Jean-Marc Rouillan, est victime, depuis ces derniers jours, d’une campagne hostile orchestrée par différents médias et le gouvernement. Des propos tenus dans un entretien concédé à une revue satirique, Le Ravi, sont visés. Dans cette interview, Rouillan dit, au sujet des terroristes coupables des attentats de novembre, à Paris, qu’ils « se sont battus courageusement. Ils se battent dans les rues de Paris, ils savent qu’il y a 2 000 ou 3 000 flics. Souvent, ils ne préparent même pas leurs sorties parce qu’ils pensent qu’ils vont être tués avant d’avoir fini l’opération. Les frères Kouachi, quand ils étaient dans l’imprimerie, ils se sont battus jusqu’à la dernière balle. On peut dire qu’on est contre leurs idées réactionnaires, on peut parler de plein de choses contre eux, dire que c’était idiot de faire ça mais pas dire que c’est des gamins qui sont lâches ». L’ensemble de l’entretien ne laisse pas de place au doute : il ne s’agit absolument pas d’une approbation des actes de guerre commis par Daesh mais d’une appréciation factuelle du risque pris par des individus. Il précise d’ailleurs qu’il s’agit d’agissements « réactionnaires ». Les phrases suivantes sont explicites sur la caractérisation technique du degré de prise de risque : « je suis persuadé qu’il est impossible de dire sur les radios ‘ce lâche bombardement de la ville d’Alep par les avions français’ alors qu’on est à 5 000 mètres d’altitude et qu’on balance des bombes qui vont tomber un peu au hasard ».

La réaction des hautes sphères gouvernementales est, conformément à la psychose qu’ils essaient d’instaurer depuis le début de l’état d’urgence, disproportionnée. Ainsi, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, demande des poursuites pour « apologie du terrorisme » dans l’objectif de révoquer sa liberté conditionnelle. Il dénonce « une offense à la mémoire des victimes et une blessure supplémentaire pour des familles qui ont déjà beaucoup enduré ». Le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, n’a pas hésité à traiter Rouillan de « sinistre imbécile ». Le ministre de l’Agriculture, fidélissime de Hollande, sait de quoi il parle. Ces invectives s’inscrivent dans la dérive autoritaire de ce gouvernement qui veut faire taire toute voix dissidente et empêche la liberté d’expression qu’il a prétendu défendre après l’attentat contre Charlie Hebdo. Il s’agit de manipulations de communication du même ordre que celles qui ont conduit au « saccage du mémorial de la place de la République » par les forces de l’ordre et l’arrestation de plus de 300 militants d’extrême gauche et écologistes fin novembre en accusant les manifestants des forfaits commis par les policiers.

L’extrait choisi est d’une rare mauvaise foi. L’entretien de Rouillan est beaucoup plus riche et pointe les responsabilités de l’État français dans ces actes de guerre. « Les aviateurs français qui combattent en Irak et en Syrie, souligne-t-il, favorisent Daech. Quand on bombarde une école, on lève 2 000 combattants pour Daech ». « L’État français est un État colonialiste, assassin. Rien que ce qui s’est passé en Algérie (pendant la guerre d’indépendance) m’empêchera toujours, toute ma vie de chanter la Marseillaise et de mettre le bleu blanc rouge. Parce qu’un million de morts, des disparus, de la torture, l’horreur ! Et venir se présenter comme la patrie des droits de l’homme, ils l’ont fait à Madagascar [en 1947], dans tous les pays colonisés. ».

Á partir de sa propre expérience de vingt-quatre années passées derrière les barreaux, Rouillan détaille le processus de politisation et/ou radicalisation dans les prisons et l’absence de solution de l’État face à la diffusion des idées entre prisonniers. Indépendamment des positions campistes et des méthodes opérationnelles choisies par Rouillan et ses camarades, l’attaque qu’il subit est proprement scandaleuse. Que Cazeneuve l’accuse « d’apologie de terrorisme », lui le ministre responsable de la mort de Rémi Fraysse et des flics qui, tous les jours, se rendent coupables de crimes, voilà qui est un peu fort de café. Menacer Rouillan d’une nouvelle incarcération en remettant en cause sa liberté conditionnelle alors qu’il a largement purgé sa peine de sureté de dix –huit ans serait accrocher une autre infamie au compteur des ministères de l’Intérieur et de la Justice.