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Sexualité

Freud et la question homosexuelle

Dans les années 20, un vif débat eut lieu entre les membres de l'IPA (Association Psychanalytique Internationale fondée par Sigmund Freud), sur l'acceptation ou non des psychanalystes homosexuels comme membres de cette association. Que dit et que fit le fondateur de la psychanalyse ? Rosa D'Alesio

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Sigmund Freud est né en mai 1856 à Freiberg, une petite ville de l’actuelle République Tchèque, qui appartenait alors à l’Empire austro-hongrois. Il mourut en 1939, à Londres, ville dans laquelle il avait émigré à cause du danger qu’il encourrait face à la montée du nazisme, du fait de ses ascendants juifs. Il étudia la médecine, se spécialisa en neurologie et son intérêt pour les cas de neurasthénie (névrose) l’emmena à construire une théorie et une pratique pour les aborder : la psychanalyse.

En 1903, deux ans avant d’écrire Trois essais sur la théorie sexuelle, Freud fut interviewé par un journal de Vienne pour connaître son opinion sur le procès d’un viennois accusé d’avoir des pratiques homosexuelles. Sa réponse ne laissait pas de place au doute « ...l’homosexuel n’est pas la propriété des tribunaux. De plus, j’ai la ferme conviction que les homosexuels ne doivent pas non plus être traités comme des malades... »

En 1920, l’Association Hollandaise de Psychanalyse reçu une sollicitation d’intégration de la part d’un médecin connu pour ses manifestations homosexuelles. Les hollandais, avant de lui répondre, ont consulté Ernest Jones, qui faisait partie du cercle proche de Freud. Jones, dans une lettre à Freud, lui raconta quelle fut sa réponse « Je l’ai déconseillé... et maintenant cet homme a été découvert et condamné à la prison ». Il lui demanda s’il considérait qu’il fallait toujours rejeter les sollicitations des psychanalystes homosexuels. Otto Rank et Freud répondirent : « Votre question, Ernest, concernant la possible qualité des membres homosexuels, a attiré notre considération et nous sommes en désaccord avec vous. En effet, nous ne pouvons pas exclure ces personnes sans avoir d’autres raisons suffisantes, car nous ne sommes pas d’accord avec leur persécution légale ». La position de Rank et Freud soutenait que l’homosexualité devait être un facteur neutre ou ne pas en être un dans l’évaluation des candidats.

En décembre 1921, au comité dirigé par l’IPA, au moins deux positions s’affrontèrent, pour et contre l’intégration des psychanalystes homosexuels en faisant la demande. Les viennois, Ferenczi, Rank et Freud étaient pour. Les berlinois, dirigés par Karl Abraham, considéraient que parfois oui, parfois non, mais ils soutenaient qu’« aux yeux du monde l’homosexualité est un crime répugnant et s’il était commis par l’un de nos membres, nous subirions un grave discrédit »

Les psychanalystes des États Unis étaient ceux qui s’opposaient le plus à la position de Freud concernant l’homosexualité.

Freud a entretenu pendant plus de sept ans une correspondance avec James Putnam, un analyste de Harvard, qui soutenait que les patients, plus que de « se connaître eux-mêmes » avaient besoin de connaître les « raisons de pourquoi ils devraient adopter des idéaux plus élevés pour leurs obligations ». Les efforts de Freud pour que Putnam abandonne sa morale devant ses patients en analyse furent en vain. Mais il eut, au moins, l’opportunité de se moquer de lui. Un jour Putnam raconta à Freud ses fantasmes – d’une vie de famille heureuse- et celui-ci répondit : « Vous souffrez d’un très précoce et intense sadisme réprimé qui s’exprime au travers d’une gentillesse excessive qui vous torture. Derrière le fantasme d’une vie de famille heureuse vous devriez découvrir les fantasmes normaux réprimés d’une riche relation sexuelle ». Et dans une de ses dernières lettres à Putnam, Freud fut plus direct :« La morale sexuelle telle que la définit la société – et comme la pousse à l’extrême la société nord-américaine – me paraît très détestable. Je m’identifie avec une vie sexuelle plus libre ».

Freud visita seulement une fois les États-Unis, à l’automne 1909, avec l’unique objectif de diffuser sa théorie. Il donna cinq conférences d’introduction à la psychanalyse.

Pendant ce bref voyage il confirma ce qu’il savait déjà de la société nord-américaine : qu’elle avait une morale puritaine, que ses habitants étaient sexuellement réprimés, et qu’ils dépensaient leur énergie sexuelle au travers de la consommation et de l’accumulation.

Freud, au travers de la relation épistolaire qu’il entretenait avec Putnam, a su que ce qui s’exerçait en Amérique du nord n’était pas une pratique psychanalytique, du moins pas celle que lui-même avait construite. Qu’est-il advenu des patients homosexuels qui consultaient des analystes comme Putnam ? Celui-ci ne révisa jamais sa position qui était d’emmener chez ses patients sa propre vision éthique.

Freud défendait-il les homosexuels ou la psychanalyse ?

Peut-être les deux, mais ce qui était en jeu c’est sa théorie psychanalytique. Freud soutenait dans Trois essais sur la théorie sexuelle, que la psychanalyse démontrait que toute personne pouvait faire le choix de l’homosexualité et que les sentiments libidineux pour des personnes du même sexe jouaient un rôle important dans la vie sexuelle.

Freud s’opposa aussi à considérer les personnes homosexuelles comme un groupe spécial. Et ce fut pour cette raison qu’il s’opposa au mouvement homosexuel allemand, dirigé par Karl Ulrich, qui s’auto-percevait comme le troisième sexe, auquel il répondit dans Trois essais sur la théorie sexuelle.

Cela n’empêcha pas Freud de se prononcer, avec eux, contre la pénalisation des personnes gays.

Plusieurs années plus tard, en 1930, quand la législation austro-germaine planifiait de modifier le code pénal, pour y pénaliser les pratiques sexuelles, Freud signa une déclaration de refus des lois pénalisant les relations homosexuelles. La déclaration défendait que pénaliser la vie sexuelle était une violation des droits humains.

Lettre d’une mère

Freud reçu, en 1935, une lettre d’une mère nord-américaine, inquiète pour son fils. « J’en déduis – dit Freud – que votre fils est homosexuel. Cela m’impressionne que vous n’utilisiez pas ce mot dans votre description... », ajoutant, « l’homosexualité n’est pas un avantage, mais elle n’est pas non plus quelque chose dont on doit avoir honte ; un vice ou une décadence, elle ne peut pas non plus être classée parmi les maladies ». Plus loin Freud répondit : « Vous me demandez si je peux l’aider, je suppose que vous me demandez si je peux abolir son homosexualité et le rendre hétérosexuel... ». Puis il affirma : « S’il est malheureux, s’il vit déchiré par ses conflits... l’analyse peut lui apporter l’harmonie, la tranquillité mentale... »

On peut supposer que la réponse, écrite en anglais, n’était pas destinée à la mère nord-américaine mais aux analystes de ce pays. Son objectif était de leur dire que les personnes homosexuelles n’étaient pas traitées de façon adéquate dans leur pays.

Toutefois, en dépit de tout ce parcours réalisé par Freud, pourquoi a-t-il chassé de son cabinet sa patiente, qu’il avait appelée « la jeune homosexuelle » ?

La suite dans le prochain article.

Traduction : Léo Valadim


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