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Cherche serveuse « mignonne et un peu salope »

État espagnol : machisme à l’embauche. Quand la crise renforce les racines du patriarcat

Les offres de travail couvertes de machisme sont monnaie courante sur le marché de l’emploi. Que ce soit l’injonction de « ne pas être enceinte », de remplir les critères des « canons esthétiques » dégradants pour la femme jusqu’aux situations de harcèlement et de violences sexuelle, les exemples ne manquent pas. Angel Vilaseca (traduction : Elise Duvel)

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Depuis une semaine, c’est une scandaleuse offre de travail de serveuse qui a embrasé les réseaux sociaux en Espagne. Le critère requis pour obtenir le job était d’être « mignonne et un peu salope ». Pour beaucoup, l’annonce paraissait surréaliste. En réalité, elle reflète une réalité beaucoup plus courante qu’il n’y paraît.

« Être belle pour trouver un travail »

Dans les offres de serveuses, d’hôtesse d’accueil, de commerciales et plus généralement dans les secteurs ouverts au public, il est fréquent de tomber dans les portails de recherche d’emploi sur un classique « nous recherchons de belles jeunes filles ». Pire encore, dans certains cas, des annonceurs exigent une certaine taille de pantalon, de tour de poitrine ou de taille. Et ces offres sont nombreuses. Pour prendre un exemple, une agence recrutait des hôtesses d’accueil pour un salon de bandes dessinées à Barcelone. L’offre était édifiante : « des jeunes filles brunes, de plus de 1,70 cm, avec un tour de poitrine d’un minimum de 95 ». Autre exemple : « nous recherchons deux serveuses pour un pub latino dans le centre de Valence qui sachent danser, y compris sur le comptoir les week-ends. De jolies filles avec un beau corps aimables avec les clients ».

Voilà une véritable discrimination ordinaire et une violence de genre qui exclue beaucoup de femmes du marché du travail et condamne les autres à des travaux dégradants. Un marché du travail qui utilise les femmes qui remplissent ces canons de beauté comme des objets sexuels, en imposant des uniformes de travail sexy.

« Nous recherchons des femmes sans charges familiales présentes ou futures ».

Sur le marché de l’emploi, il ne suffit pas d’« être belle ». Ne pas avoir ni vouloir d’enfant constitue également un critère indispensable. Il est bien connu que lors des entretiens d’embauche, il est régulièrement demandé aux femmes si elles comptent être enceintes. Il est aussi courant d’exiger, dès l’offre d’emploi, de ne pas l’être. L’exemple d’une offre d’emploi en Galice, pour un remplacement de coiffeuse et esthéticienne stipulait : « de 25 à 35 ans, sans charges familiales présentes ni futures ». Mais il existe d’autres offres en tout genre où non seulement l’employeur exige de ne pas avoir de charges familiales, mais qui offrent un travail dans des conditions semi-esclavagistes, avec en échange le fait d’être nourrie et logée. « Je recherche une FEMME entre 30 et 40 ans sans engagement ni charges familiales pour me tenir compagnie, m’aider dans les tâches domestiques, vivre avec moi et mes enfants. J’offre logement, nourriture et tous les frais ainsi qu’un petit salaire. »

Ces critères semblent pour le moins étrange dans un monde où ce sont les femmes qui se chargent de la majeure partie des tâches domestiques et qui s’occupent des enfants. Cependant, non seulement il est plus difficile pour une femme enceinte ou avec des enfants à charge de trouver un travail en conciliant avec sa vie de famille, mais avec la nouvelle réforme du travail (de vigueur en Espagne, et en préparation en France avec la casse du Code du travail), il est fréquent et plus facile pour les entreprises de licencier des femmes pour le simple fait d’être enceintes.

« Des faveurs sexuelles en échange d’un travail »

Comme si les situations décrites plus haut n’étaient pas suffisantes, les femmes sont soumises à des situations d’abus sexuels qui restent totalement invisibles et impunies. Beaucoup d’annonces, surtout dans les secteurs de travail domestique – des secteurs relevant majoritairement de l’économie souterraine – demandent des « jeunes filles libérées et sans préjugés ». En répondant à l’offre, l’annonceur demande des photos intimes et laisse entendre que les faveurs sexuelles sont la monnaie d’échange à son obtention.

Parfois, ce sont même de fausses annonces qui attirent les femmes pour pouvoir abuser sexuellement d’elles. Dans certaines annonces véritables, « accepter » des faveurs sexuelles est un prérequis pour obtenir l’emploi. De nombreux exemples dans les sites d’annonces en Espagne existent : « pour faire du ménage chez un particulier, une fois par semaine, deux heures de ménage et une heure de services extra. Répondre seulement si femme avec une mentalité libérée et sans préjugés. »

Des annonces de travail trompeuses dans les secteurs de l’hôtellerie et des loisirs proposent des postes de serveuses ou d’hôtesses d’accueil, mais recherchent en réalité des femmes prêtes à accepter des situations de prostitution. Ce sont des offres que l’on trouve ouvertement dans des sites très fréquentés dans les recherches d’emploi. S’il est indigne que des sites d’annonces puissent permettre la présence de telles offres, le pire est que beaucoup de femmes sont poussées à se soumettre à ces conditions pour espérer obtenir un salaire.

Crise capitaliste et renforcement du patriarcat

N’oublions pas que le harcèlement sexuel continue d’être un enfer pour de nombreuses femmes. Un enfer qui devient de pire en pire dans le contexte actuel. Selon les données officielles, les dénonciations d’abus sexuels diminuent, mais la dure réalité est qu’aujourd’hui un grand nombre de femmes ne les dénoncent pas de peur de perdre leur emploi.

Depuis le début de la crise espagnole, le chômage des femmes n’a cessé d’augmenter, se situant actuellement aux alentours de 26 %, avec des emplois toujours plus précaires, augmentant l’inégalité salariale (un homme touche en moyenne 20 % de plus qu’une femme). Les femmes se voient contraintes d’accepter des conditions de travail dégradées tout en continuant leurs tâches domestiques au foyer et la charge des enfants. Un travail que, de jour en jour, les femmes réalisent de manière totalement invisible et gratuit.

Les conséquences de la crise actuelle mettent en lumière l’alliance entre le capitalisme et le patriarcat. Un système barbare, qui laisse des nombreuses femmes travailleuses dans des conditions d’extrême pauvreté, puis qui les forcent non seulement à accepter des conditions de travail quasi-esclavagistes, mais aussi à subir des situations de harcèlement sexuel et de violence de genre, seulement pour survivre.


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