédentes, pour adapter le travail au plus près des exigences du capital ". Le candidat de la droite, François Fillon, a d’ores et déjà annoncé la couleur, sur la Sécurité Sociale (malgré un recul sur ce point), les fonctionnaires ou bien encore la flexibilité au travail. En 5 ans, les socialistes auront eu le loisir de démontrer leur ingéniosité en matière d’attaques contre le camp des travailleurs, avec évidemment la Loi Travail qui a été, en un sens, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase après les lois Macron, la mise en place de l’état d’urgence ou bien encore la déchéance de nationalité.

Dans le système politique français, les élections présidentielles sont à coup sûr le rendez-vous le plus important. Régime intrinsèquement bonapartiste et dont les traits se sont accentués depuis octobre 2014, et encore plus depuis novembre 2015, la V° République a pour socle la mise en place d’un chef d’Etat fort, par la même occasion chef des armés. Un élément qui n’est pas anodin tant la question militaire est centrale au sein de la démocratie bourgeoise à la française. Pour preuve, les rares accalmies du quinquennat Hollande et les moments où ce dernier a réussi à obtenir des regains de popularité, ont eu lieu lorsque le bientôt ex président a endossé le costume de chef de guerre. Après les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan bien évidemment, mais aussi lors de l’offensive des forces françaises au Mali par exemple. Sur ce plan, Hollande aura été particulièrement jusqu’au-boutiste, avec a minima une guerre par an et la militarisation exacerbée du territoire français, sous label état d’urgence. Dans ce contexte, et alors que les programmes politiques de chacun des candidats bourgeois, à l’élection, promettent des attaques dures envers les travailleurs, il n’est pas exagéré de parler de "farce électorale", comme le font les camarades. Et il est aussi vrai que cette farce n’aura jamais "été aussi visible".

Crise organique et espace politique pour les révolutionnaires

Cependant, il s’agit de se doter des outils d’analyse nécessaires pour comprendre d’où vient cette délégitimation qui fait tomber les masques. Une analyse d’autant plus importante car son absence amène à des conclusions erronées sur la position à adopter pour les révolutionnaires, dans la situation politique actuelle, face aux élections présidentielles.
Près de neuf années de crise économique et sociale ont amené à de multiples foyers de crise organique à échelle mondiale. Ce sont les pays centraux du capitalisme qui ont vu s’allumer ces brasiers, que ce soit en Europe et aux Etats-Unis. Sur le terrain politique, cette crise organique a été particulièrement visible dans la délégitimation des partis "piliers" des bourgeoisies. L’émergence de Bernie Sanders - qui a remis le socialisme comme horizon politique aux USA - et de Donald Trump, aux Etats-Unis, sont les expressions politiques de ces crises. Ils illustrent la polarisation sur la gauche et sur la droite, rendant le "centre" historique (c’est-à-dire, les positionnements classiques des partis démocrate et républicain) instable. En France, la montée du Front National et la rupture profonde du "peuple de gauche" avec le Parti Socialiste sont également des éléments significatifs de cette crise organique, à laquelle la bourgeoisie française a répondu par un haussement de ton et un tournant bonapartiste fort. Cette polarisation aura permis de faire tomber une série de masques sur la réalité du système capitaliste, ses oppressions, et remis sur le devant de la scène les antagonismes de classe. Les cinq mois de lutte contre la Loi Travail ont notamment permis une politisation intense, dans la jeunesse mais aussi au sein de la classe ouvrière ; des secteurs qui ont renoué avec une combativité jamais vu depuis le creux qui a suivi le mouvement des retraites de 2010 et qui sont, aujourd’hui, à la recherche d’alternative politique.

Dans ce cadre, il est intéressant de s’attarder sur le cas de la Grèce. Il serait faux de dire que les travailleurs et la jeunesse de Grèce ont manqués de combativité. Grèves générales à répétition et autres explosions de révolte se sont exprimées durant de longues séquences. Pourtant, le manque d’alternative révolutionnaire a donné lieu à l’émergence d’un parti réformiste de gauche qui a littéralement brisé cet élan : Syriza. Auréolé d’une base sociale suffisante, Tsipras a même réussi à imposer le pire Memorandum de la crise grecque. Le PASOK, carbonisé, stagne aujourd’hui à 3% tandis que Syriza a conquis son espace politique mais aussi celui qu’auraient pu capitaliser les révolutionnaires. Le constat est en partie similaire, bien que l’expérience du réformisme ne soit pas aussi aboutie, dans l’Etat espagnol, avec Podemos. Dans les deux cas, les révolutionnaires sont aujourd’hui dans ces deux pays extrêmement isolés, et des pans entiers de l’extrême gauche ont été happés par ces formations politiques.

C’est en tirant les enseignements de ces expériences que les révolutionnaires doivent aborder la question de la candidature Mélenchon et de sa « France Insoumise ». Dans la situation politique actuelle et pour conquérir un espace politique conséquent, il est primordial qu’un programme politique révolutionnaire, mettant en avant des revendications transitoires audibles à échelle de masse, profite des élections présidentielles comme d’une tribune pour émerger. La perspective de " boycotter ces élections " pour " refuser de renforcer le pouvoir de nos exploiteurs " et qui serait synonyme " d’abandonner notre force politique collective au profit de la désignation du représentant de la bourgeoisie " est en ce sens erroné. Il s’agit-la, en réalité, d’une capitulation et d’une invisibilisation totales du discours révolutionnaire dans le paysage politique français en général. A l’inverse, il s’agit de porter aux élections un programme capable d’offrir l’alternative politique dont notre camp social a besoin, pour ne pas laisser un vide politique que Mélenchon ou d’autres se feront un plaisir d’occuper. En bref, conquérir un espace politique pour préparer les batailles à venir, et faire émerger un horizon réellement alternatif et révolutionnaire pour la période à venir.

La question du rapport aux élections : Revenir sur les expériences du passé pour éviter de tomber dans l’écueil du "gauchisme" ... et de l’opportunisme droitier.

Afin de faire émerger un "programme " et de "conquérir un espace politique", est-il nécessaire d’être présent aux élections ? Une campagne sérieuse de "boycott" ne serait-elle pas une alternative pour faire émerger une voix révolutionnaire hors de la campagne ? Le risque n’est-il pas une "adaptation" au cadre institutionnel des formations anticapitalistes et révolutionnaires qui participent à ces échéances de la démocratie bourgeoise ? Tout ces débats traversent et ont traversé l’extrême gauche depuis des décennies. Se replonger dans le passé est donc primordial pour réfléchir à la ligne politique qu’il incombe de suivre en tant que révolutionnaire.

En 1920, Lénine (dont les camarades de l’OCML VP se revendiquent) polémiquait durement avec les "communistes de gauche" allemands précisément sur cette question [1]. Alors que le mouvement ouvrier était en plein essor, dans le sillage de la Révolution de 17, laissant poindre la perspective d’une révolution, l’une des ailes du parti allemand affirmait qu’il était nécessaire de "repousser de la façon la plus décidée tout retour aux formes parlementaires de lutte qui, historiquement et politiquement, ont fait leur temps. ". Par ailleurs, la "gauche germano-hollandaise" concédait que " des millions d’ouvriers qui suivent encore la politique du Centre (du parti catholique du "Centre") sont contre-révolutionnaires. Les prolétaires des campagnes forment les légions des troupes contre-révolutionnaires". C’est ici que Lénine formule une critique forte qu’il s’agit d’actualiser au vue du contexte politique actuel : " Comment peut-on dire que "le parlementarisme a fait son temps politiquement", si des "millions" et des "légions" de prolétaires non seulement s’affirment encore pour le parlementarisme en général, mais sont franchement "contre-révolutionnaires" !? [...]. Il est évident que pour les communistes d’Allemagne le parlementarisme "a fait son temps politiquement" ; mais le tout est justement de ne pas croire que ce qui a fait son temps pour nous, a fait son temps pour la classe, a fait son temps pour les masses. Nous voyons ici une fois de plus que les "gauches" ne savent pas raisonner, ne savent pas se conduire en parti de la classe, en parti des masses. Vous êtes tenus de ne pas vous abaisser au niveau des masses, au niveau des couches retardataires d’une classe. C’est indiscutable. Vous êtes tenus de leur dire l’amère vérité. Vous êtes tenus d’appeler préjugés leurs préjugés démocratiques bourgeois et parlementaires. Mais en même temps vous êtes tenus de surveiller d’un œil lucide l’état réel de conscience et de préparation de la classe tout entière (et pas seulement de son avant-garde communiste), de la masse travailleuse tout entière (et pas seulement de ses éléments avancés). "
S’il est clair que la situation politique allemande de 1920 et celle de la France de 2017 sont radicalement différentes, il en indéniable que la définition selon laquelle " des millions de prolétaires s’affirment encore pour le parlementarisme " est on ne peut plus d’actualité. Plus loin, Lénine poursuit : " Nous, bolcheviks, avons participé aux parlements les plus contre-révolutionnaires, et l’expérience a montré que cette participation avait été non seulement utile, mais même indispensable au parti du prolétariat révolutionnaire, précisément après la première révolution bourgeoise en Russie (1905), pour préparer la seconde révolution bourgeoise (février 1917) et puis la révolution socialiste (octobre 1917) [...], il s’ensuit que les ouvriers doivent se préparer - idéologiquement, politiquement, techniquement - à la lutte des Soviets contre le parlement, à la dissolution du parlement par les Soviets. [...] Nous savons fort bien que la dissolution par nous de la Constituante, le janvier 1918, ne fut pas entravée, mais facilitée par la présence, au sein de la Constituante contre-révolutionnaire que nous dissolvions, d’une opposition soviétique conséquente, bolchevique ". Ici, Lénine brise un tabou persistant dans l’extrême gauche révolutionnaire : celle d’une incompatibilité entre participation à des parlements et révolution socialiste. La participation (ou non) à des élections bourgeoises dépend avant tout de l’état d’avancement de la conscience de classe, des possibilités offertes au parti d’avant-garde révolutionnaires de batailler pour convaincre jusqu’aux sein des couches les plus éloignées, idéologiquement et politiquement, du prolétariat. En ce sens, tenir une position principielle de boycott sans analyse politique relève d’une conception "romantique" de la révolution, s’adressant stricto sensu à l’avant-garde ou ce qu’elle est censée être plutôt que de se donner l’ambition d’organiser cette avant-garde pour que cette dernière offre un horizon à l’ensemble de la classe, dans la perspective révolutionnaire et du mot d’ordre inscrit en lettre d’or sur le Manifeste du Parti Communiste de Marx et d’Engels : " L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux même ". C’est dans cet écueil, celui d’une posture révolutionnaire orthodoxe et romantique, que les camarades d’OCML VP semblent être tombés.

Bien sûr, l’écueil inverse existe, et le texte de Lénine a permis, par des raccourcis et au travers l’histoire, à des tendances opportunistes d’en détourner le sens pour accréditer des thèses qui conduisent indéniablement à une adaptation totale aux institutions bourgeoises. Pour rester sur l’exemple de la révolution manquée de 1923 en Allemagne, Emilio Albamonte et Matias Maiello, dans une brochure revenant sur les débats entre Trotsky et Gramsci [2], expliquent que "comme l’affirmait Trotsky, la "routine de la tactique", résultat de la lutte quotidienne pour gagner les masses, avait été l’une des causes principales pouvant expliquer l’incapacité de la direction du Parti Communiste allemand (KPD) à effectuer un virage politique à la hauteur de la situation qui s’était développée. La politique du KDP est restée dans le cadre des mécanismes de l’Etat bourgeois –celui de la légalité constitutionnelle - et de la confiance accordée à la gauche de la social-démocratie ". En refusant de tirer ce bilan, et en substance en réfutant l’idée que les conditions étaient réunies en Allemagne pour une révolution socialiste, l’Internationale Communiste va ouvrir la voie à une révision des idées développées par Lénine sur le parlementarisme et la révolution. Gouvernement ouvrier "par en haut ou par en bas " animeront les débats sans remettre en cause les responsabilités de la direction du parti, et rejetteront en définitive la faute sur les masses.

#2017PoutouDoitEnEtre

Bien que la perspective révolutionnaire soit bien loin d’être aussi brûlante, on l’aura compris, il n’en demeure pas moins que la question de la présence aux élections de 2017 doit se faire en parallèle d’une orientation stratégique claire, tout en fixant des objectifs tactiques à la lumière de la situation politique et de l’état de la conscience de classe. Le réveil de notre camp social au printemps dernier constitue, dans la période, un véritable bol d’air frais après des années d’atonie, notamment après le creux qui a fait suite au Mouvement des retraites de 2010. Un vent de politisation souffle sur la jeunesse et les travailleurs, à l’échelle d’une avant-garde. Alors que la bourgeoisie foisonne de candidats prêts à tout pour se constituer une base sociale à même de les porter à l’Elysée, la tâche des révolutionnaires est de rassembler cette avant-garde autour d’une campagne en 2017, pour lui permettre de s’organiser et de s’adresser le plus largement possible à l’ensemble des travailleurs et de la jeunesse.

La figure et le programme de Philippe Poutou, seul candidat ouvrier combatif aux présidentielles, sont les plus à même d’incarner cette alternative. Une bataille qui est loin d’être gagné, puisqu’à ce jour, le système de parrainage anti-démocratique de la Vème République multiplie les obstacles en vue d’une présence aux présidentielles de 2017.

Cependant, la présence de Poutou aux présidentielles est un enjeu central. Poutou est l’un des deux candidat-e-s d’extrême gauche à pouvoir être la voix de la mobilisation contre la loi travail, contre les licenciements (le camarade a lutté durant des années, et gagné, dans son usine de Ford) et contre la répression syndicale et militante. Loin des discours d’austérité et des fausses solutions réformistes, il s’agit par cette candidature d’agiter des pans de programmes réellement subversif pour trouver des solutions à la question du chômage, à la précarité qui touche des milliers de travailleurs et de jeunes, contre le sexisme, le racisme et les désastres environnementaux. C’est pour tous ces aspects, à la lumières de la situation politique actuelle et des défis qui attendent notre camp social pour la période post-2017, qu’en tant que révolutionnaires, nous œuvrerons au maximum pour que Philippe Poutou soit présent aux élections présidentielles.


[1V. I. LENINE, La maladie infantile du communisme (le "gauchisme"), chapitres 7

[2E. Albamonte et M. Maìello, Trotsky et Gramsci : Débat stratégique sur la Révolution en "Occident", Cahiers Révolution Permanente, Octobre 2014



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