Article paru dans L’Hebdo Anticapitaliste, n°4334 du 14 juin 2018

Sélection sociale, sélection géographique

Dès les premiers résultats, une chose est apparue comme déterminante : le lycée d’origine. En effet, au cours de nombreux reportages, des professeurs de facs ont avoué pondérer les notes des dossiers scolaires avec un coefficient censé donner le « niveau » du lycée. D’où de grandes inégalités dans les taux d’élèves n’ayant aucune réponse positive trois semaines après les premières réponses. Mais le tri social à l’entrée de la fac ne s’arrête pas à un coefficient censé trier les lycéens de banlieue des élèves de Henri IV. En effet, si la loi prévoyait des taux minimum de boursiers censés avoir des places « reservées » à la fac, on s’aperçoit maintenant que ces taux présentent d’énormes disparités. Ainsi, quand la fac de Paris 13 Villetaneuse doit accueillir 15,4 % d’élèves boursiers (taux fixés par le recteur), la fac de Paris 3 Sorbonne Nouvelle ne doit en accueillir que 3,7 %, et 5,6 % pour Paris 2 Assas ! Des inégalités qui visent de fait à accentuer la différenciation entre des « facs d’élite » et des « facs poubelles », ces dernières se trouvant, pour la région parisienne, évidemment en grande banlieue.

De surcroit, les facs parisiennes ont mis des quotas d’élèves hors-académie (donc hors-Paris) très faibles, excluant ainsi les élèves de banlieue, quand bien même leur lycée à Paris. Certaines licences, comme celle de chimie à Paris Diderot, accueillait 40 % d’élèves hors-secteur l’an dernier. Le nouveau logiciel a réduit cette propension à...3 % ! Pour une réforme qui a été vendue sous les auspices de « la méritocratie », que penser du fait qu’un élève habitant le 7e arrondissement et ayant 10 de moyenne soit prioritaire sur un lycéen de Bobigny qui aurait 16 de moyenne ? Une fois encore, l’argument de la « méritocratie » est utilisé pour faire passer des réformes qui sont toutes plus injustes les unes que les autres.

Passer sans le bac sans avenir : l’innovation de Vidal

Pour encore beaucoup de lycéens, la rentrée est une grande inconnue : nombreux ne savent pas où devront aller l’an prochain, attendant que les vœux se libèrent. Une situation d’autant plus stressant en période de bac. A quoi bon passer son bac si on n’a pas d’avenir demandent certains lycéens sur Twitter, qui ont peur de devoir quitter l’enseignement supérieur à BAC+0. Une peur partagée les très nombreux lycéens qui n’ont pas eu un des vœux qu’ils souhaitaient et qui doivent commencer leurs années post-bac par des études dont ils ne veulent pas.

Comble de la situation, l’État a déjà prévu le coup, et Pôle Emploi commence à préparer ses salariés à gérer les conséquences de l’échec de la nouvelle plateforme d’orientation post-bac, à savoir, des milliers de lycéens qui n’auront eu aucune affectation. À Metz les équipes locales de direction ont lu une note interne aux employés leur expliquant qu’ils allaient devoir faire face à un afflux exceptionnel des inscriptions en septembre : « on va demander des explications. Une telle anticipation n’est pas anodine. Cela veut dire que le gouvernement s’attend à ce que nombre d’étudiants restent sur le carreau ». Quel message plus méprisant aux lycéens les plus précaires ? Vous avez beau être boursier, avoir un bon dossier scolaire… si votre lycée et votre département ne conviennent pas aux canons, vous pouvez finir à travailler chez McDonald’s à plein temps. Face à cette situation, la rentrée pourrait s’annoncer chaude. De nombreuses organisations politiques et syndicales préparent cette éventualité, en recensant notamment les étudiants « sans-facs ». Un suivi qui va être plus que nécessaire quand on sait l’état de délabrement des services universitaires, ruinés par des années de disette budgétaire.